Le cerveau de Simon Hanselmann est flingué
Toutes les planches reproduites sont tirées de Megg, Mogg & Owl à Amsterdam , disponible chez MISMA.

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Culture

Le cerveau de Simon Hanselmann est flingué

L'un des meilleurs dessinateurs au monde est revenu avec nous sur sa vie de mec dépressif, de sa Tasmanie héroïnomane jusqu'à sa nouvelle célébrité. Son nouveau bouquin sort en France.

Megg est une sorcière acariâtre dépressive qui tue le temps en ingérant tout ce que notre monde compte de drogues. Mogg est un chat à la sexualité décomplexée qui apprécie les annulingus, les nems au porc et, bien entendu, la drogue sous toutes ses formes. Megg et Mogg baisent ensemble. Megg et Mogg vivent en colocation avec Owl, une chouette humanoïde qui leur sert de tête de Turc. Megg, Mogg et Owl passent leurs journées à s'emmerder dans une banlieue emmerdante. Pour supporter la monotonie d'un train-train aliénateur, ils ont recours à ce qui permet généralement de supporter la monotonie d'un train-train aliénateur : la drogue, le cul, l'alcool et la perfidie.

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Que Simon Hanselmann soit à l'origine de ce récit n'a rien de surprenant quand on connaît un poil la vie de son auteur. Né en Australie sur une île qui doit sa célébrité à une espèce de marsupial qui la peuple, ce dépressif, passionné par le travestissement, est aujourd'hui l'un des auteurs de comics les plus célèbres au monde. À partir d'une série de livres pour enfants on ne peut plus mignonnette, il a donné naissance à trois personnages qui en disent long sur les tourments qui l'assaillent depuis sa naissance. Bizarrement, en France, très peu de gens sont au fait de son vice créatif – sans doute parce que les médias méprisent encore les comics, d'autant plus quand ces derniers représentent des animaux qui copulent, se droguent, ont recours à des godemichets ou traînent avec un loup-garou qui incite ses enfants à chier sur les draps d'autrui.

Malgré cette relative omerta dans notre pays – qui contraste avec son exposition médiatique outre-Manche et outre-Atlantique – Simon Hanselmann peut compter sur MISMA, une maison d'édition bien de chez nous, qui a déjà publié Maximal Spleen et Magical Ecstasy Trip – deux bouquins qui évoquaient déjà l'existence mouvementée du trio. Aujourd'hui, MISMA publie en France Megg, Mogg & Owl à Amsterdam – dont on vous file évidemment quelques extraits au fil de l'article –, ce qui m'a donné envie d'en savoir un peu plus sur son auteur. Pour ce faire, je lui ai demandé de me livrer une biographie succincte.

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De 0 à 5 ans

« Je suis né à Launceston, en Tasmanie, en 1981. C'est un coin paumé, déprimant, où il n'y a rien à faire. Le chômage et la toxicomanie sont omniprésents. Mon père était un motard qui n'hésitait pas à transgresser la loi tandis que ma mère bossait dans un bar. Dès l'âge de deux ans, j'ai vécu avec ma grand-mère schizo et ma mère – mon père nous avait abandonnés.

Je ne me souviens pas de grand-chose de cette période. Je sais juste que j'adorais empailler les animaux et mater la TV tout seul. Ma mère et ma tante me poussaient à enfiler la lingerie un peu salope de cette dernière. Ça me faisait bander – j'imagine que c'est la racine de ma future passion pour le travestissement. »

De 5 à 10 ans

« J'étais à fond dans tous les comics que je trouvais : les Marvel, le magazine Mad, Garfield, Astérix, 2000 AD. Je n'en avais jamais assez. Je passais donc mon temps dans les magasins d'occasions. Sinon, je matais la TV. J'adorais les jeux vidéo, aussi. Ma mère était douée pour voler et j'ai donc eu en cadeau une Atari 2600, une NES puis une Master System. J'adorais Astro Boy, GI Joe, Les Maîtres de l'univers, des choses comme ça.

