Dans la vente aux enchères du musée de l’érotisme de Pigalle

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reportage

Dans la vente aux enchères du musée de l’érotisme de Pigalle

Du nain de jardin lubrique au Kâma-Sûtra en bambou, des amateurs d'art érotique ont dépensé pour 450 000 euros de lots.

Quelques photos mises en vente lors des enchères du musée de l'érotisme. Photo publiée avec l'aimable autorisation de Bertrand Cornette-de-Saint-Cyr.

À Pigalle, force est de constater que l'érotisme se fait progressivement la malle. Les sex-shops se sont fait remplacer par des bars à cocktails prétentieux, et le musée de l'érotisme – fondé en 1997 par Joe Khalifa et Alain Plumey, deux potes collectionneurs – vient de fermer ses portes pour une sombre histoire de bail non renouvelé. Coincé entre le Moulin Rouge, les bars à hôtesse et quelques boutiques de souvenirs en toc, rien, pas même l'entrée réduite à 6 euros, n'aura pu sauver cet établissement de la désertion des touristes. À l'intérieur, la collection privée de Khalifa, le directeur du Love Hotel à Paris, et Plumey, ancien acteur porno période Brigitte Lahaie, s'entassait pourtant sur sept étages dans un joyeux bordel.

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Changement d'atmosphère le 6 novembre dernier, puisque c'est dans un hôtel particulier de la très chic avenue Hoche que la star des commissaires-priseurs Bertrand Cornette-de-Saint-Cyr a organisé la vente aux enchères de ces objets. Casque de cheveux blonds façon Delahousse aristo, la sommité du marteau compte dans ses faits d'armes la vente de la collection Alain Delon. Son père, le très mondain Pierre Cornette de Saint-Cyr, traîne ses chemises Burberry de vernissage en vernissage.

À l'entrée, les gens se pressent pour obtenir une pancarte avec un numéro – le sésame pour enchérir au cours de la journée. La salle est divisée en deux par un ruban noir, l'avant est pour ceux qui ont déjà réservé leur place. Il y a les amateurs, et les gros poissons donc. À droite les téléphones, à gauche une rangée d'ordinateur, pour ceux qui n'ont pas pu se déplacer. Au total, plus de 500 personnes étaient présentes dans la salle, tandis que 500 autres ont suivi les enchères par internet.

Le public de la vente aux enchères. Photo de l'auteure.

Il y a tellement de monde que plus un seul catalogue n'est disponible à l'accueil. Dans la salle, les gens se le font tourner. Un coup d'œil à l'intérieur nous confirme que de l'Asie à l'Afrique, en passant par l'Europe, les objets liés au sexe ne connaissent pas de frontière. « Un véritable tour du monde de l'art érotique aussi bien par les nombreux pays représentés que par la découverte des cultes et coutumes des peuples », nous promet un communiqué de presse ronflant.

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Clairement, le couple à côté de moi n'a pas grand-chose à faire de « la découverte des cultes et coutumes des peuples ». Un mec entre deux âges entreprend avec une discrétion toute relative de pénétrer avec les doigts une jeune femme à l'air sévère. « Magnifique porte de maison close en forme de phallus », s'enthousiasme le commissaire-priseur, et elle laisse échapper un soupir. « Un moine à mécanisme le figurant habillé puis la robe relevée », et le couple est déjà dehors.

L'après-midi se poursuit, rythmée par les coups de marteau de Cornette de Saint-Cyr fils. À ses côtés, danse la tache écarlate d'une cravate carmin, seule fantaisie que s'est autorisée son second, barbe blonde et cheveux ébouriffés, mais costume sombre. « Pendant une vente, le commissaire n'a pas le droit de bouger », m'explique Marie, un rang devant moi. « Le second lui prête ses yeux dans la salle. Il vérifie que le commissaire ne fait pas d'erreur, et se déplace parmi les acheteurs pour relever leur identité ». Ces deux-là forment un duo bien huilé, et leurs voix qui égrènent la montée des prix sont un canon qui donnent le pouls de la vente.

