Dans l'attente avec les CRS de Sevran

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Dans l'attente avec les CRS de Sevran

De juin 2011 à l'été 2012, 25 cars de CRS ont été dépêchés à Sevran, en Seine-Saint-Denis, et stationnés dans les deux plus grosses cités de la ville : Montceleux et Beaudottes.

De juin 2011 à l'été 2012, 25 cars de CRS ont été dépêchés à Sevran, en Seine-Saint-Denis, et stationnés dans les deux plus grosses cités de la ville : Montceleux et Beaudottes. Ces quelque 300 hommes qui passaient leurs journées au talkie-walkie à attendre un événement en buvant du Coca Zero avaient été appelés à la suite des dizaines de contentieux commerciaux réglés dans la ville à l’arme de guerre ces trois dernières années. En juin 2010, un mec de Sevran âgé de 23 ans avait été tué par balles dans un conflit impliquant deux gangs rivaux se battant pour le contrôle du business local de cannabis, MDMA, ecstasy, coke et héroïne. Selon plusieurs personnes de la cité, ces conflits seraient aussi alimentés par la haine raciale entre jeunes d’origine maghrébine et d’Afrique de l’Ouest.

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En juin dernier, j’ai passé plusieurs jours avec ces CRS fatigués, affublés de leurs inutiles costumes antiémeutes. Depuis le début de leur affectation en juin 2011, ils n’ont assisté à aucun règlement de comptes et seules quelques voitures ont cramé sous leurs yeux. Ils restent là à jouer sur leur smartphone, plantés au bas des tours comme les mecs qu’ils sont censés « immobiliser ». Plusieurs fois, j’ai vu des petits des Beaudottes vendre des barrettes de shit devant eux ; ils n’ont pu procéder à aucune interpellation, puisque selon le maire de Sevran, ce n’est pas leur mission.

En plus des CRS qui siègent jour et nuit dans les deux cités, sur les bancs et près du Carrefour, la mairie a déployé des patrouilles supplémentaires issues de la Brigade anticriminalité et, plus surprenant, des hélicoptères. On les voit ronronner dans le ciel au-dessus des pères de famille qui partent au boulot et des gamins qui jouent au foot. On a parfois l’impression d’être en zone de guerre, mais une guerre éteinte, terminée depuis longtemps déjà.

Pour le déjeuner et le dîner, les CRS sont ravitaillés par une camionnette de police banalisée qui leur fournit des plateaux-repas conditionnés sous vide. Pâté et sauté de dinde au menu du soir. Dehors, on voit des enfants qui sortent de l’étude coranique – celle-ci connaît un franc succès dans le quartier. Le cuisinier ambulant (et policier) fait partie de l’unité dite des « Bretons ». Ils sont tous plutôt cool ; on les dépêche depuis leur base en Bretagne une fois tous les trois mois, pour une durée de quinze jours. Chaque année, ils font le tour de France des banlieues sensibles et crament des hectolitres de gazole. En ce moment, ils officient à Sevran.

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« Ici, on nous interdit même le port du casque », soupire l’un d’eux, Franck, 32 ans. « C’est pour éviter d’être taxés de “provocateurs”. Les habitants de la cité n’aiment pas ça. » Alors que la discussion se prolonge et que l’horloge numérique géante devant nous affiche 22 heures, il finit par me confier, les yeux rivés sur son smartphone : « En gros, c’est pour satisfaire les politiques, faire du visuel et déplacer le problème à 500 mètres. On est là pour maintenir l’ordre public. C’est du vent. » De l’autre côté du terrain de foot, derrière une barricade improvisée faite de caddies et de palettes, un kid de 16 ans, capuche sur la tête et écharpe PSG autour du cou, vend de la skunk à 8 € le gramme au bas de l’immeuble.