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Dans l'atelier de réinsertion du centre pénitentiaire de Metz

Logement, emploi et tracasseries administratives : comment les détenus français se préparent pour la liberté.
Le Centre pénitentiaire de Metz-Queuleu, qui regroupe une maison d'arrêt et un centre pour peines aménagées. Capture via Google Maps

Alors que je me tiens devant l'immense porte du centre pénitentiaire de Metz, une femme d'une quarantaine d'années vient me chercher, quelques minutes après mon appel. À mes côtés se trouve Sophie, une jeune femme qui travaille dans une association dont l'objectif est d'aider les prisonniers à se réinsérer, et qui connaît déjà bien les lieux. Une fois arrivés dans le premier sas de la prison, on nous demande de présenter notre carte d'identité. Ensuite, les gardes nous confient un badge qui nous permet d'ouvrir plusieurs portes du centre – il faudra en franchir au moins huit et passer par un portique de sécurité avant d'arriver dans le quartier d'intervention du centre pour peines aménagées.

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Au cours du trajet, nous croisons d'autres membres du personnel, des intervenants, mais aussi des détenus. Ici, ces derniers sont plus autonomes et moins surveillés qu'en maison d'arrêt – certains sont dans leur cellule en train de discuter et de jouer aux cartes, tandis que d'autres font les cent pas dans la cour de promenade. Sophie donne des cours dans une pièce qui rappelle une salle de classe d'école primaire : elle mesure environ 16 m2 et est pourvue de trois tables, d'une dizaine de chaises et d'un tableau.

Les prisonniers nous rejoignent dans la salle de classe – leur âge oscille entre 20 et 55 ans. Tous portent un survêtement de marque, ou un jean avec un T-shirt blanc ou noir. La grande majorité a les cheveux rasés. Il y a beaucoup de garçons, mais aussi des filles ; plus précisément deux par session. Sophie se présente pour les nouveaux, avant d'expliquer la raison de ma venue. Les prisonniers nous écoutent sans broncher, observateurs – à l'exception de deux types placés au fond de la classe, qui semblent complètement désintéressés par ce qui est en train de se passer et discutent entre eux depuis le début de la séance. Sophie parle ensuite de son association, et commence à expliquer aux détenus comment intégrer un logement en leur détaillant notamment les démarches administratives à faire.

Cela fait maintenant deux ans que Sophie exerce la profession de conseillère en logement au CLLAJ (Comité de Local pour le Logement Autonome des Jeunes) de Metz, une petite association de moins de dix salariés qui vient en aide aux personnes qui ont besoin d'être logées. À leur sortie de prison, il arrive effectivement que les détenus se retrouvent parfois dans des situations épineuses – plusieurs associations se sont données pour mission de les aider tout en limitant les risques de récidive. Sophie m'explique avoir déjà vu des détenus se faire suivre psychologiquement pendant près de six mois, pour que leur réinsertion se fasse dans les meilleures conditions possibles.

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Le site du CLLAJ de Metz, à l'ergonomie peu moderne, se présente comme « la boutique du logement » et s'adresse principalement aux jeunes. À la manière d'une agence immobilière, l'association propose plusieurs solutions pour permettre à ces derniers de trouver un toit – y compris aux personnes en manque de ressources et sans solution d'hébergement. Outre les demandeurs de logement classiques, l'association a également une convention avec différentes prisons de la Moselle. Le travail de Sophie se divise aussi en plusieurs parties – la première étant de proposer des logements à des individus lambda à la recherche d'un toit. Elle rencontre des personnes sous tutelle, sous curatelle, ou dans des procédures d'expulsion ; la plupart du temps pour des impayés de loyer. Deux fois tous les deux mois, elle intervient dans des centres pour peines aménagées, lesquelles accueillent des prisonniers qui purgent des peines inférieures à cinq ans d'emprisonnement ou qui ont déjà purgé les trois-quarts de leur peine. Ces détenus proches de la liberté ont le droit de sortir une demi-journée chaque jour pour chercher du boulot ou un logement.

