FYI.

This story is over 5 years old.

LE NUMÉRO TROMPE-LA-MORT

Sapé pour la gloire

Lawrence Hayward a écrit plein de chansons pop extra, pourtant aucun de ses groupes – ni Felt, ni Denim, ni plus récemment Go Kart Mozart – n’a jamais réussi à sortir un vrai tube.

Lawrence Hayward a écrit plein de chansons pop extra, pourtant aucun de ses groupes – ni Felt, ni Denim, ni plus récemment Go Kart Mozart – n’a jamais réussi à sortir un vrai tube. Selon Lawrence, cela tient à deux choses : premièrement, sa capacité infaillible à ne jamais manquer une opportunité de manquer une opportunité et deuxièmement, son manque de chance. Il dit vrai sur ces deux points, je peux en témoigner. C’était en 1987. Après avoir sorti une série d’albums incroyables, salués par la critique, il devait jouer avec Felt, devant tous les plus gros labels, les éditeurs de musique et les critiques les plus influents. Tous les labels les plus importants, les éditeurs de musique et les critiques étaient là. C’était le concert le plus important de leur vie. Ce matin-là, Lawrence m’a appelé pour me proposer de se jeter un acide. J’ai accepté. Le reste de la journée s’est écoulé dans un tourbillon doré. Lawrence était persuadé qu’il pourrait jouer. « Oh, ça va aller », m’a-t-il dit juste avant de monter sur scène. Les lumières de la salle se sont éteintes, les projecteurs se sont allumés lentement et le premier accord a retenti. Je tripais à fond en me disant : « Putain, j’y crois pas, il va le faire ! » Et puis Lawrence a crié : « Arrêtez, éteignez les lumières. Tout le monde me regarde ! » On a éteint et le groupe a commencé à jouer dans le noir. Trente secondes plus tard, Lawrence s’est mis à crier : « Arrêtez tout ! » Sa voix a retenti dans l’obscurité et dans le silence quand il a dit, très calmement : « Je ne peux pas le faire. Si vous voulez vous faire rembourser, allez voir le mec derrière. » Puis, il a quitté la scène. Les autres membres du groupe étaient sidérés. Les spectateurs étaient déjà en train de chercher ce qu’ils allaient défoncer pour s’échauffer avant la baston. Plus tard, avec le groupe Denim, Lawrence a écrit « Summer Smash », une chanson pop super entraînante, immédiatement diffusée sur les radios commerciales. Mais, suite à la rencontre de la voiture de la princesse Diana et d’un des poteaux du pont de l’Alma, le morceau a vite été banni des ondes, tout ça à cause d’une malheureuse homonymie (smash peut signifier, entre autres, « accident »). Quelques mois plus tard, le label détruisait toutes les copies de ce grand tube avorté. Ne croyez jamais les compositeurs qui se disent heureux de rester des icônes underground. C’est un mécanisme de défense destiné à encaisser la défaite avec élégance. Pour Lawrence c’est important de réussir. Comme moi, il reste fasciné par les mythes et mystères de la musique populaire. Voilà pourquoi, alors même qu’aucun journaliste musical n’a réussi à lui tirer deux phrases de suite depuis une dizaine d’années, le seul sujet suffisamment important à ses yeux pour mériter une discussion a été le rapport entre la mode et la musique. Vice: Qu’est-ce que c’est?
Lawrence: J’ai apporté ce livre pour qu’on le regarde ensemble, ça s’appelle Knuckle Sandwich (ndlr : « coup de poing »). Ah, super, merci !
Le titre complet c’est Knuckle Sandwich: Growing Up in the Working-class City, et ça parle de gamins qui vont dans une boîte de nuit qui finit par être fermée à cause des bagarres. Je suis tombé amoureux des titres de chapitres. Regarde : « Nous détestons les humains », « Qu’est devenu le rêve adolescent ? », « La Chute du Black Horse Club, Première Partie ». C’est un peu comme la version originale du livre Generation X, en 1964. Ça m’a fait repenser à T.Rex, à Gary Glitter et à toute la période avant le punk ou les stars étaient encore de vraies stars. Avant l’année zéro.
Ce qui est marrant c’est qu’après l’année zéro, tous ces vieux trucs ont été mis au placard, mais t’avais encore le droit d’aimer T.Rex. Siouxsie a repris « 20th Century Boy » et Captain Sensible portait un grand tee-shirt T.Rex. Les Damned ont même fait une tournée avec eux. Marc Bolan était le seul à bien s’entendre avec les punks.
Je me souviens que je me dépêchais à la sortie des cours pour aller regarder le Marc Bolan Show. Il a invité Generation X, le premier groupe de Billy Idol. Tout le monde est passé dans son émission, PiL par exemple…
J’ai lu un reportage l’autre jour sur la façon dont s’est fait le premier disque de Public Image Limited. Il y avait une photo d’eux hallucinante. Johnny Rotten portait un tee-shirt qu’un fan lui avait envoyé avec sa propre tête dessus. Super bizarre, et violet. Dans l’article il disait : « On écoutait vachement Atomic Rooster, c’est un de leurs morceaux qui a inspiré la chanson “Public Image”. » Alors j’ai acheté le best-of pour essayer de comprendre d’où venait le riff que je reconnaissais et j’ai découvert que c’était du blues progressif. L’horreur.

