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LE NUMÉRO EMBARGO

Une expérience fantastick

Récemment, trois adultes mâles ont fait tourner leurs baguettes à quelques centimètres au-dessus des reins de votre serviteur, étendu à plat ventre sur un divan rouge.

L’auteur se fait dérouiller les reins à la baguette

Récemment, trois adultes mâles ont fait tourner leurs baguettes à quelques centimètres au-dessus des reins de votre serviteur, étendu à plat ventre sur un divan rouge. Toutes les cinq minutes, ils me demandaient si je « sentais quelque chose ». Ils espéraient, en agitant ces sticks en inox remplis de « minéraux cristallisés », soulager une névralgie qui me causait depuis des années des douleurs aussi insidieuses que constantes. Si mon mal n’en a pas été perceptiblement réduit, des centaines de personnes à travers le monde sont pourtant convaincues du puissant pouvoir guérisseur de ces baguettes.

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Ma première expérience de wanding s’est produite dans une charmante maison centenaire à Mont Vernon, dans l’État de New York. Son propriétaire, Paul Saenz, un quadragénaire, m’avait invité chez lui pour une démonstration de l’AMwand, l’un des nombreux produits de bien-être proposés par Amega Global, une société de vente par cooptation. Paul, musicien à mi-temps et père de deux enfants, est le fondateur de Resonance Technology Global, entreprise par le biais de laquelle il vend, entre autres, des articles Amega. Il est devenu revendeur de cette marque très peu de temps après s’être procuré sa première AMwand (dont le prix de vente au détail se situe autour de 300 dollars), à la mi-mars.

À peine entré dans la maison de Paul, je suis tombé sur deux hommes en train de passer vigoureusement leurs sticks sur un troisième dans le salon. Fasciné, je leur ai posé quelques questions maladroites – qu’est-ce qui se passe ici ? – avant de me présenter. L’astické débutant se nommait Mike Joyce, et les astickeurs étaient son frère John (alias Juicecan) et son ami Pers Van Kragg. Lorsque j’ai demandé à Mike s’il lui semblait que quelque chose émanait de la baguette, il a affirmé ressentir un « picotement général » dans le dos et autour de la tête. John l’a interrompu en expliquant que cela ­provenait de la « stimulation subatomique des cellules ». Cette déclaration m’a mis mal à l’aise, et je me suis glissé d’un air détaché vers la cuisine où se trouvaient les autres invités.

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Paul et sa femme Cheryl avaient rassemblé ce soir-là un petit groupe d’amis et de connaissances, tous intéressés, chacun à leur niveau, par Amega et ses produits. Certains avaient déjà eu accès à des baguettes, voire en possédaient une, et leurs louanges étaient unanimes. Paul, cela va de soi, avait hâte de démontrer les multiples propriétés de l’AMwand. Les présentations faites, nous nous sommes donc dirigés vers son jardin pour une dégustation de vin wandé.

Ce vin, a expliqué Paul, était le moins cher que sa femme avait pu trouver ; ceci afin de rendre les effets de la baguette d’autant plus apparents. Il a placé deux verres à pied sur la table du patio et les a remplis. Pers et Juicecan, tous deux heureux propriétaires d’AMwands, se sont mis à m’expliquer que le wanding du vin, quelle qu’en fût la qualité, constituait un exhausteur de goût notable. Paul, occupé quelques minutes plus tôt à passer la baguette sur une cigarette pour en éliminer les impuretés, s’est introduit dans la conversation pour préciser qu’il faisait de même pour toutes les boissons : «

J’ai wandé du vin, de l’eau, des sodas, du jus de fruit. On dirait que cela leur enlève ce petit arrière-goût amer.

» Après avoir servi les deux verres de vin, il en a placé un de l’autre côté de la table puis s’est mis à faire tourner sa baguette en petits cercles rapides, dans le sens des aiguilles d’une montre, à quelques centimètres au-dessus du verre choisi. Cela a duré environ cinq minutes. Quand Paul a fini, j’ai testé le vin non wandé. Il avait l’arôme des jus mal vieillis et a recouvert ma langue d’une pellicule amère. Puis j’ai goûté le verre traité. C’était subtil, mais le vin m’a en effet semblé

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légèrement

moins acide. Avec le recul, cette impression d’amélioration aurait tout aussi bien pu être due aux pouvoirs de l’auto-persuasion (et au fait que la seconde gorgée de n’importe quel vin paraîtra ­toujours meilleure une fois que les papilles se sont habituées à la ­première), mais je n’en étais pas moins intrigué.

