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Vice Blog

Circuit electric

La première fois que j’ai entendu « Jungle » de Grackle (alias Speculator alias la moitié de Galaxy Toobin alias William Burnett) remixé par Tobias Keeler & Hugo Capablanca, il était 7 heures du mat au Circus du Bar 25 à Berlin, un Jardin des Délices...

La première fois que j’ai entendu « Jungle » de Grackle (alias Speculator alias la moitié de Galaxy Toobin alias William Burnett) remixé par Tobias Keeler & Hugo Capablanca, il était 7 heures du mat au Circus du Bar 25 à Berlin, un Jardin des Délices peuplé de party people en phase terminale. Il faisait un temps de chiottes, le jour se levait doucement, mais mon halo électrique grésillait encore des pieds à la tête et des milliers de comètes lubriques me chatouillaient l’épine dorsale. J’avais pris sur mes épaules le relâchement général, l’humeur était au beau fixe et je fus ébloui. Adieu les épilogues de house minimale au kilomètre, voilà qu’éclatait dans toute sa brillance le spectre d’un arpeggio dubby lancinant, smooth et érogène, auréolé de subtiles percussions et d’un marimba aussi entêtant que la mélodie de Rencontres du troisième type. Retiens bien ce nom : Hugo Capablanca, son label te réserve des surprises. Autour de moi, tout le monde dansait en apesanteur ou se roulait des pelles en tombant à la renverse sur de moelleux fauteuils imbibés de Beck’s, et le dancefloor commençait à ressembler à un lupanar à ciel ouvert. Va comprendre pourquoi, les Allemands ont toujours l’air clean et enjoué, même défoncés au dernier degré. Seulement voilà, Néfertiti était absente et mon instinct darwinien a fini par avoir raison de ce nirvana neo-kraut-hippie-chic. Alors que je me décidais à rentrer sous une averse torrentielle, le dieu Râ perça soudain la grisaille et Berlin se mit à ressembler au Caire : le Rhin s’étalait comme le Nil, les Volkswagen se transformaient en tombeaux étrusques et la Fernsehturm m’apparaissait comme un monument précolombien abritant les Annales akashiques. Au loin, je distinguais des pyramides, et je sentais le souffle chaud du désert sur ma nuque. Mais peut-être est-ce simplement parce que mon iPod déversait le Basta EP de Rainbow Arabia dans mes tympans embrumés, et que ce patchwork de musique de charmeur de serpents, d’incantations arabisantes, d’electro lo-fi et de riffs post-punk composait le sésame pour apercevoir des tigres du Bengale et des éléphants phosphorescents en plein Kreuzberg. Imagine Gang Gang Dance reprenant Oum Kalsoum et Fayza Ahmed sur des synthés saturés et tu ne seras pas loin du compte. Il faudra guetter de près leur vidéo « Let Them Dance » qui circule ces temps-ci, elle recèle en filigrane la généalogie de Toutânkhamon et révèle l’arme secrète des anciens astronautes (mitraillettes multicolores et guitares en plastoc). « Der Räuber und der Prinz » est mon morceau préféré de DAF, c’est aussi un nouveau groupe formé par Ralf Beck de Unit 4 et Sebastian Lee Philipp de Noblesse Oblige, duo art-rock dandy à la Elli et Jacno, et c’est sans doute l’une des meilleures choses qui soit arrivée à l’Allemagne depuis… DAF ? Leur première performance live s’est récemment déroulée au Salon des Amateurs, le meilleur club de Düsseldorf, et j’ai hâte de les voir par ici. Leur track « Der Elektrische Reiter » évolue sournoisement, avec un beat horizontal comme une nappe d’huile rattrapé par un bongo tribal, une guitare surf réverbérée et des arpèges hypnotiques ; en écoutant ce morceau les yeux fermés, j’avais la vision d’un Apache traqué par des hélicoptères et trouvant refuge dans une cité maya perdue au fin fond de la Forêt-Noire. « Torpedvogel », sur la face B de cet excellent EP, sera inclus dans la prochaine compil du recommandable artzine new-yorkais K48. Vive la mondialisation. Bon, si toi aussi tu vas à Berlin, aventure-toi à Rumpsti Pumsti, la mini-boutique de disques tenue par Daniel Loewenbrück dans l’arrière-cour d’une galerie d’art contemporain. Daniel est performer-actionniste sous le nom de Raionbashi, membre du Schimpfluch-Gruppe, pilote du label Tochnit Aleph, et diligent dealer de sound-art, de poésie sonore, de harsh noise et autres extrémismes vibrants. C’est dans cet antre des mondes parallèles que j’ai dégoté The Spiral Staircase, un magnifique LP de Esther Venrooy. Cette compositrice belge, impliquée dans l’organisation (K-RAA-K)3, transforme toutes sortes de sons parasites en longues plages électrostatiques, tapissées de drones et de bleeps insidieux qui rappellent certaines pièces d’Éliane Radigue. Entre séance de spiritisme et acupuncture sonore, cette musique méditative et délicieusement inquiétante titille des zones inconnues de l’hypothalamus et donne envie de faire des choses viles avec des spectres en porte-jarretelles. La brume succède toujours au soleil, et réciproquement. RAINBOW ARABIA – Basta EP (Merok). Pochette de Hideyuki Katsumata
DER RÄUBER UND DER PRINZ – Der Elektrische Reiter (Amontillado)
GRACKLE – Jungle (Discos Capablanca)
ESTHER VENROOY – The Spiral Staircase (Entr’acte) K48 http://www.k48rules.com
(K-RAA-K)3 http://www.kraak.net/
RUMPSTI PUMSTI http://www.tochnit-aleph.com/laden/