FYI.

This story is over 5 years old.

LE NUMÉRO SYNERGIE LYSERGIQUE

Circuit Electric

À force de viser toujours plus haut dans la quête d'une musique électronique qui n'aurait pas prêté serment d'allégeance au Dieu Commerce, ma colonne a largué en route les partisans d'un monde régi par l'autoritarisme de la coolitude libérale.

À force de viser toujours plus haut dans la quête d’une musique électronique qui n’aurait pas prêté serment d’allégeance au Dieu Commerce, ma colonne a largué en route les partisans d’un monde régi par l’autoritarisme de la coolitude libérale. Pas plus tard que la semaine dernière, une petite conne tentait de me convaincre qu’il n’y avait rien de plus « sexy » qu’une armada de salariés sous-payés d’une boîte de prod’ dont le chiffre d’affaires hebdomadaire avoisine le PIB annuel du Burkina Faso. Je me suis rendu compte que mes convictions – partagées, croyais-je naïvement, par mes lecteurs – lui évoquaient à peu de chose près les élans anti-impérialistes d’un salafiste aux abois. On vit dans un monde bizarre, c’est peu de le dire. En guise d’antidote à cette vision binaire de l’existence, je me contenterai donc de poursuivre doctement ma mission d’ambassadeur des minorités invisibles et des agents populaires du Chaos, à défaut d’être utile à la société.

Publicité

Après trois mois à trépigner, j’ai mis la main sur

Baroque Primitiva

, le sixième album solo d’Alvarius B, pseudonyme et alter ego d’Alan Bishop, crooner méphitique du défunt trio Sun City Girls et fondateur du label weirdo-world Sublime Frequencies. Réédité en CD après une première édition en vinyle épuisée en deux jours, ce livre-disque orné d’un mandala de femmes nues évoque des continents mystérieux où l’on aurait une bonne fois pour toutes enterré la hache de guerre pour méditer sur la quintessence poétique de l’existence colportée par les B-movies, le folk pré-colonial et les mauvais acides. À travers des chansons acoustiques interprétées par une âme errante, dont une gracieuse bossa nova et quelques reprises sublimes (Ennio Morricone, John Barry, Beach Boys), Alvarius B s’extirpe des limbes de la décadence occidentale tel un Syd Barrett revenu d’entre les morts. Vous ne savez pas ce que vous perdez en passant à côté de ce disque génial assorti d’un livret de trente-deux pages de photographies licencieuses.

«

Nous sommes en l’an 2082. Les groupes de musique se sont éteints il y a plus de 70 ans. Les robots se sont emparés d’Hollywood et l’industrie musicale est contrôlée par un ordinateur appelé System II. Joey Rogers est un geek ado dont le rêve est de se déconnecter de la réalité pour s’éclater sur des synthés MIDI légués par ses ancêtres. Il décide alors de s’enfermer dans sa chambre et les choses commencent à devenir bizarres.

Publicité

» Il ne s’agit pas de la signature d’un film de science-fiction inédit de John Hughes, mais du teaser de

Channel Pressure

, le premier album de Ford & Lopatin (ex-Games) sur leur propre label, Software. Le tandem de nerds surdoués (le surproductif Lopatin est aussi l’homme derrière Oneohtrix Point Never) semble avoir fait vœu de faire converger la pop FM de leur enfance, l’electro-funk

bigger than life

telle que l’envisageait Prince et le versant déconneur de l’art conceptuel. Le disque regorge de slaps de basse synthétique, de pastiches modernisés de tubes FM

nineties

, de cut-ups de sons MIDI à la Art of Noise, de voix gavées de filtres, de R&B disloqué et d’ambient baléarique suave. Tout cela avec une touchante sincérité de pré-trentenaires qui emmerdent la maturité. Si ces petits génies ne sont pas les stars de demain, c’est que le monde va encore plus mal que ce que je pensais.