Outre son implication auprès d’Amega et d’autres sociétés de vente par cooptation, Paul est chef de projet dans la construction d’antennes téléphoniques et de stations de transmission. «

C’est ­ironique,

me dit-il,

car la fonction première de la baguette est de réparer les dommages infligés à nos “champs bio-énergétiques

par les appareils émettant des fréquences radio et autres perturbations magnétiques.

» En effet, selon un PowerPoint officiel d’Amega, les êtres humains ­possèdent un « champ bio-énergétique composé ­d’organismes imperceptibles, dont le potentiel énergétique renforce la puissance et la solidité du champ biologique. » On y apprend ­également qu’il existe dix « champs corporels » auxquels un coup de baguette peut faire du bien, et que « la physique quantique a révélé que tout n’est qu’énergie dans l’univers ».

«

Nous sommes irradiés en permanence : par l’antenne électromagnétique du coin, le routeur sans fil de la maison, le téléphone dans notre poche – quand nous ne le portons pas à nos oreilles,

explique Paul lorsque je m’enquiers des effets biologiques néfastes de la révolution des télécoms, et du potentiel de l’AMwand à les corriger.

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Même si ton appareil fonctionne en Bluetooth, tu vas quand même être exposé à ce qu’on appelle l’“électro-pollution”. C’est un phénomène totalement nouveau pour l’humanité, vieux de cinquante ans à peine. Avant, il n’y avait pas d’équivalent à ces ondes radio qui mitraillent nos cerveaux. Elles affaiblissent notre champ bio-énergétique, et le concept même d’Amega est de le renforcer.

»

Paul Saenz et sa formidable AMwand

Le médaillon AMpendant fonctionne quasiment comme la baguette mis à part qu’il est omnidirectionnel, qu’il doit être porté en permanence par son propriétaire, et qu’il n’est pas nécessaire de le faire tourner pour en activer les effets

Amega et son AMwand sont entrés dans la vie de Paul il y a quelques mois. Des collègues dans le marketing touristique lui avaient recommandé de se renseigner sur les produits Amega, qui selon eux étaient exceptionnels et « incroyables », au meilleur sens du terme. Après avoir consulté le site de la firme et conduit quelques recherches personnelles en ligne, Paul a décidé de tenter le coup et d’acquérir sa toute première AMwand. Il l’a reçue quelques semaines plus tard et affirme qu’il en a immédiatement ressenti les effets sur son corps. Après quelques minutes seulement, il s’est mis à soumettre à la baguette tout ce qui lui passait sous la main.

«

J’ai une épaule démise. La douleur descend jusque dans ma main,

raconte Paul lorsqu’il se remémore sa première expérience avec la baguette

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. J’ai consulté des acupuncteurs, fait des massages thérapeutiques, tout essayé – rien n’a marché. Je me suis wandé pendant trois minutes le soir où j’ai reçu la baguette, et le matin suivant la douleur avait disparu

. »

J’ai regardé Paul droit dans les yeux lorsqu’il a prononcé ces paroles, et pendant les nombreux autres récits apparemment délirants qu’il nous a racontés ce soir-là (il a perdu sept kilos en un mois grâce à la baguette, le mal de dos de sa femme a disparu, sa voisine portugaise de 75 ans, qui attend une prothèse de la hanche, a eu beaucoup moins de difficultés à marcher après cinq minutes de wanding, etc.). Je lui ai demandé s’il avait essayé la baguette sur son pénis. Il m’a répondu que non, mais qu’il avait bien envie de tenter une huile de massage chauffante nommée Inflame, également produite par Amega. Cependant, rien de ce qu’il a dit ou fait ce soir-là – aussi ­ridicule ou tiré par les cheveux que cela m’ait paru – ne m’a fait ­douter de sa croyance sincère dans les pouvoirs de la baguette. Et il est loin d’être le seul adepte.

