FYI.

This story is over 5 years old.

Stuff

À quoi ressemble la vie sexuelle des jeunes juifs ?

Entre pressions parentales et écoles puritaines, les adorateurs de Yahvé doivent souvent se débrouiller seuls pour accéder au fruit de la connaissance.

Illustrations de Koren Shadmi

Mon premier rapport frontal avec le sexe a eu lieu dans la salle de bains de ma yechivah alors que je n'avais que huit ans. Deux camarades de mon école privée juive s'étaient amusés à me décrire l'intégralité du processus de la masturbation, n'omettant pas d'évoquer le « truc blanchâtre » sortant de la bite lors de l'orgasme. J'étais horrifié, certain qu'ils se moquaient de moi. J'avais bien trop peur pour demander une quelconque confirmation à mes parents ou à mes professeurs.

Publicité

J'ai vu le jour dans la ville de Teaneck, qui compte près de 40 000 habitants. Située dans le nord du New Jersey, cette vaste bourgade dénombre 18 synagogues orthodoxes en son sein. Lors des 17 premières années de mon existence, j'ai partagé mes journées en deux, recevant des cours d'éducation juive le matin et des enseignements laïques l'après-midi. Mes différentes écoles ont toujours mélangé filles et garçons, se différenciant des centres d'études ultra-orthodoxes et hassidiques du pays.

J'ai étudié le Talmud, tout en lisant Harry Potter en parallèle. Je respectais le shabbat, mais ne manquais jamais un épisode de Newport Beach. Malgré mes convictions religieuses empreintes de libéralisme, certaines règles assez strictes m'empêchaient d'avoir directement accès au monde environnant. L'exemple du sexe est le premier qui me vient à l'esprit, tant toute discussion à ce sujet était prohibée. Grâce au renfort d'Internet, j'ai tout de même pu acquérir certaines bases partagées par l'ensemble des préadolescents de mon époque. J'ai dû attendre mon entrée au lycée pour qu'un rabbin assez flippant rappelle à l'ensemble de ma classe que le sexe était une chose horrible, à l'origine des bébés, des rougeurs dégueulasses, des sécrétions péniennes et du SIDA. Jamais le sexe n'était envisagé sous l'angle du bonheur, de la félicité entre deux partenaires consentants.

« L'éducation sexuelle dans les écoles juives orthodoxes n'évoque jamais le sexe en lui-même », précise le docteur Bat Sheva Marcus, juive orthodoxe, doctorante en sexologie et fondatrice d'un centre d'études sexuelles à destination des femmes juives. « Les éducateurs s'intéressent uniquement au fait d'éviter les grossesses et la transmission des MST. Il n'est jamais question de plaisir, alors que c'est le thème qui passionne les adolescents. »

Publicité

En débarquant à l'université, le choc des cultures a été rude. Le sexe sans engagement était un fait social commun au sein de mon cercle d'amis. C'est après de longues discussions avec ces personnes que j'ai réalisé à quel point mon éducation religieuse avait retardé mon entrée dans la vie adulte.

« Je me souviens d'une discussion avec une jeune femme, juive orthodoxe. Elle se sentait coupable d'avoir eu une activité sexuelle avant le mariage, ajoute le docteur Marcus. On ne dénombre même plus les adolescents juifs orthodoxes qui sont persuadés que leur vie sexuelle à 18 ans constitue un aboutissement en soi. »

Ce n'est que très récemment que je me suis mis à chercher d'autres juifs ayant grandi au sein de petites communautés orthodoxes. Je désirais savoir quel avait été leur rapport à la sexualité au cours de leur adolescence. J'ai donc contacté quatre anciens étudiants de différentes écoles juives, qui ont préféré garder l'anonymat afin de ne pas subir les foudres de leurs parents et de leur communauté.

