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patriarcat

J’ai essayé de devenir un homme grâce à Julien Rochedy

L’ex-patron du FNJ, Julien Rochedy, vient de lancer une formation en ligne pour ressusciter la virilité d’avant, celle des champs de bataille et des philosophes allemands. Rencontre.
Image : Capture d'écran d'Ecole Major 

Assis en terrasse d’un café de la place de Passy, Julien Rochedy tire sur un cigarillo dans une pose trop assurée. Épaules déployées contre le dossier, jambes largement croisées, yeux mi-clos sous le soleil, il incarne parfaitement École Major, le webzine qu’il vient de lancer avec son ami historien Christopher Lannes pour enseigner aux maigrichons dans mon genre à « être et rester des hommes ». Lorsqu’il était président du Front national de la jeunesse, entre 2012 et 2014, cet Auvergnat de 28 ans semblait déjà préoccupé par la chose virile : quelques mois après avoir claqué la porte du parti, il a expliqué son départ par la présence de « petits mecs autour de Florian Philippot », qui n’étaient « pas des hommes selon [son] cœur ».

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Short et tee-shirt pas repassés, je m’assois face à cet ex-politique en costume bleu marine bien ajusté. Les articles d’École Major m’ont recommandé de manger gras, d’apprendre à tenir l’alcool, de ne jamais cesser de me cultiver, de frapper tout individu hostile qui s’introduirait dans mon espace vital. Surtout, ils m’ont aiguillé vers la session ALPHA, une formation qui promet d’offrir « toutes les bases culturelles et mentales qu’un homme doit connaître » en quatre heures de cours vidéo, répartis en seize leçons dispensées par Rochedy lui-même. Tarif de lancement : 47 euros (au lieu de 97). J’ai tout regardé, de « L’attitude virile du soi » à « Travailler son corps », et j’ai beaucoup de questions pour le principal créateur et représentant de cette entreprise.

« Rien ne sert de nier ou de ne pas accepter la nature guerrière de l’existence : ce serait comme nier ou combattre la pluie ou le vent »

La session ALPHA est violente. La « théorie du masculin » qu’elle défend est résolument belliqueuse puisqu’elle se construit par le combat et l’acceptation de la douleur. « Rien ne sert de nier ou de ne pas accepter la nature guerrière de l’existence : ce serait comme nier ou combattre la pluie ou le vent », assure l’une de ses fiches. D’ailleurs, quelques coups de tambour martiaux introduisent chaque leçon. À l’écran, des images de Gladiator, Terminator et Bigeard défilent pendant que Julien Rochedy parle de sélection naturelle, de volonté de puissance, de valeur des forts et des faibles. « Mon arrière-grand-père nous disait qu’il allumait la radio tous les matins pour savoir si la France était en guerre », m’explique-t-il fièrement. Avant de souffler : « On a changé de siècle. Tant mieux, d’ailleurs. »

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Instagram de Julien Rochedy

L’autre mamelle du masculin selon la session ALPHA est pourtant le passé. Face caméra, les sourcils sombres comme le fond des âges, Julien Rochedy enchaîne les « de nos jours » méprisants. Il regrette le vieux parcours de formation de l’homme : l’école à l’ancienne, les scouts, l’armée… Il recommande de lire les biographies de grands hommes, évoque volontiers Grecs et Romains. Bref, c’était mieux avant - mais pas tant que ça maintenant que nous sommes en terrasse. « Je ne dis pas que le passé était parfait, je ne suis pas bête, lance-t-il. Mais je pense qu’on doit avoir une réflexion sur la masculinité et arriver à une synthèse assez intelligente entre le passé, qui a des choses à nous apprendre, et la modernité, qui a aussi son lot de bonnes choses, comme le droit de vote des femmes. »

Les femmes ! La session ALPHA parle beaucoup d’elles. Elles sont égales aux hommes, assure Julien Rochedy pendant son cours magistral - mais aussi leur pendant plus ou moins symbolique. Les épaules bien raides, il annonce : « Toutes les sociétés ont besoin de valeurs féminines et masculines » qui se complètent. À l’en croire, les premières sont celles du pénétré, de l’acceptant de l’autre — tolérance, compréhension — quand les secondes, par ailleurs « diabolisées » par notre époque, « favorisent la pénétration de l’autre » — conquête, conflit, autorité. Ces valeurs seraient naturelles, faites « par et pour leur sexe. » C’est beaucoup, mais ce n’est pas tout.