L’AMwand est sorti sur le marché américain en janvier dernier ; depuis, le nombre d’associés Amega à travers l’Amérique n’a cessé de croître, plus convaincus les uns que les autres que la baguette, comme les autres produits de la société, fait des miracles. Au palmarès de ses vertus, elle est censée soulager les courbatures et autres douleurs corporelles, stimuler la circulation, réduire l’acidité des citrons, améliorer la valeur nutritive des aliments, apaiser les migraines et « énergiser » n’importe quel objet organique ou inanimé pouvant supporter qu’on agite un stick à ses côtés.

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On peut lire sur le site d’Amega Global que l’entreprise a été ­fondée à Singapour en 2006 par un consortium de trois sociétés : un fabriquant de produits de bien-être, un fonds d’investissement et une « agence en développement humain ». La majeure partie de leurs ­produits est fabriquée en Asie et en Australie. Au cas où vous vous poseriez la question, ses fondateurs ont choisi le nom d’Amega Global car ils voulaient créer «

A Mega Global company

», soit une super-société mondiale. Et si l’on en croit les revendeurs de la marque, ce ­programme connaît un succès inouï. Certains distributeurs m’ont affirmé que les bénéfices des préventes de l’AMwand s’élevaient à 42 000 dollars en décembre 2009, à 885 000 dollars le mois de son lancement, et au chiffre incroyable de 2,5 millions de dollars en février

[à l’heure de l’impression de cet article, aucune donnée plus récente n’était encore disponible]

. Il n’est pas possible d’évaluer la véracité des chiffres fournis par Amega. Aucun des mails que j’ai envoyés, aucun des messages que j’ai laissés sur le répondeur des administrateurs de la société n’a reçu de réponse. À dire vrai, le seul employé direct d’Amega ayant accepté de me parler a été un agent de leur service clientèle, qui m’a indiqué qu’il n’existait pas de service de relations presse et qu’il n’avait pas lui-même accès aux chiffres des ventes. Il m’a conseillé d’envoyer un mail à une adresse générale – lequel est également resté sans réponse. Et pourtant, chaque revendeur que j’ai rencontré a été absolument enthousiaste quant aux produits Amega, et m’a confié que les chiffres des ventes constituaient un solide revenu d’appoint, voire l’équivalent d’un plein-temps. En fait, selon la plupart des Amegadeptes interrogés, la réussite du ­programme est telle qu’elle a suscité un afflux de baguettes de contrebande sur Internet, moins chères, mais qui selon eux ne ­fonctionnent pas.

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L’humidificateur ultrasonique d’Amega a émis des parfums envoûtants

Paul passe un verre de vin à la baguette pour une dégustation

J’ai passé le reste de la nuit chez Paul, testant la baguette sur moi, sur l’eau, sur les bières ; essayant l’ADN, un complément alimentaire en poudre d’Amega (qui ressemble à un sachet d’Emergen-C, la boisson ultravitaminée) ; humant la vapeur AMisée d’un humidificateur ultrasonique ; et écoutant les témoignages de Paul, Pers et les autres, qui prétendent avoir soulagé des maux de toutes sortes grâce à la baguette. Quelqu’un (dont j’ai promis de tenir l’identité secrète) a eu la brillante idée de passer de la marijuana à la baguette afin de « l’anti­oxyder », dans l’idée d’intensifier sa saveur et, qui sait, ­d’accroître ses effets. Deux participants ont agité leurs sticks au-­dessus d’un bol en céramique rempli d’herbe pendant quelques minutes, avant d’en placer une partie dans un bang, lequel a été passé à la baguette une seconde fois. L’un des invités a préparé le bang, allumé la weed, et tiré une bouffée. Je lui ai demandé s’il était plus défoncé qu’avec de la beuh non wandée. Il n’a pas réussi à trancher, mais à en juger par ses yeux, il était

complètement

défoncé.

Quelques minutes plus tard, Paul a jugé qu’il était temps de me faire subir mon premier wanding corporel complet. Il m’a demandé si je souffrais de douleurs ou autres. Je lui ai répondu que j’avais une petite sciatique. Il m’a alors demandé de retirer mes chaussures, de m’allonger sur le divan, de fermer les yeux et de vider mon esprit. L’instant d’après, Pers, John et Paul me passaient le dos au triple stick. Comme je l’ai déjà dit, je n’ai perçu aucune différence après le wanding. Je me sentais relaxé, mais c’est en général l’effet qu’a sur les gens une sieste de 15 minutes, allongé sur un canapé. Paul m’a dit que je faisais peut-être un blocage inexpliqué et qu’il fallait parfois attendre un jour entier pour ressentir les bienfaits de la baguette.