Mes potes aimaient les mêmes conneries que moi. C'était les années 1980 : on passait notre temps à traîner dans la ville sur nos vélos et à attirer les emmerdes. On volait, balançait des bouteilles, faisait exploser des munitions en les défonçant à coups de marteau. On finissait avec des éclats dans nos mains. On se faisait frapper par les copains très louches de nos mères. Des trucs de gosses quoi.

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J'ai publié mon premier zine à huit ans. Je ne sais pas d'où m'est venue l'idée. Je me suis servi de la photocopieuse qui traînait chez le marchand de journaux du coin – là où ma grand-mère achetait ses billets de loterie. »

De 10 à 15 ans

« J'étais un gros nerd à cette époque. Je n'avais pas de meuf, je grossissais et je me faisais emmerder à l'école – ce qui m'a conduit à sécher les cours. Je me suis mis à fumer de la weed quand j'avais 10 ou 11 ans, puis j'ai vu un psy dès mes 14 ans. J'étais un mec hyper bizarre, dépressif. Je pouvais passer mes journées à acheter des fringues pour femmes dans des boutiques pourries, le tout dans un état de paranoïa avancée.

Un jour, je suis devenu pote avec des mecs de 21 balais qui vivaient à quelques maisons de la mienne. C'est là que j'ai découvert des comics alternatifs, genre Eightball, Hate ou Black Hole. Je créais régulièrement des zines et on m'emmerdait encore à l'école parce que j'essayais de les vendre. Au final, comme je voulais faire des comics et rien d'autre, j'ai abandonné l'école.

De 15 à 20 ans

« Je vivais encore en Tasmanie. Tous mes potes se sont mis à prendre de l'héro. J'ai résisté. Je buvais quand même pas mal. J'étais au chômage, vivais des allocs et allais voir un psy à cause de ma dépression. Je faisais partie d'un groupe de musique bien merdique. J'organisais des spectacles de marionnettes dans ma chambre. Le reste du temps, je dessinais, encore et toujours.

Ma mère vendait de la drogue ce qui nous permettait d'avoir un peu de thunes. La télévision par câble a été une bénédiction pour moi. J'adorais les comédies de HBO, genre le Larry Sanders Show et Mr. Show. Les Simpson étaient au top de la créativité à l'époque.

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Un jour, j'ai enfin eu l'opportunité de baiser. La plupart du temps, je me faisais larguer. J'étais sans doute trop collant. »

De 20 à 25 ans

« Nombre de mes amis ont déménagé pour rejoindre l'Australie continentale. Moi, ça me faisait flipper. Ça me semblait être le bout du monde.

J'ai rencontré de nouvelles personnes, des types qui vivaient à Hobart. Ils créaient leurs propres zines et jouaient de la musique que j'appréciais. On est devenus très proches. C'est pour ça que j'ai décidé de déménager dans le coin. Je m'enfonçais dans l'île, vers le sud, encore plus loin du continent.

Là-bas, j'ai emménagé avec ma copine de l'époque. On passait nos journées à fumer des bangs et à mater la TV. Je créais des comics en grande quantité et je jouais dans un groupe avec mon pote de toujours, Karl Von Bamberger.

C'était le bon temps. Une grande partie de Megg, Mogg & Owl tire sa source de cette époque. Tous les mecs autour de moi étaient bipolaires, alcooliques ou fumeurs de weed – voire les trois à la fois. Parfois, ça dérapait clairement. C'était merveilleux. »

De 25 à 30 ans

« En 2006, VICE m'a proposé de participer à son numéro spécial comics. Je me suis mis à envoyer mes zines à des distributeurs américains. L'un d'eux a été chroniqué par un magazine de Los Angeles assez prestigieux, un truc dédié à l'art.

