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Drogue

Je ne suis pas trop vieille pour ces conneries

Mère au foyer, je me suis remise à fumer de la weed pour m'évader de mon quotidien monotone.

La weed de l'auteure

Une fois mes enfants couchés, je me suis décidée à fumer mon premier joint depuis des années. Quelques instants plus tard, mon mari m'a dit : « Je pense que tu en as fumé assez, tu peux t'arrêter. » J'ai alors constaté que le joint que j'étais en train de fumer était presque entièrement consumé, comme si c'était une banale cigarette. Je déteste quand mon mari me donne des ordres en prétendant qu'il ne fait que m'aider. En plus, je n'étais pas du tout défoncée - enfin, c'est ce que je pensais parce qu'en fait, j'étais incapable d'aligner deux mots de manière cohérente.

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Alors que je concentrais l'ensemble de mes capacités mentales à me demander si cette herbe était oui ou non extrêmement forte, je me suis rendue compte que je tenais fermement la télécommande en direction de ma télévision. Une brusque réalité m'a alors frappée : j'avais la possibilité de choisir parmi des milliers de films grâce à la VOD. Je savais pertinemment que le système entier s'affichait en fonction de mes préférences calculées à partir de mes commandes passées. Je n'avais aucune envie de chercher le film parfait pendant des heures avant de finir par abandonner, surtout que les films qui m'étaient proposés étaient tous des dessins animés - oui, mes enfants utilisent beaucoup la VOD. Je culpabilisais beaucoup en pensant à eux, mais je n'avais pas envie de mater un énième épisode de Dora l'Exploratrice pour autant.

J'ai dit à mon mari que je me sentais un peu perdue. Il s'est moqué de moi en guise de réponse. Je lui ai alors tendu la télécommande et je me suis allongée sur le canapé en attendant le film tant désiré. Mon choix s'est finalement porté sur Mad Men - OK, ce n'est pas vraiment un film, mais je peux vous dire qu'aucun film que j'ai vu défoncée par la suite n'a atteint la profondeur de Mad Men. J'ai pris pour habitude de protester  pendant les scènes sexistes. À la moitié de l'épisode, j'ai remarqué le Google doc que j'avais ouvert et sur lequel j'avais prévu de noter quelques remarques à propos de cet épisode. J'ai vite conclu que cette tentative était vouée à l'échec. Je suis absolument incapable de taper sur un clavier quand je suis défoncée.

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Oh, si vous connaissiez la platitude de mon existence ! Je suis mère de deux enfants et je vis dans une banlieue pavillonnaire américaine. J'avais pourtant toujours rejeté ce mode de vie morne et répétitif à souhait. Quand on est jeune, on a parfois cette fâcheuse tendance à violemment critiquer tout ce qui nous paraît mainstream, mais cette volonté d'être unique ne survit que quelques temps et périclite lorsque l'on tombe enceinte et qu'on se résout à manger des céréales sans gluten. Depuis, j'ai oublié de prendre soin de moi et d'être exigeante avec moi-même. Tous mes rêves de liberté sont morts lorsque je me suis rendue compte que je convoitais la Toyota Prius d'une de mes amies, jusqu'à ce que mon premier enfant débarque et accapare toute mon attention : j'étais alors bien trop reconnaissante pour être capable de me poser la moindre question existentielle.

La nostalgie est un sentiment qui peut vite envahir votre esprit. Je me suis donc peu à peu mise à réfléchir au sens à donner à ma vie et à la façon dont je pourrais la rendre plus excitante. Il me fallait redevenir transgressive. L'alcool n'a rien de subversif - c'est même une pratique courante parmi les quarantenaires dépressives. J'avais déjà pris des antidépresseurs par le passé mais leur caractère addictif m'effraie. Au risque de passer pour une post-soixante-huitarde ridicule, je me suis demandée si un petit joint de temps en temps ne serait pas préférable à un verre de vin partagé entre voisines lors de mondanités suburbaines désolantes.