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Paul, que ma résistance aux effets du stick n’a pas plus perturbé que cela, a ensuite proposé à la petite amie de Pers, Bobbie Jo Mason, de monter sur le divan pour tenter l’opération. Elle prétendait n’avoir jamais essayé la baguette. Bobbie Jo a souffert d’un cancer des os pendant 13 ans, et en a réchappé au prix de trois hernies discales et de sérieux dommages nerveux sur toute la moitié droite de son dos. Elle prend régulièrement toutes formes d’antidouleurs et a récemment envisagé de se faire implanter un stimulateur nerveux dans la ­colonne vertébrale. Elle s’est allongée sur le canapé tandis que Paul, John et le fils adolescent de Pers, Matthew (qui, à propos, avait joué réguliè­rement le générique de fin d’

Halloween

sur le piano de Paul tout au long de la soirée) se sont attachés à faire tourner intensément leurs baguettes sur son corps. Après quelques minutes de silence et de concentration, ils ont insisté pour que je prenne moi aussi une baguette et participe à l’opération. J’avais l’impression d’abuser de Bobbie Jo en quelque sorte, mais refuser de jouer le jeu me paraissait encore plus embarrassant.

Vingt minutes plus tard, la session de wanding a pris fin. Bobbie Jo est restée allongée sur le canapé quelques minutes avant de se lever doucement. Elle souriait. «

Mon dos va beaucoup mieux !

a-t-elle déclaré

. Avant, je ne pouvais pas me pencher en avant. Je ne sais même plus quand j’ai réussi à toucher mes orteils pour la dernière fois, je ne plaisante pas

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. » Je lui ai demandé si elle était désormais convaincue, et elle a répondu : «

Je crois bien que c’est le cas

. »

Je me suis demandé si Bobbie Jo n’était pas un faux témoin invité à la soirée au cas où je ne sentirais pas moi-même les effets de la ­baguette. Cela dit, je n’avais aucune preuve solide que cette réunion était truquée, et les cicatrices de chimio sur ses épaules témoignaient douloureusement que ses histoires de cancer des os n’étaient pas mythonnées.

John Joyce en plein wanding de son petit frère Mike

Quelques jours plus tard, j’ai envoyé un mail à Paul pour lui demander s’il serait possible d’emprunter une de ses baguettes, afin de l’utiliser de manière plus informelle dans un environnement qui me serait familier. Il a eu la gentillesse d’accepter. J’ai pu essayer la baguette pendant une semaine, durant laquelle j’ai suivi le manuel d’instructions et pratiqué les différents exercices de purification du champ d’énergie pour en retirer les quelconques saletés qui pouvaient y traîner. J’ai tout wandé exhaustivement, moi, ma copine, des ­collègues, le chien d’un ami, mes repas, le vin, l’alcool, la bière, et même mon ordinateur. Tout ce que j’en ai tiré est un échauffement du poignet. Après avoir lu sur un forum que la baguette pouvait ne pas marcher sur tout le monde, j’ai jugé qu’il était temps de contacter des distributeurs extérieurs à la sphère de Paul pour voir ce qu’ils avaient à en dire.

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L’un des revendeurs que j’ai rencontrés est un chiropracteur de 71 ans, Jack Herd, qui exerce à Camp Hill en Pennsylvanie. Je lui ai proposé une interview après avoir trouvé son nom au hasard en cherchant sur Google la liste des représentants Amega aux États-Unis. Il m’a raconté avoir récemment rencontré une patiente lors d’un office dans sa paroisse ; elle se plaignait d’une douleur tellement intense au genou qu’elle craignait de ne pas même pouvoir se rendre à son ­travail le ­lendemain. «

Je lui ai dit de venir me voir à mon cabinet,

se souvient Jack

. J’avais prêté ma baguette – la seule que je possédais à l’époque, ­maintenant j’en ai trois – à un expert en massage thérapeutique, à qui j’ai donc demandé de passer. Il l’a wandée pendant quatre minutes. Quand elle est descendue de sa chaise, elle s’est écriée que la douleur avait totalement disparu, et elle a demandé à commander sa propre baguette immédiatement, depuis mon ordinateur.