Konx-Om-Pax est le pseudo adopté par Tom Scholefield, un designer de Glasgow qui a signé une flopée d’installations, de pochettes d’album et de vidéos pour DFA, Warp ou Planet MU. Je ne m’embarquerai pas dans une digression sur les rites initiatiques de l’Égypte antique et l’essai d’Aleister Crowley auquel son nom fait référence, car je trahirais les secrets ancestraux de l’art magick et risquerais de me faire taper sur les doigts par le maître ès hermétisme Pacôme Thiellement. Sachez seulement que Konx-Om-Pax maîtrise les textures synth-noise organiques sans jamais tomber dans la fixette rétro-kitsch qui sévit ces temps-ci chez les

Publicité

copycats

opportunistes. Son deuxième CD, où Laurel Halo et Mogwaï sont venus mettre leur grain de sel, pourra enfin réconcilier les vieux cons de l’electronica à lunettes rectangulaires avec les jeunes noiseux férus d’occultisme et de drones sinusoïdaux. Soit les 200 nerds possesseurs de ce disque approuvé par le Komintern DIY.

Après quelques maxis dont je n’ai pas eu l’occasion de vous parler, en particulier le sidérant EP signé sous l’alias Gunnar Wendel, Kassem Mosse assène une nouvelle preuve de sa maîtrise de la dance music du futur. Sa jackin’ techno, minimale et entêtante, emmène les codes du genre vers une destination inconnue où seules des pointures comme Aphex Twin et Drexciya avaient osé s’aventurer, mais avec cette attitude

rough

et sans concession qui l’apparente à un homologue européen d’Omar-S. Son nouvel EP, douzième du nom, s’articule autour d’un sample de voix répétant obsessionnellement le même mot tronqué (

essential, sensual, eventual

?) pour muter en un

ride

épique constellé de touches mélodiques à faire frissonner l’épiderme. Les deux autres morceaux de la face B explorent une facette plus deep-ambient qui rappelle la volupté glaciale des premiers Autechre.

Nouvelle recrue du label Not Not Fun, Xander Harris goûte aux joies du cinéma bis

eighties

. L’écoute de son album

Urban Gothic

procure l’impression troublante d’écouter la bande son d’un de ces slashers qui faisaient les beaux jours des vidéoclubs des années 1980 et 1990 : l’ambiance glauque d’un district du tapin éclairé au néon bleuâtre, l’EBM poisseuse collant aux séquences de meurtre à l’arme blanche, les wah-wah de synthés morbides censés distiller le suspense, les passages « ambient vaporeuse » à la Julee Cruise conçus pour accompagner les scènes de cul – tout est là. Certes, le créneau est déjà passablement encombré et l’évocation de John Carpenter est devenu un tel marronnier qu’on pourrait faire la fine bouche, mais c’est si bien foutu que j’ai l’impression d’avoir déjà lu le bouquin de Brian Keene dont il s’est inspiré. Rien que les titres font rêver : « Splatter in the Mouth », « Fucking Eat Your Face », « I Want More Than Just Blood »… Si le film existait sous forme de VHS à la jaquette jaunie, il cristalliserait sûrement les fantasmes de tous les lecteurs vieillissants de

Publicité

Mad Movies

,

Starfix

et

Fangoria

. Tout esthète psychopathe dans l’âme devrait se procurer ce sommet d’onirisme macabre avant de passer sur le billard. Soyez prévoyants, pensez aussi à transformer vos cendres en disque vinyle

post mortem

grâce à ce site monté par des artistes anglais :

http://www.andvinyly.com

. Ça a plus de gueule qu’une urne funéraire.

ALVARIUS B – Baroque Primitiva (Poon Village/Abduction)

FORD & LOPATIN – Channel Pressure (Software/Mexican Summer)

KONX-OM-PAX – Light in Extension (Display Copy)

KASSEM MOSSE – workshop 12 (workshop)

XANDER HARRIS – Urban Gothic (Not Not Fun))