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Ma décision de me remettre à fumer de la weed n'est pas le fruit du hasard. À l'université, j'étais le genre de fille à avoir un bang de 1 mètre de hauteur et à passer toute une année à fumer en compagnie de mon mec de l'époque et d'un de ses potes. Notre rituel était toujours le même : nous restions dans notre appartement d'Hollywood à fumer toute la journée avant de commander des burritos à 2 heures du matin. Après cela, j'ai ralenti considérablement ma consommation. En 2001, j'ai déménagé à New York et je me suis mise à boire très régulièrement. J'ai pris des antidépresseurs et je ne fumais qu'en soirée. Mon mari - qui est originaire de New York et qui a donc connu sa période de pothead très jeune - a ensuite obtenu un job à Washington. Au cours de ces six dernières années, je n'ai pu fumer que quelques joints lors des rares vacances que nous passions sans les enfants. La weed ne m'était donc pas étrangère mais j'avais perdu tout mon réseau de dealers.

Ce n'est pas le meilleur endroit pour trouver de la weed. Photo via

Avant de retrouver ma carte de membre au royaume des stoners, je me suis dit qu'il ne serait pas si difficile que ça d'acheter du cannabis. J'avais complètement tort. J'étais devenue une personne ennuyeuse, obnubilée par les goûters d'anniversaire et les détours par la garderie. « Acheter de la weed » figurait sur le même post-it que « ramener une brique de lait » et tout ça me rendait nerveuse. Être paranoïaque avant de fumer n'est jamais bon signe.

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J'avais réussi à espionner une conversation parmi les employés du magasin Whole Foods situé près de chez moi. Je savais qu'ils fumaient et je me suis mise en tête d'établir une connexion avec eux - sans doute en critiquant le MÉCHANT KAPITAL - avant de leur demander, très subtilement, s'ils n'avaient pas un peu de weed à me vendre. Mon plan me paraissait infaillible.

J'ai réussi à être encore plus ridicule lorsque j'ai croisé un noir à dreadlocks sur le parking du supermarché. Il portait un t-shirt Bob Marley et je me suis dit sans réfléchir : Je devrais demander à ce mec ! Puis j'ai utilisé mon cerveau pendant une seconde et un flot d'insultes s'est déversé en moi : Non mais putain qu'est-ce qui ne va pas chez toi ? Est-ce tu es obligée d'être raciste ? Ce mec aurait tout aussi bien pu me vendre un pochon d'origan puis me dénoncer aux flics - et il aurait eu raison.

J'ai donc envisagé de demander à mon voisin, avec qui j'entretiens de très bonnes relations, mais ce n'était pas si évident que ça. Vous voyez, lorsque vous vivez au milieu de vos semblables dans une banlieue de Washington, il existe un consensus au sujet de la répartition des rôles entre les hommes et les femmes. Ces dernières s'occupent de leur progéniture et sont constamment vigilantes afin de pouvoir gérer n'importe quelle crise. La gestion de crise n'est en effet que très peu compatible avec le fait de fumer de la weed.

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OK, cette répartition des tâches est complètement sexiste, mais la communauté des parents a mis des siècles à aboutir à cet accord : nous ne fumons pas de joints en écoutant des morceaux d''EDM merdique parce que nous devons mettre les enfants au lit. J'ai toujours jugé avec beaucoup de condescendance tous ces papas qui s'enfument pendant que leur épouse s'occupe des enfants - je me sentirais donc plutôt hypocrite de leur demander un joint. Mais j'ai quand même fini par envoyer un texto à la compagne de mon voisin - une très bonne amie - pour lui demander si son mari ne pouvait pas me donner un peu de weed.

Il a voulu m'offrir généreusement un joint, mais je me suis dit qu'en fait, il ne m'était pas souvent arrivé d'acheter ma propre herbe lorsque j'étais adolescente. Dans une vaine tentative de me racheter de toute ces années de spoliation de la came d'autrui, j'ai insisté et je lui ai finalement donné un peu d'argent. Je suis une adulte, je paie ma propre weed.