»

Comme Paul, Jack a déjà participé à de nombreux systèmes de vente par cooptation. En tout état de cause, pas un des représentants Amega avec qui je me suis entretenu ne déroge à cette règle : tous grimpent les échelons de divers programmes pyramidaux depuis des années. Comme Paul également, Jack est persuadé des capacités de la baguette à sonder des sources d’énergie jusqu’alors inaccessibles.

J’ai aussi rencontré Ronnie Lane qui, à 67 ans, est représentant Amega à plein temps. Il est musicien de blues amateur et signe ses mails «

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Have Fun & Keep Rockin’

». Ronnie m’a appris qu’il a été l’un des premiers à commercialiser l’aloe vera aux USA à la fin des années soixante. Il croit fermement au potentiel de la gamme Amega, qui peut «

auto-démontrer son efficacité en trois à dix minutes

». Il m’a raconté l’histoire de son ami Chuck, un monsieur d’un certain âge qui utilise ses problèmes de santé comme prétexte pour attirer l’attention. «

Quand je suis allé le voir à la maison de repos, il a fallu que je lui parle sérieusement et directement,

raconte Ronnie

. Je lui ai dit, “Chuck, je sais que tu aimes flirter avec les infirmières, qu’elles te donnent ta Vicodine et des antidouleurs ; toi aussi tu sais que tu aimes aller voir tous ces docteurs, au fond, et faire cette chimio. Toute ta vie tourne autour du fait que tu ne vas pas bien.” Puis j’ai ajouté : “Je ne peux pas te promettre que cette baguette va faire quoi que ce soit, mais tu dois toi-même, par ton attitude, par ce en quoi tu crois, trouver l’envie de ne pas passer le reste de ta vie ici.”

» Ronnie a ensuite wandé Chuck pendant 25 minutes. Trois jours plus tard, ce dernier a fait une analyse d’antigène prostatique spécifique (PSA). Ronnie affirme que le niveau PSA de Chuck avait baissé de 100 points et que même son docteur n’en revenait pas.

Le distributeur Amega le plus important du nord des États-Unis se nomme Sam Adams. D’après tous les revendeurs « subalternes », c’est lui qui a introduit l’AMwand et d’autres produits Amega sur le continent cette année, et qui a créé la plupart des premiers sites et vidéos YouTube au sujet d’Amega. Aujourd’hui, il siège au sommet d’un réseau pyramidal en croissance constante. Le mystère de ce personnage, qui n’a jamais donné suite à mes nombreux appels, n’est pas complètement éclairci. Cependant, Ronnie m’a indiqué une vidéo sur YouTube où Sam raconte qu’il a découvert Amega aux Philippines, lors d’un passage dans un centre nommé NURA Bien-Être et Énergie, un institut qui propose « une solution holistique de soins préventifs, de gestion du stress, de bien-être personnel et d’ajeunissement [sic] ». Je n’ai pas réussi à établir la nature exacte du lien entre NURA et Amega, mais on retrouve de nombreux noms en commun parmi leurs comités d’administration ou leurs consultants, et tous deux commercialisent des produits utilisant la Technologie de Fusion AMisée. Sam est rentré de ce voyage très impressionné par le business model et les produits de NURA, et on connaît la suite.

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Si l’on en croit les publications d’Amega, l’AMwand fonctionne grâce au principe de l’énergie du point zéro, un phénomène de physique quantique mis à jour par Albert Einstein et Otto Stern en 1913. Pour faire simple, l’énergie du point zéro est un océan sous-jacent et invisible d’énergie subatomique, qui perdure même quand toute l’énergie d’un système a été dépensée. Les produits Amega sont prétendument imprégnés de cette énergie du point zéro grâce au processus technologique secret de l’AMfusion, qui a été déposé par la société (aucun de mes interlocuteurs n’avait la moindre idée de la nature de cette opération, bien que certains m’aient confié avoir entendu dire que la création d’une seule baguette dure vingt heures). La mise au point du procédé a, paraît-il, nécessité quinze ans de recherches en biophysique. Les partisans de l’AMwand prétendent qu’elle a le pouvoir de concentrer cette énergie de manière à éliminer les distorsions dans les champs bio-énergétiques de nos corps, en rappelant à nos cellules « d’où elles viennent », ce qui permet à la personne soumise à la baguette de revenir à un état homéostatique plus sain. L’attirail d’Amega va des médaillons énergisés aux bracelets, en passant par les produits alimentaires, les crèmes de soin, un « visualiseur d’émissions de gaz » qui détecte et diagnostique les troubles dans le champ bio-énergétique de son utilisateur, des systèmes d’aromathérapie diffusant de la vapeur AMisée, et autres outils d’optimisation des énergies.