Talia, 23 ans

VICE : Peux-tu me parler de ton éducation sexuelle, toi, élève dans un lycée juif orthodoxe.
Talia : Je me souviens des cours « d'éducation à la santé » en première et en terminale. Une fois par mois, le psychologue de l'école ou le conseiller d'orientation venait délivrer la bonne parole en proposant une version très aseptisée de la sexualité. Le cours était centré sur la reproduction, et rien d'autre.

Publicité

Ta famille parlait-elle de sexe ouvertement ?
Absolument pas. Je suis à peu près sûre de ne jamais avoir entendu le mot « sexe » dans mon foyer. Mon éducation sexuelle était le résultat d'un visionnage intensif de la télévision, de fréquentes sorties au cinéma et de mes lectures personnelles. Tout cela m'a permis de réaliser que le sexe était partout dans notre société.

Tu as tout de même fini par perdre ta virginité.
Oui, j'étais assez à l'aise à ce sujet. J'avais plus ou moins renoncé à ma foi et je sortais avec un mec athée bien plus vieux que moi. J'ai dû le convaincre que tout cela ne me posait pas de problème – il avait peur qu'en tant que fille éduquée dans un environnement religieux, je regrette de perdre ma virginité avec lui.

Comment ont réagi tes proches ?
Ma mère a été très dure, en me disant que ma grand-mère se retournait dans sa tombe. Mes parents et moi-même avons décidé de nous rendre chez une thérapeute familiale afin d'aplanir nos différences, ce qui a fonctionné. Bon, il m'est toujours difficile de parler ouvertement de mes mecs…

T'arrive-t-il de discuter ouvertement de sexe avec tes amis d'enfance toujours croyants ?
Oui, avec ceux qui en parlent ouvertement. Certains amis juifs sont tout à fait ouverts et « libérés » sexuellement parlant, tandis que d'autres ne jurent que par les relations monogames. Enfin, une frange assez marginale avoue ne s'adonner qu'au sexe anal, pour préserver la « virginité » des jeunes femmes.

Publicité

Sam, 23 ans

VICE : Te souviens-tu de ton premier rapport au sexe ?
Sam : Je crois que tout remonte à la lecture d'un bouquin de science-fiction quand j'avais huit ans – puis ont suivi les films adolescents débiles et les conversations avec mes amis.

Ton éducation sexuelle provient-elle de ta famille ou de l'école ?
Ma famille n'a jamais vraiment pris la peine de me parler de sexualité, car ils savaient que je savais. En ce qui concerne mon école, les références sexuelles contenues dans les textes religieux n'étaient jamais mentionnées.

À quoi ressemblaient tes années lycée ?
Je passais beaucoup de temps avec des petits groupes de Juifs orthodoxes mais, en vieillissant, et à mesure que les relations avec mes parents se dégradaient, je me suis mis à fréquenter d'autres personnes. Je suis devenu au fil des années un outsider aux yeux de la communauté juive.

Peux-tu m'en dire plus sur cette sensation d'être un outsider ?
En fait, je suis gay, et j'ai mis des années à avouer que je rencontrais des mecs via des sites de rencontre en ligne. Il est facile de comprendre pourquoi j'ai eu beaucoup de mal à m'intégrer dans le cadre assez strict d'une communauté juive orthodoxe. À la fin de mon lycée, je suis sorti avec un type plus vieux qui m'a encouragé à assumer mes convictions et mes penchants, tout en me convainquant que j'avais une place à revendiquer dans notre société. Cette relation est demeurée secrète pendant des années, malgré tout.

Publicité

Comment tes parents ont-ils réagi ?
Ils connaissaient mon orientation sexuelle dès mes 16 ans, après avoir installé sur mon ordinateur un logiciel leur permettant d'espionner mes recherches sur Internet. Mon père l'a très mal pris et notre relation a été très difficile pendant plusieurs années. Je n'ai jamais réussi à faire mon coming out au lycée ou à l'université – ce que je regrette aujourd'hui. Ceci étant dit, je n'ai aucune animosité envers le judaïsme en lui-même mais plutôt envers son institutionnalisation.

