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LE NUMÉRO CLAIR DE LUNE ET POUSSIÈRE D'ÉTOILE

Circuit electric

Pour les amateurs de thrillers d’exploitation où paranoïa, télépathie et prémonitions font bon ménage, la maison Dirty a concocté une compilation titrée I Remember the First Time I Heard Your Voice.

[de gauche à droite et de haut en bas] Le dernier single zoophile friendly d'Ariel Pink, une initiation à la perversité cinématographique par le Dirty Sound System, le vortex télékinétique de Demdike Stare, les sons que Pierre la Police voit dans sa tête, le logo phallique des derniers sévices sonores d’Evil Moisture, l’acid house qui débloque de No Fun Acid, une sidérante pépite proto-techno produite à Bombay en 1982, l’EP au gros son rave qui tâche du duo MMM (Errorsmith + Fiedel), et la bananamania de Los Massieras (Hugo Capablanca + un des mecs de Death in Vegas)

Pour les amateurs de thrillers d’exploitation où paranoïa, télépathie et prémonitions font bon ménage, la maison Dirty a concocté une compilation titrée I Remember the First Time I Heard Your Voice. Ce vinyl collector est un mystérieux patchwork de library music futuriste, de sérénades hantées par des pianos mélan­coliques et d’exotica suave entrecoupée de dialogues de films obscurs. Un complément idéal à Traumavision, une bande-son de RadioMentale réalisée pour accompagner la vidéo Menace Néanderthale de Pierre la Police. Ce collage sonore d’extraits de films bis d’où surgissent quelques fragments de musique électronique d’un autre âge vient prolonger l’inimitable idiotie des dessins du maître en nous faisant revivre les meilleurs moments de la vie des superhéros mexicains aux doigts boudinés et des algues extraterrestres infiltrées dans les pots de rillettes. En écho à ces friandises sleazy listening du plus bel effet, il est indispensable de se procurer le EP Forest of Evil de Demdike Stare, deux longs morceaux méandreux qui serpentent entre dissonance morriconienne, percussions tribales et deep techno hypnotique à la Monolake, parvenant à transformer un genre aussi chiant que le dubstep en épopée surnaturelle. Soyons honnêtes : depuis qu’il a changé de backing band et décroché des amphét’, Ariel Pink est devenu presque trop clean. Beaucoup de ses ex-fans ne peuvent plus blairer sa musique, sous prétexte qu’elle ressemble désormais à du glam rock progressif des années 1970 joué par des « zicos » à catogan. C’est des conneries, son dernier single « Round and Round » est vraiment de la bonne came pop. Je dirais même que sa musique est encore plus zarbi et dérangeante maintenant qu’elle est devenue plus carrée (et non, je ne vous ferai pas le coup de la « maturité »). L’ironie, c’est que tous les mecs de la chillwave qui l’ont pompé se cassent le cul pour avoir le son le plus lo-fi possible et gavent de reverb le moindre riff, pendant que lui sort un album tout propre chez 4AD. Il a heureusement gardé cette dégaine de Kurt Cobain glam goth lilliputien, cette voix perchée qui dérape et ce son synthpop eighties un peu poisseux qui me rappelle la musique qu’écoute le tueur du Silence des Agneaux. Tout le monde à Paris a eu un jour affaire à l’infréquentable Andy Bolus, alias Evil Moisture, génial recycleur de joujoux électroniques en engins de guerre noise. Sur son dernier LP, sobrement intitulé If You Want to Fuck the Sky, Teach Your Cock to Fly, il s’est adjoint les services d’une androïde soviétique aux cris perçants qui ferait passer Genesis P-Orridge pour Amanda Lear. Le mutant Bolus est la preuve vivante que les aliens ont bel et bien infiltré la Terre sous forme d’organismes déliquescents qui absorbent quotidiennement cinq litres de vinasse et s’épanouissent dans des monticules de détritus industriels. Dans la nébuleuse des vandales accros au boucan, le New-Yorkais Carlos Giffoni, fondateur du label No Fun et du festival affilié, a mis trente ans à admettre que l’acid house, c’est quand même bonnard. No Fun Acid, c’est un peu comme si on mettait une Roland 303 dans les mains d’un myopathe. Ça sonne comme de la rave music old school revisitée par le noise (c’est-à-dire brut de décoffrage, avec tous les sons parasitaires ou saturés que les mecs de la techno se sont toujours évertués à gommer). La face B est remixée par Gavin Russom, et c’est le genre de morceau dément qu’aurait pu pondre Charlemagne Palestine s’il s’était mis à l’acid en 2010. En même temps, si tu écoutes les hallucinants ragas techno de Charanjit Singh, tu t’aperçois que l’acid house est allée jusqu’en Inde dans les années 1980, et c’est assez dingue d’entendre un truc pareil. Même à Berlin, on commence à humer cette nostalgie de la bonne vieille rave party, quand tout le monde dansait sous taz sans se soucier de savoir comment payer son loyer. Il suffit d’écouter le EP de MMM pour tâter le pouls de cette ville qui a perdu de son attrait depuis que les touristes du clubbing se la sont appropriée comme la Terre promise. On voit enfin le bout du tunnel de la techno mini­male, mais à la place se dessine une grosse torgnole de revival rave ­hardcore, avec des montées un peu trance sur les bords. Ça déconne sévère chez les geeks berlinois en ce moment ! Les expat espagnols sauvent la face en versant un peu de disco française dans leur Jägermeister et en revenant aux fondamentaux : Jean-Pierre Massiera, le Mocky de la disco psyché, est devenu la nouvelle idole des Masters of Edits. Les branchés font tourner les serviettes et tout le monde saute au plafond pour oublier que la crise ne fait que commencer. EVA REVOX DIRTY – I Remember the First Time I Heard Your Voice (Dirty Records)
DEMDIKE STARE – Forest of Evil (Modern Love)
RADIOMENTALE & PIERRE LA POLICE – Traumavision (Stembogen)
ARIEL PINK & HAUNTED GRAFFITI – Round and Round 7” (4AD)
EVIL MOISTURE – If You Want to Fuck the Sky, Teach your Cock to Fly (Ideal Recordings)
NO FUN ACID – No Fun Acid (No Fun Productions)
CHARANJIT SINGH – Ten Ragas to a Disco Beat (Bombay Connection)
MMM – Nous Sommes MMM (MMM)
LOS MASSIERAS – Boogity Boogity Boogity (Discoteca Oceano)