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Après sa séance d’AMwand, Bobbie Jo a affirmé pouvoir toucher ses orteils pour la première fois depuis des années

Le test au radio fréquencemètre de Lorcan Folan a conclu que la baguette n’émettait pas grand-chose

Nombreux sont les bonimenteurs et les escrocs qui, au cours du siècle, ont mis sur le marché des gadgets permettant soi-disant de ­puiser un certain volume d’énergie du point zéro – généralement, il s’agissait de machines à mouvement perpétuel et d’objets déconcertants fonctionnant sans aucune source d’énergie externe. La plupart de leurs revendications vont à l’encontre des lois fondamentales de la physique. Dans un souci d’information publique, j’ai jugé qu’une étude scientifique de la baguette s’imposait. J’ai contacté Bernard Haisch, un astrophysicien quelque peu controversé mais non moins réputé. Assisté d’Alfondo Rueda, il a conduit une étude approfondie sur l’énergie du point zéro et développé une théorie expliquant l’origine de l’inertie qui pourrait un jour servir à la propulsion des navettes spatiales. Haisch est plutôt ouvert d’esprit pour un type dont la préoccupation quotidienne consiste à sonder les mystères de la physique quantique. Il s’intéresse aux ovnis et a publié en 2006

The God Theory: Universes, Zero-Point Fields, and What’s Behind It All

(La Théorie divine : ce qui se cache derrière les champs du point zéro et les univers), un ouvrage qui tente de réconcilier les croyances ­religieuses classiques avec la logique scientifique.

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En amont de notre entretien, j’ai transmis à Bernard une rapide explication de ce qu’est l’AMwand accompagnée de liens vers les sites de divers revendeurs Amega. Lors de notre discussion téléphonique, il a descendu en flèche les principes du fonctionnement de la baguette (d’un point de vue scientifique, du moins) : «

C’est une arnaque totale. La mesure de l’énergie du point zéro est un processus extrêmement ­précis et délicat. On peut le faire en laboratoire. On peut produire quelques effets très, très subtils sur le spectre atomique, et autres choses comme ça. Mais prétendre que l’on peut y parvenir avec une baguette est une escroquerie, et que cela pourrait influencer le corps humain une chimère. C’est comme si on disait : “J’ai une baguette qui modifie la gravité. Je vais l’agiter autour de ta tête et tu pourras flotter.”

»

J’ai demandé à Bernard pourquoi des entreprises telles qu’Amega et leurs clients s’étaient entichés d’un tel phénomène de physique quantique, si complexe et si difficilement mesurable. « “

L’énergie du point zéro” est devenu un mot à la mode dans les cercles new age, qui ont tendance à l’utiliser pour décrire toutes sortes de choses,

a-t-il soupiré

. C’est Dieu, c’est la conscience… j’ai entendu tout et n’importe quoi. En physique, c’est un concept très clairement défini, qui n’a aucune de ces propriétés. Soit les gens ne comprennent pas cela, soit ils le savent et essaient d’abuser de la crédulité des autres

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. »

Après avoir passé la soirée chez Paul et parlé à plusieurs adeptes d’Amega à travers le pays, je commençais à avoir une désagréable impression de manipulation mentale, ou du moins d’un véritable phénomène de pensée grégaire. Les organisations pyramidales sont déjà inquiétantes en elles-mêmes, en particulier dans le domaine de la santé et du bien-être ; mais j’ai surtout été troublé par le fait qu’aucun des adeptes ni même des distributeurs Amega que j’ai rencontrés n’aient la moindre idée du fonctionnement des produits de la marque, au-delà des expressions fourre-tout de « technologie de fusion AMisée » et « énergie du point zéro ». En général, ils se contentent de répéter ce qu’ils ont lu dans les brochures d’Amega. On se croirait face à une sorte d’Amway (

ndlr : pour

«

American Way

»,

multinationale de vente par cooptation spécialisée en beauté, bien-être et nutrition

) teintée d’un soupçon d’ésotérisme scientologique pour faire bonne mesure. Indépendamment de ceci, absolument tous les distributeurs et partisans de la baguette que j’ai pu rencontrer ont fait preuve de la plus grande gentillesse et m’ont semblé bien intentionnés.

