FYI.

This story is over 5 years old.

Photo

Mossless en Amérique : Dana Lixenberg

Des images des ghettos de Los Angeles, des SDF de l'Indiana et de Puff Daddy dans son 1 200 000 m².

Photo de Dana Lixenberg : Tabatha Joy O'Riley, Jeffersonville, Indiana, 2013

Mossless en Amérique est une colonne qui parle de photographie et dans laquelle sont publiées différentes interviews de photographes. Cette série est réalisée en partenariat avec les ogres de Mossless magazine, une revue photo dirigée de main de maître par Romke Hoogwaerts et Grace Leigh. Romke a lancé_ Mossless en 2009. À l'époque, ce n'était qu'un site pour lequel il interviewait un photographe tous les deux jours. Depuis 2012, le magazinesort en version papier et s’est fait remarquer lors de l'exposition du Millennium Magazine _au Musée d'art moderne de New York, avant de recevoir le soutien de l'organisation Printed Matter. Leur troisième numéro, consacré à la photographie documentaire américaine des années 2000, s’intitule « The United States (2003-2013) ». Il est sorti au printemps dernier. Chopez-le.

Publicité

Dana Lixenberg est une photographe qui s'intéresse aux marginaux et aux exclus de la société. Si elle collabore régulièrement avec le New Yorker, Vibe, et Time, elle n'a jamais renoncé à son approche documentaire de la photographie. Elle a notamment travaillé sur les logements sociaux du sud de Los Angeles, sur les centres d'accueil pour SDF dans l'Indiana ainsi que sur la déculturation à Nome, en Alaska. Dans ces reportages, Lixenberg n'a jamais cessé de mettre en lumière l'humanité de ses sujets et d'insister sur la fragilité de l'existence humaine.

Mossless : Vous avez beau être Néerlandaise, les États-Unis – et notamment son déclin industriel – semblent susciter chez vous un fort intérêt. Comment l'expliquez-vous ?
Dana Lixenberg : Mon travail évoque les aspects négatifs inévitables qui vont de pair avec le capitalisme, notamment la dimension aliénatrice du travail. Je ne crois pas avoir photographié des régions spécialement industrielles. Peut-être que les États-Unis ont, pendant un temps, été un pays extrêmement productif au niveau industriel, mais la pauvreté a toujours existé. Vous avez mis en lumière des exemples extrêmes d'évolution économique.
Je pense que le capitalisme est aujourd'hui un bienfait ; cela paraît évident lorsque l'on compare l'évolution des anciens pays communistes avec celle des pays qui se réclament toujours de cette idéologie. Je veux affronter la réalité et la face obscure de ce système que je trouve extrêmement attirant. Il me paraissait aussi intéressant de photographier des célébrités.

Publicité

Puff Daddy, Los Angeles

Il est assez fascinant de mettre en parallèle ces photos de stars à côté de celles de sujets inconnus.
J'ai beaucoup de chance d'avoir pu mettre en lumière des univers aussi différents : celui des stars, des sportifs et des rebuts de la société. Mon approche reste toujours la même ; j'insiste en permanence sur la fragilité de l'existence humaine.

Lorsque je prends en photo des stars, je ne cherche pas à améliorer leur image. Je veux au contraire révéler leur personnalité et dévoiler qui ils sont vraiment lorsqu'ils retirent leur masque.

Même si je prends du plaisir à faire cela, je ne compte pas dépenser tout mon argent à tenter de photographier des célébrités. Ce travail est assez limité, notamment en comparaison avec celui que j'effectue avec des inconnus. Les portraits documentaires et les photos de paysages demandent du temps à faire. Je me mets en retrait du monde et je ne me presse pas. Je peux ainsi mieux contempler l'environnement qui m'entoure. Le quotidien des individus que je photographie m'intéresse ; il révèle énormément sur leur vie. Tout comme les situations banales, les détails m'inspirent beaucoup. Certains de mes clichés peuvent paraître ennuyeux car rien ne se passe, mais j'adore jouer avec cela et me situer à la limite de l'ennui.

Mon projet Jeffersonville, Indiana, se déroule dans une ville complètement banale. C'est un lieu que vous ne faites que traverser et où rien n'est remarquable. Saviez-vous que les photographes qui ont travaillé sur la culture américaine ont une histoire fascinante ? J'essaie d'ajouter ma pierre à l'édifice, en mettant l'accent sur les injustices sociales. Si je sais pertinemment que je ne serai pas à l'origine d'un quelconque changement social, je suis persuadée que je peux faire bénéficier aux gens que je photographie d'une présence intemporelle dans ce monde, ce qui leur donne en quelque sorte de l'importance.

Publicité

Photo de la série No Place Like Nome

Ces clichés peuvent avoir un impact. Je pense à ces peuples de l'île de Shishmaref en Alaska qui perdent peu à peu leur culture.

J'avais prévu de déménager juste avant de me rendre à Shishmaref. J'avais vécu pendant des années à Broadway et je savais que mon temps là-bas était compté. Mais cela n'est pas comparable avec le fait de quitter un endroit dans lequel vos ancêtres ont vécu pendant 2 000 ans. La culture et l'histoire des Inupiaq disparaissent peu à peu. Désormais, les enfants sont américanisés. Ils sont réceptifs à de nouvelles influences, tout comme nous.