L'envers de l'American way of life - des parents qui se défoncent derrière des rideaux baissés. Photo via

Au tout début, je me suis contentée de fumer un tout petit afin de ne pas être complètement lobotomisée. C'était un équilibre délicat car ma maîtrise de la weed n'était absolument pas au niveau de ma maîtrise de l'alcool. Lorsque je bois du vin, je peux répondre à mes mails, gérer quelques problèmes domestiques, prendre un rendez-vous chez le médecin pour mon fils et discuter sans problème avec mes amis. A contrario, être défoncée me coupe de nombreuses dimensions de notre civilisation. Je ne peux pas vraiment utiliser Internet ni mon smartphone. Je me suis mise à fumer de plus en plus, ce qui m'a rendue incapable d'utiliser Twitter pendant plus de cinq minutes. Par contre, je peux tout à fait regarder Mad Men ou des films comme Gravity - même si l'attention me fait défaut -, rire débilement en faisant défiler des images sur Pinterest, écouter la même musique pendant une demi-heure sans m'en rendre compte et manger des avocats sans m'arrêter. Et c'est à peu près tout.

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Maintenant, lorsque j'ai trois heures de libre devant moi, je fume un joint en écoutant du Harry Nilsson puis je m'installe dans mon rocking-chair au milieu de mon salon ensoleillé. Comme je suis une adulte et que je ne retrouverai jamais mes jeunes années, je me suis mise à jouer à des quiz d'actualité sur mon smartphone, notamment ceux de Slate.

Je n'ai rien perdu de ma dextérité et de mon talent de fumeuse de weed, mais cela n'efface pas la réalité : je suis une mère de famille. Fumer du cannabis change peut-être vos rapports à votre environnement, mais absolument pas votre personnalité. Je ne me suis pas mise à écouter Miley Cyrus parce que, quoique je fasse, je ne me mettrai jamais à écouter Miley Cyrus. Même au zénith de ma vie de fumeuse, j'ai toujours critiqué l'aspect ridicule de la culture weed - les joueurs de guitare, les t-shirts avec une feuille de cannabis, les pipes à eau à l'esthétique affirmée. Pourquoi devrais-je accepter toute cette merde maintenant que je suis une adulte libérée de ces carcans ? Avec du recul, et alors que je suis actuellement défoncée, je me dis que m'être mise à fumer du cannabis n'était sans doute pas la meilleure manière de remettre en question les codes d'une vie de bourgeoise résidant en banlieue pavillonnaire.

Alors que je redescends de mon nirvana où cohabite Harry Nilsson et les quiz de Slate, mon fils de cinq ans franchit la porte d'entrée. C'est l'une de ces occasions durant lesquelles, même si je ne suis plus sur la Lune, je me sens encore nerveuse. Est-ce qu'il sent l'odeur ? Est-ce que c'est pour ça qu'il me regarde avec ses grands yeux bleus puis me demande qui je préfère entre lui et sa sœur ?

Je suis un peu sous le choc, mais je me reprends et je lui réponds que je les aime énormément tous les deux et que je ne pourrais jamais choisir. Il continue de me demander de trancher et je persiste dans ma réponse : je ne choisirai jamais. Toi et ta sœur, vous faites partie de moi et je ne choisirai jamais entre deux parties de mon corps. Mais il n'abandonne pas la lutte et me demande : « Et si tu devais choisir entre ton bras droit et ton bras gauche, tu ferais quoi ? » Parfois, je suis admirative de son intelligence.

Avant que nous partions tous ensemble en vacances, j'ai trouvé l'équilibre parfait. J'ai inhalé la quantité optimale de weed avant de me faire réchauffer du poulet que j'avais cuisiné pour la kermesse de mon fils. Ce moment était tellement magique que j'ai enchaîné quelques petits pas de danse, qui m'ont sans doute fait croire que je n'étais pas si vieille que ça. Je suis tout de même une adulte, et je peux peut tout à fait danser chez moi après avoir ajouté de la mayonnaise à un plat réchauffé. Mon mari et moi-même sommes sur le point de regarder MasterChef et je vais m'amuser et rire à n'en plus finir. Je sais qu'il reste des avocats au frigo. Et comment je le sais ? Parce que je suis une adulte et que je les ai achetés avant de rentrer chez moi.

Jessica Roake vit et écrit dans la banlieue de Washington.