Un autre sujet d’inquiétude est apparu alors que je faisais des recherches sur Amega et sa baguette après la soirée chez Paul. J’ai entendu parler du Médaillon Quantique, un pendentif énergisé ­produit par une société malaisienne nommée Cosway, présenté comme possédant la plupart des caractéristiques de l’AMwand. En octobre dernier, une analyse du médaillon par des agents des douanes hong-kongaises a révélé qu’il contenait du thorium-232 et de ­l’uranium-238 à des niveaux suffisamment élevés pour provoquer des érythèmes et pour augmenter les risques de cancer de la peau. Suite à cette révélation, 2 835 Médaillons Quantiques ont été retirés en urgence d’une chaîne de magasins. Par ailleurs, une version quasi-identique du produit est disponible directement sur Amazon pour 29,99 dollars sous le nom de Médaillon Quantique à l’Énergie Scalaire. La société FusionExcel, qui fabrique cette version-ci, a déclaré que le pendentif radioactif produit par Cosway était une ­imitation non agréée.

Ce rebondissement m’a fait craindre que tous ces jeux de baguette n’aient énergisé chez moi qu’un mélanome, c’est pourquoi je me suis immédiatement mis à la recherche de quelqu’un ayant accès à un compteur Geiger afin de tester l’AMwand. Par chance, Lorcan Folan, le directeur de la faculté de physique à l’Institut polytechnique de l’Université de New York, est venu à ma rescousse. Ou plutôt, je me suis rendu à son bureau où il m’attendait avec un compteur Geiger, prêt à me dire si oui ou non j’avais passé la semaine à m’appliquer un stick radioactif sur le corps.

Il a activé le compteur, attendu quelques instants qu’il préchauffe et – dans un renversement de situation – l’a passé sur la baguette. J’ai suivi les mesures des yeux en serrant les fesses. «

Bon, elle n’est pas radioactive,

a déclaré Lorcan.

Tout va bien

. »

J’ai souri et me suis enfin détendu. Sur le chemin du bureau de Lorcan, je m’étais aussi souvenu d’une déclaration de Paul selon laquelle l’énergie de la baguette était mesurable en mégahertz. J’ai demandé à Lorcan s’il possédait quoi que ce soit pour vérifier cette affirmation. C’était le cas : il s’est levé et a ramené un radio fréquencemètre. Je l’ai regardé le tester sur un micro-ondes en marche et j’ai vu l’aiguille bondir. La baguette, en revanche, n’a pas semblé susciter la moindre réaction de la machine. «

On peut dire sans risque de se tromper que cette chose n’émet rien du tout,

a lâché Lorcan.

Elle n’est même pas magnétisée.

» J’ai envisagé d’essayer d’ouvrir le stick pour voir ce qu’il y avait dedans, mais étant donné qu’il n’émet pas de fréquence, d’aucune sorte, cela aurait été inutile.

Si l’AMwand n’est pas magnétique au sens d’électriquement chargée, son pouvoir d’attraction est indéniable, bien que d’une autre nature. En moins de six mois, des centaines voire des milliers d’Américains en sont venus à croire que cette baguette était un objet merveilleux, capable de soulager leurs problèmes de santé et de constituer une source de revenus non négligeable. Cela fonctionne pour certaines personnes, même si leurs espoirs sont fondés sur une pseudo science voire sur des mensonges. Bien que toujours sceptique face aux propriétés de la baguette ou à la philosophie commerciale d’Amega, je ne peux pas nier qu’il y a là une forme de magie à l’œuvre. Il semble que je doive simplement me résoudre au fait que je ne saurai jamais vraiment s’il s’agit d’une escroquerie pure, ou d’un phénomène mystique que je suis trop buté pour saisir.

Rocco a filmé son expérience avec la baguette pour VBS.TV : regardez-la – c’est bon pour votre champ bio-énergétique