À gauche : le groupe le mieux habillé d’Angleterre, vers 1986 ; à droite : Lawrence en cravate bola, photo par Alistair Indge

Keith Levene et Mick Jones m’ont raconté qu’ils traînaient dans un sous-sol avec Bernie Rhodes avant que Paul Simonon ne rejoigne les Clash. Ils regardaient des films ensemble, écoutaient des disques mais Rhodes leur disait de ne pas dire qu’ils s’entendaient bien.
C’est vrai. Le groupe préféré de Maurice Deebank (le guitariste de Felt), c’était Yes. Pendant des années, je lui ai interdit d’en parler dans les interviews. Je lui disais : si tu dis ça aux gens, on est morts. Mais Bernie Rhodes appartenait à la génération d’avant. Il comprenait ce qui était en train de se passer. Il leur donnait des tuyaux. C’était la même chose avec McLaren, Westwood et les fringues. Le truc, c’est qu’avant le punk je ne savais jamais où les gens avaient eu leurs fringues. Quand tu marchais dans la rue tu ne voyais personne qui s’habillait comme dans les groupes de rock. Mais le punk est arrivé et on s’est tous mis à s’habiller pareil. On faisait tout pour avoir l’air cool mais on ne pouvait rien porter de voyant. Il fallait réfléchir tout le temps à ce qu’on allait mettre. Lynval Golding des Specials m’a raconté que Bernie Rhodes l’avait pris un jour sous son aile et qu’il lui avait dit : si tu vois quelqu’un qui a un style d’enfer, sur qui tout le monde se retourne, alors il faut que tu lui piques ses idées. C’est comme ça que les choses changent. On en revient à l’idée de Larry Parnes selon laquelle tu dois avoir un gimmick, un look et un nom de scène.
On savait que c’était des noms inventés mais ils nous plaisaient quand même : Sid Vicious, Billy Idol, Billy Fury, Johnny Rotten. Mais surtout ils avaient les bonnes fringues. McLaren savait tout sur les fringues. Comment les couper, comment les mélanger, ce qui marchait, ce qui ne marchait pas. On a eu l’impression que le punk était né tout d’un coup, mais ce look reprenait plein d’éléments anciens, en les détournant. Malcolm et Bernie ont tout fait de A à Z.
Je suis pote avec un jeune groupe et j’aimerais bien leur donner des conseils mais j’ose pas. Ils se foutraient de ma gueule. McLaren et Rhodes avaient l’habitude de s’asseoir au Roebuck Pub et de ­commenter : tu devrais faire ceci, ceci et cela. Habille-toi comme ça et écris une chanson sur la soumission. Ouais, tout à fait !
Si je disais à ces gamins : « Tu devrais pas porter ces chaussures. On dirait que tu sors de chez Topshop », ils ne m’écouteraient pas. Ils avaient 15 ans quand je les ai rencontrés mais ils étaient sapés comme des ploucs. Ils avaient tous des cheveux extra qu’ils ne savaient pas comment coiffer. Aujourd’hui, les gamins écoutent les mêmes disques que leurs parents. Tous les groupes se ressemblent. Pourtant ils ont tous des stylistes !
Leur styliste les emmène à Topshop et ne va pas chercher plus loin. Ils ont tous des slims atroces qu’ils ont achetés dans un horrible magasin géant à Oxford Circus. Ils y vont et ils ont leur uniforme en un jour. Nous, on passait des semaines à faire les marchés pour trouver la bonne veste. Quand j’étais gamin, si j’étais allé au parc en futal moulant, je me serais pris des coups de latte – ou au moins des crachats.
Dans mon lycée à Birmingham, il y avait un gamin que son père forçait à porter des jeans moulants et il s’est fait exploser la gueule. Le type s’est presque rendu responsable de la mort de son fils. Aujourd’hui tu peux porter ce que tu veux, personne ne viendra te chercher des embrouilles. De ce côté-là, rien à craindre. À Birmingham, tes choix vestimentaires pouvaient te coûter la vie. Des gens te montraient du doigt, se mettaient à te poursuivre dans la rue, tous les hétéros et les fans de foot. Je me souviens que j’avais peur d’aller chez Barbarella, l’unique boîte punk du coin. Mais je ne pouvais le dire à personne. Il fallait tenir bon, c’est tout. Mes souvenirs des premiers concerts punk c’est ça : de l’excitation et de la peur. Tout était plus intense.
C’est plus la même chose. T’imagines aller à un concert et avoir peur ? C’est plus possible. Ou voir un groupe arriver sur scène et te dire que le chanteur a la classe ? La première fois que j’ai vu Siouxsie and the Banshees, je ne savais pas à quoi ils ressemblaient. Je suis arrivé en avance au concert, il n’y avait presque personne à part un mec sapé comme un clown. Il avait une grande frange noire et le pantalon le plus large que j’aie jamais vu. Je me souviens que je me suis dit : « Mais putain qu’est-ce qu’il porte ? » C’était la mode des jeans serrés. À la fin de la soirée il est monté sur scène. C’était John McKay, le guitariste des Banshees. Le fait de porter un truc comme ça était tellement nouveau que j’arrivais juste pas à comprendre. Aujourd’hui tu ne peux plus regarder quelqu’un en te disant : « C’est quoi ça putain ? » Cette année Go Kart Mozart va sortir un album intitulé On the Hot Dog Streets sur West Midlands Records ainsi qu’un mini album, Mozart Mini-Mart. Un film sur Lawrence réalisé par Paul Kelly et intitulé Lawrence of Belgravia devrait sortir en octobre (même si ça fait deux ans qu’on attend la sortie en octobre). PS : Douglas Hart est le mec le plus cool de Londres, google-le pour voir