Au cours de la séance collective à laquelle j'ai été convié, le public est à ma grande surprise réceptif et calme. Sophie m'explique que cela dépend des personnes et des groupes, et qu'elle a eu énormément de difficultés à ses débuts. Certains détenus essaient parfois de la draguer, à grand renfort de répliques lourdes type « Est-ce qu'on peut avoir ton numéro perso ? Est-ce qu'on va se revoir dehors ? ». En revanche, elle ne s'est jamais fait insulter et ne s'est jamais sentie en danger non plus.

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Certains détenus sont enfermés pour des trafics de médicaments, d'autres pour viol. Sophie doit néanmoins traiter tous les prisonniers de la même manière, quel que soit le motif de leur condamnation.

À la fin de la session qui aura duré environ une heure, je la regarde fixer un rendez-vous individuel avec chaque détenu afin de connaître sa situation et d'adapter au mieux les démarches à suivre. Lors des entretiens, nous nous retrouvons seuls face au détenu pendant 45 minutes. Sophie fait le point sur la situation du prisonnier, lui explique les démarches administratives à entreprendre et essaie de voir si ses ressources peuvent lui permettre de devenir locataire. Elle oriente souvent les prisonniers vers des logements sociaux, mais ces derniers rechignent à cause de la très mauvaise image qu'ils en ont. Quant aux bailleurs sociaux, ils sont aussi réticents à accueillir des anciens détenus, et posent énormément de questions sur leur situation. Ainsi, l'association change fréquemment les adresses postales : lorsque le bailleur ne voit pas que la demande vient d'un établissement pénitentiaire, les dossiers passent plus facilement.

En entretien individuel, les personnes emprisonnées se livrent beaucoup plus, et semblent être en confiance. Parfois, ils avouent à Sophie la raison de leur incarcération : certains sont enfermés pour des trafics de médicaments, d'autres pour viol. Sophie doit néanmoins traiter tous les prisonniers de la même manière, quel que soit le motif de leur condamnation. Il y a peu, elle me raconte qu'un jeune s'est fait enfermer pour deal de stupéfiants – il lui a confié gagner jusqu'à 18 000 euros par jour. Elle m'explique que la majorité des détenus qu'elle rencontre en entretien se contrefichent de ce qui les attend dehors, et nombre d'entre eux récidivent. Un maton me déclare qu'il a déjà vu la plupart des détenus au moins deux fois, si ce n'est plus. D'autres sont plus motivés et se retrouvent en détention suite à un simple accident de parcours – conduite en état d'ivresse ou sans permis, par exemple – et trouvent rapidement un logement à la sortie.

La Maison d'arrêt de Metz. Capture via Google Maps

Au sein de la Maison d'arrêt, les interventions sont différentes. Les prisonniers purgent de plus longues peines et sont plus dangereux. Sophie y intervient tous les mois et y organise un atelier de mise en situation réelle avec des jeux de rôle. Les prisonniers doivent se mettre dans la peau de personnes en contrat de travail, en recherche d'emploi, célibataires, en couple ou divorcés. Il y a donc des questions sur chaque personnage pour savoir ce qu'ils peuvent faire ou non, en fonction de leur situation. Lors de l'atelier où je me trouvais, les prisonniers devaient improviser à partir de ce scénario : « Luc travaillait, il a démissionné avant son incarcération. Il souhaite connaître les ressources qu'il peut percevoir à sa sortie. Où peut-il se renseigner ? ».

Sophie est équipée d'un talkie-walkie à chaque séance en cas de problème. En comparaison au centre de détention pour peines aménagées, il y a énormément de détenus et de contrôles de sécurité. Il y a une caméra dans la salle, et il arrive que des gardiens assistent également au cours pour sortir les détenus turbulents. Elle m'évoque notamment un cours où deux types de la vingtaine, très dissipés, avaient passé leur temps à jouer aux cartes, à insulter les autres et à lui couper la parole. Dans ce cas de figure, elle est contrainte de prévenir les surveillants – les détenus se sont pris un rapport dans la foulée. Au final, la majorité des prisonniers que Sophie a encadré ne se sont pas réinsérés. Il y a tellement de détenus à suivre qu'il est malheureusement très compliqué pour les conseillers pénitentiaires d'insertion et probation de ne pas perdre leurs traces. À la sortie, les détenus changent rapidement de coordonnées et ne donnent malheureusement plus de nouvelles – préférant se reloger chez des proches plutôt que de s'embarrasser de tracasseries administratives. Anthony est sur Twitter.