Ils ont un mode de vie très frugal – ils chassent car la nourriture dans les magasins est très onéreuse. Le pourcentage d'individus dépressifs est extrêmement élevé en Alaska. Les gens sont isolés, ils n'ont pas de lumière en hiver et le taux de suicide est très important – spécialement chez les jeunes. J'ai ressenti une sorte de pression sur place. Il est très difficile de partir de cet endroit pour trouver un travail ailleurs, car c'est là-bas que se trouvent les autres membres de leur communauté.

 DJ, 1993, de la série__ Imperial Courts

Imperial Courts est un des premiers projets que vous avez réalisé aux États-Unis. Il met en avant la vie des habitants des logements sociaux californiens en 1993, et vous avez récemment décidé de reprendre ce projet. Aviez-vous cette intention depuis le début ?

Publicité

Non, pas du tout. Ce travail a débuté lors des émeutes raciales de Los Angeles – un moment charnière de l'histoire de ces gens. L'attention médiatique était importante et principalement concentrée sur Imperial Courts, Nickerson Gardens et Jordan Downs, des quartiers populaires très anciens. Avec ce projet, j'ai bâti ma manière de faire de la photo. J'ai commencé à travailler avec une chambre 4x5 que j'utilise toujours aujourd'hui. J'ai montré mes clichés à Vibe, un magazine totalement nouveau à l'époque. Ils ont publié un portfolio de mon travail et commencé à travailler avec moi. Tout mon travail photographique en Amérique à pour origine directe ou indirecte cette série là.

J'ai gardé des contacts avec les gens de ces quartiers. Je me suis rendue à Imperial Courts avec une équipe de télévision néerlandaise en 1999. Ils faisaient un documentaire sur mon travail. Ils ont filmé certaines des personnes que j'avais rencontrées quelques années auparavant. Certains de mes contacts étaient décédés, notamment Tony Bogaert, le leader d'un gang local avant de devenir chef de la communauté et de négocier un accord de paix avec un clan rival. C'est lui qui a accepté ma présence à Imperial Courts en 1993. Il s'est fait tuer en 1994. Mes photographies sont devenues des documents importants pour les gens qui vivent dans ces quartiers. Aujourd'hui, un certain nombre d'entre eux sont morts ou sont partis en prison.

Publicité

 Toussaint, 1993__

Puis, Katrina a eu lieu. Les gens ont été choqués par la manière dont les autorités ont traité le problème dans les quartiers pauvres. Personne ne s'intéresse à eux, donc leur manque de réaction n'était pas très surprenant. Une grande partie de ces gens finissent de toutes façons en prison.

De plus en plus d'habitants d'Imperial Courts m'ont demandé si j'avais l'intention de revenir. Le challenge m'a plue. En 93, je m'étais contentée de portraits individuels de sorte à capturer le charisme de ces gens à forte personnalité et de montrer une autre facette d'eux. Lorsque j'ai repris ce projet en 2008, j'ai photographié les mêmes personnes que celles que j'avais rencontrées 15 ans plus tôt. Au fur et à mesure de mes échanges avec eux, j'ai eu tendance à élargir mon angle d'attaque. Je me suis mise à tourner des vidéos et à photographier des paysages et des natures-mortes. Aussi, étant donné que j'étais au fait des relations familiales et amicales qu’entretenaient les habitants entre eux, j'ai voulu faire des photos de groupe.

Mon travail continue toujours aujourd'hui. Ma dernière visite remonte à novembre dernier. Ça a commencé il y a 20 ans ; j'en suis donc à la troisième génération.

Jennifer Kinter, de la série Jeffersonville, Indiana

Vous avez affirmé que ces gens étaient rejetés par la société. N'en va-t-il pas de même pour les sans-abris de Jeffersonville, dans l'Indiana ?

Publicité

Jane Magazine m'a envoyée là-bas en 1997. Cet endroit m'a beaucoup marquée. Au premier abord, on pourrait penser que c'est un sujet fade, mais ma vision des sans-abris a vite été chamboulée. La plupart des gens que j'ai rencontrés étaient des familles ou des femmes avec des enfants. Ces personnes avaient perdu leur travail ou étaient très endettées. Depuis, je passe chaque année une ou deux semaines dans le foyer d'accueil de Jeffersonville. Néanmoins, je ne veux pas prendre en photo ces gens dans le foyer ; je ne veux pas que ce décor souvent temporaire les définisse.

Vous ne voulez pas les dénigrer.

Je veux insister sur la racine du problème. De nombreux photographes mettent en avant leur marginalité, alors que ce sont avant tout des individus comme les autres.

Il est effrayant de ne pas avoir de toit. En avoir un devrait être un droit fondamental.

D'une certaine manière, ces gens sont encore plus vulnérables que ceux d'Imperial Courts car ils ne bénéficient pas du soutien des autres membres de leur communauté.

Mike Bath, de la série Jeffersonville, Indiana

Comment choisissez-vous vos sujets ?

C'est dur à dire. Je choisis des gens que je trouve photogénique – ce qui est une notion très personnelle. Être photogénique n'a rien à voir avec l'apparence ; cela relève de l'aura, de ce que la personne dégage, de son langage corporel ou de l'émotion qu'elle provoque.

Dana Lixenberg est une photographe néerlandaise. Elle a étudié la photographie à Londres et Amsterdam et publié plusieurs livres. Son travail a été exposé dans le monde entier.

Suivez Mossless magazine sur Twitter.