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« Il ne faut pas écouter les femmes. Il faut les aimer pour ce qu’elles sont, l’inverse de nous. »

En pratique, explique la session ALPHA, les femmes doivent être conquises et conservées. « Comme pour la guerre, un homme doit s’entraîner et s’améliorer pour être en mesure de conquérir sa femme. » Par contre, seuls les barbares se contentent de conquérir ; pour l’homme, « la conquête est (…) un moyen de fonder sa demeure pour la préservation de son nom et la continuité de sa lignée. » Serait-ce tout ? On dirait. Dans un cours intitulé « Se protéger des influences extérieures », Julien Rochedy assène : « Il ne faut pas écouter les femmes. Il faut les aimer pour ce qu’elles sont, l’inverse de nous. »

Soudain penché sur sa chaise en rotin, Julien Rochedy parle encore plus des femmes que devant la caméra — souvent de sa propre initiative. Après avoir affirmé que les hommes qui « dominent la société actuellement » (comprendre : « les grands séducteurs qui arrivent à avoir le maximum de femmes ou une vie sentimentale assez solide, (…) les hommes qui sont assez heureux dans leur vie »), partagent ses valeurs, il lance : « Je vis très bien ma vie sentimentale, affective et sexuelle. Je n’ai absolument aucun problème. Je suis même plutôt chanceux de ce point de vue-là. »

Quelques minutes plus tard, il remet ça spontanément. « Les Social Justice Warrior aiment à dire : « Si les mecs font ça, c’est parce qu’ils doivent avoir une vie sexuelle de merde, ou une petite bite, ou qu’ils doivent être homosexuels parce qu’ils sont en recherche de virilité… » (…) Ça me fait doucement rigoler parce que pour le coup, ils n’ont pas de bol avec moi ! Je suis complètement épanoui sur ce terrain-là. Je ne suis pas du tout en guerre contre les femmes, je suis vraiment chanceux. » D’ailleurs, il assure à aux moins deux reprises que les « femmes qui l’entourent » aiment beaucoup son initiative. J’arrivais convaincu que l’École Major et la session ALPHA étaient avant tout une affaire personnelle. Plus l’interview avance, plus j’en suis convaincu.

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« C’est ma mère qui a fait de moi un homme »

Julien Rochedy aimerait manifestement être un porte-étendard. Après tout, il en rêvait déjà à son époque politique. C’est lui qui dispense les cours de la session ALPHA et sur Twitter, il défend l’initiative École Major depuis son compte personnel. Je l’interroge sur sa formation d’homme, celle qui lui permet de se faire professeur du masculin théorique et pratique. Retour immédiat au passé et aux femmes : « Je suis un Latin. Je viens du monde des campagnes, du Sud de la France, où j’ai été élevé par des hommes… Et des femmes. On l’oublie très souvent, mais les premières formatrices de la masculinité, ce sont les femmes. C’est ma mère qui a fait de moi un homme. Je viens d’un vieux monde, j’ai découvert le nouveau monde en allant à Lyon pour mes études, puis en arrivant à Paris. »

Instagram Julien Rochedy

Quand je lui fais remarquer que le logo d’École Major, un profil d’homme barbu, lui ressemble bizarrement, il se défend : « Moi, je voulais que ce soit un bouclier, à la Harvard. Des amis venus du marketing m’ont dit que ce n’était pas assez clair. » Je l’interroge sur ce « clan » d’amis, ce cercle qu’il juge essentiel à « l’homme classique » dans la session ALPHA. « Ce sont des gens qui ont une vie qui sort des clous, sourit-il. Des entrepreneurs, des aventuriers, des gens qui font des trucs de dingue. » Pourtant, lui fais-je remarquer, il se présente comme solitaire dans l’une de ses vidéos. « J’ai un tempérament plutôt solitaire mais j’ai plein d’amis. Plus je vieillis, moins je suis solitaire. Quand je suis seul, maintenant, pendant trois jours, je suis content. Et après, j’ai besoin de trouver quelqu’un. »

Face à moi, Julien Rochedy dévoile un côté triste, un peu anxieux. « Depuis des années, je me lève le matin en me disant que je suis une grosse merde et que je dois m’améliorer, soupire-t-il. Je n’ai pas assez lu hier, j’ai pas assez réfléchi, j’ai pas assez montré d’affection pour les gens que j’aime, j’ai pas assez travaillé, j’ai pas fait de sport… Je me dis ça en permanence. » On jurerait que la session ALPHA a été faite pour lui. D’ailleurs, il conclut : « Quand je suis malheureux, c’est parce que je ne suis pas assez un homme — pas parce que je le suis trop. »