Marie est une habituée des ventes aux enchères. Ses parents, passionnés d'antiquités, lui ont transmis le virus. Il se passe rarement une semaine sans qu'elle n'aille traîner du côté de Drouot. Photographe de profession, elle m'explique : « je fonctionne au coup de cœur, parce que je sais que les pièces rares, je n'ai aucune chance de les avoir, je n'ai pas les moyens ». Je rencontre également Roger, la soixantaine, qui décide arbitrairement de me prendre sous son aile. Lui aussi est un habitué. Il me tape l'épaule, un signe de tête – « celui-là c'est un banquier, il mise toujours très gros ».

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Avec des estimations qui oscillent entre 30 et 10 000 euros, la variété de la gamme de prix a pourtant attiré de nombreux curieux. Du nain de jardin lubrique au Kâma-Sûtra en bambou, tous espèrent repartir avec un petit quelque chose, et pouvoir dire « j'y étais ». À 24 ans, Lauren et Alicia sont les plus jeunes de la salle. « C'est notre première vente aux enchères », me racontent-elles, « on vient surtout pour l'ambiance, et à cause du thème complètement barré ». Comme beaucoup d'autres, elles repartiront bredouilles. « C'est la fièvre des enchères, les lots partent rarement pour leur valeur réelle, il faut toujours que quelqu'un mise plus gros », regrette Marie.

Une version en bas-relief du tableau « Jeune Vierge autosodomisée par les cornes de sa propre chasteté ».

De fait, la vente aux enchères a atteint un montant total de 450 000 euros, « soit près de trois fois l'estimation », selon un communiqué de la maison de vente. Annoncée comme un des temps forts de la journée, une imposante sculpture en acier de Rudolfo Buccacio représentant une femme en train de baiser avec un robot, a tenu ses promesses, en étant adjugée 38 160 euros. Une œuvre de Salvador Dalí, version en bas-relief de 1977 de sa toile de 1954 Jeune Vierge autosodomisée par les cornes de sa propre chasteté (tout un programme), a été adjugée 20 608 euros, soit dix fois son estimation. Plusieurs dessins signés Wolinski, estimés entre 1 200 et 1 500 euros, ont trouvé preneur à des prix allant de 3 666 à 11 592 euros. Un record mondial pour un dessin de l'artiste assassiné lors de l'attentat à Charlie-Hebdo.

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Petit à petit, la salle bondée se vide. Je les comprends, au bout d'un moment assister à une vente sans pouvoir enchérir c'est à peu près aussi passionnant que de regarder un porno sans pouvoir se toucher. À 18h, il ne reste quasiment plus que les gros poissons. « On n'est pas venus là pour rigoler », semblent-ils penser en se redressant sur leurs sièges. Une cinquantaine d'amulettes à tête de pénis plus tard, la « chaise SM à faire du bien », d'Alain Rose, me faisant vaguement penser au fauteuil d'examen de mon gynéco, déchaîne les passions. Les « bijoux d'anus » de Julian Snelling, AKA des plugs ornés de cristaux Swarovski, font également frétiller l'assemblée.

Puis vient le moment de la collection Romi, du nom du journaliste de Paris-Match qui a rassemblé une documentation très riche sur les plus célèbres bordels de la capitale. En photo, ces filles qui ont fait le succès de ses établissements sous la troisième république, avec des surnoms aussi classes que la Modeste, Reine, Boulotte, Raton, et bien sûr Casque d'Or. Derrière le fantasme, la face sordide de cet univers est également révélée par certaines des pièces mises en vente. « La syphilis abat l'homme le plus fort », nous promet une affiche issue d'une campagne de prévention.

À 20h, la connexion avec le site Drouot live finit par lâcher. « C'est pas grave, on n'est ni fatigués ni pressés, c'est pas comme si on avait faim, ou que c'était l'heure de l'apéro », ironise un commissaire visiblement au bout du rouleau. Il sera resté debout derrière son pupitre, à galvaniser les acheteurs potentiels pendant près de 8h. Il accélère le rythme, et l'ambiance devient fiévreuse. La vente prend fin un peu après 21h. « C'est incroyable », constate Marie, « d'habitude dans une vente aux enchères il y a toujours des lots qui ne trouvent pas preneur, mais là tout est parti ! »

Je sors en repensant à la chanson Drouot de Barbara, l'histoire déchirante d'une femme qui met aux enchères les souvenirs d'une vie. Je me demande si Jo Khalifa et Alain Plumey ont assisté au démembrement du musée qu'ils ont dirigé pendant près de vingt ans. Dans la salle, je ne les ai pas vus.