J'ai rencontré HTMLflowers lors d'un concert qu'il donnait à Hobart avec son groupe. On est instantanément tombés amoureux l'un de l'autre – dans le domaine créatif, bien sûr. J'ai quitté ma copine suicidaire pour prendre la direction de Melbourne et vivre dans le garage de la mère de HTMLflowers. J'arrivais toujours à vivre des allocs. De son côté, il touchait des aides à cause d'une maladie chronique. On avait donc plein de temps libre. On passait nos journées bourrés à faire du vélo et à créer des zines de merde. C'était l'une des époques les plus heureuses de ma vie. On voulait devenir célèbres.

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C'est là que j'ai rencontré une fille. Je l'ai suivie à Londres pendant quelques années. Sur place, je devais bosser. J'ai nettoyé la merde de pigeons sur des hangars d'aéroport. J'ai bossé dans une entreprise qui vendait du matériel pour camper. C'était de la merde. Après ça, j'ai bossé dans des librairies.

Bien entendu, quand je ne travaillais pas, je dessinais. Je me suis mis en tête de créer une BD de 1 000 pages mais je suis tombé malade après en avoir dessiné un quart. C'est là que j'ai donné naissance à Megg, Mogg & Owl. À Londres, j'ai dû enregistrer un truc comme 13 albums en solo et je me suis produit dans plein de petites salles. J'étais vraiment nul à chier. »

De 30 à 35 ans

« J'ai dû rentrer à Melbourne parce que mon visa avait expiré. Avec ma copine, on est rentrés chez ses parents. Le jour de mon retour, je suis allé faire la fête avec HTMLflowers dans une baraque située dans la banlieue de la ville. Il pleuvait à torrent. Là, en rentrant dans les chiottes, je suis tombé sur un poster de Megg, Mogg & Owl. C'est la première fois de ma vie que je me suis senti « célèbre ». J'avais diffusé des planches de Megg, Mogg & Owl sur Tumblr et le truc commençait à prendre. Des demandes d'interviews survenaient de temps en temps et je cherchais à être publié. Je suis presque sûr que c'est MISMA qui a été la première maison d'édition dans le monde à me publier. Lors d'une interview avec le Comics Journal j'ai évoqué directement mon travestissement. Ça a été un énorme soulagement. Ça me rendait dingue depuis des années, de garder un tel secret.

Avec ma copine, les choses se détérioraient. On était tous les deux dépressifs. On a rompu et je suis retourné vivre avec HTMLflowers chez sa mère, Karen. J'ai hiberné pour me consacrer uniquement au dessin en compagnie d'HTMLflowers. Megg, Mogg & Owl cartonnait et je voyageais de plus en plus souvent. Ces dernières années ont été intenses, une sorte de rêve un peu flou mais cool. J'ai fini par rencontrer celle qui est aujourd'hui ma femme et nous avons déménagé aux États-Unis.

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En ce moment, je me sens parfaitement bien. Je suis en paix avec moi-même, chose qui n'avait jamais été le cas auparavant. J'ai tout ce dont j'avais rêvé : un job dingue (qui consiste à dessiner une sorcière qui baise avec un chat), une femme parfaite, une jolie maison. J'apprécie à quel point ma vie est plus simple. En plus, je bosse depuis chez moi, ce qui est parfait. Je n'aime pas vraiment quitter ma baraque.

Malheureusement, un peu plus tôt dans l'année, mon ami Karl est mort d'une overdose. Ça a été dur à vivre. Quelques semaines plus tard, mon éditeur Alvin Buenaventura s'est suicidé. Actuellement, ma mère est très malade et HTMLflowers a de gros soucis de santé. C'est dur de ne pas être submergé par tout ça, mais bon. Je me concentre sur les comics. J'ai besoin de dessiner des comics. Mon objectif est simple : dessiner, dessiner et encore dessiner. Tout ce que je veux faire, c'est dessiner. »

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Pour commander Megg, Mogg & Owl à Amsterdam, c'est par ici.

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