Es-tu à l'aise avec ta sexualité aujourd'hui ?
Oui, absolument. L'érotisme présent dans la Bible me saute aux yeux à chaque fois que je la lis. La sexualité ne me met plus du tout mal à l'aise.

Ben, 22 ans

VICE : Te souviens-tu de ton premier rapport à la sexualité ?
Ben : J'avais 12 ou 13 ans, et je passais l'été dans un camp de vacances pour jeunes juifs. Nos moniteurs avaient décidé de nous montrer l'intégrale d'American Pie.

Ton éducation sexuelle est donc à mettre au crédit de Jason Biggs ?
Oui, on pourrait dire ça.

As-tu déjà reçu des cours d'éducation sexuelle ?
Pas avant la classe de première – ce qui s'est avéré inutile, vu que j'avais déjà connu ma première expérience sexuelle.

Comment as-tu vécu le fait d'avoir connu une expérience sexuelle tout en te rendant tous les jours dans une yeshiva ?
En réalité, ma famille est encore plus traditionaliste que mon école ne l'était. Les élèves là-bas mêlaient l'argent, la popularité et le sexe – c'était du grand n'importe quoi.

Publicité

La sexualité était un moyen de se rebeller contre les institutions, qui défendaient une vision intimiste et modeste du sexe. Je me suis rapidement rendu compte que j'étais à mille lieues de partager la vision du judaïsme orthodoxe – qui ne se privait pas de culpabiliser les individus allant à l'encontre du dogme établi.

Quelle a été la réaction de ta famille quand ils ont appris que tu avais couché avec quelqu'un avant le mariage ?
Ils ont fait avec. Aujourd'hui, je sors avec une non-juive, et ça leur pose problème. Comprenez-les : ils ont du mal à accepter que leur fils juif, très impliqué au sein de sa communauté, puisse aller chercher une fille en dehors. La situation est difficile, car mes parents refusent que l'on parle de ma copine quand on est ensemble. Ça me préoccupe beaucoup.

Peux-tu situer une date correspondant à ton entrée pleine et entière dans la sexualité ?
En fait, tout a vraiment commencé en première, quand j'ai découvert les joies du sexe oral.


Rebecca, 23 ans

VICE : Parle-nous un peu de ton éducation religieuse.
Rebecca : J'ai grandi au sein d'un foyer « métissé » : mon père est un orthodoxe moderniste tandis que ma mère est assez traditionaliste, mais pas pratiquante. J'ai étudié dans une école privée orthodoxe mais assez ouverte, et je me suis beaucoup impliquée dans la vie de la communauté juive du coin. J'allais à la synagogue, je respectais le shabbat, etc. Après le lycée, je me suis détachée de tout ça. Aujourd'hui, je vis dans un kibboutz en Israël – je ne vais plus à la synagogue.

As-tu des souvenirs de tes cours d'éducation sexuelle ?
Je n'ai jamais reçu un quelconque cours à ce sujet. Ma mère m'a appris à me protéger et ma gynécologue m'a raconté ce que je devais savoir sur le sexe.

Ta mère a-t-elle toujours été assez ouverte au sujet du sexe ?
Oui, son attitude libérale m'a beaucoup aidée, d'ailleurs.

Tes camarades de classe en savaient-ils autant ?
Au lycée, mes amis étaient souvent en couple, de manière totalement naturelle. Ils ne se rebellaient pas contre le système, ils profitaient simplement de la vie, fumaient, et faisaient la fête. Mon école était assez moderne, très loin de l'image des écoles non-mixtes.

As-tu déjà éprouvé une quelconque culpabilité au regard de ta vie sexuelle ?
En vieillissant, je me suis débarrassée de cette culpabilité. Aujourd'hui, je m'entends très bien avec mes parents, je vis avec mon petit ami – tout va bien.