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LE NUMÉRO MODE 2010

Habillé pour le rôle

Vice : Salut Bonnie. Tu peux nous en dire plus sur la Shakespeare Company du New Jersey, dont tu es responsable ? Bonnie Monte : C’est une vieille compagnie, au rythme où vont les choses...

INTERVIEW : VICE STAFF Vice : Salut Bonnie. Tu peux nous en dire plus sur la Shakespeare Company du New Jersey, dont tu es responsable ?
Bonnie Monte : C’est une vieille compagnie, au rythme où vont les choses dans le monde du théâtre. L’institution a 48 ans. J’y suis metteur en scène depuis vingt ans. Aujourd’hui, nous sommes la sixième ou septième plus grosse compagnie shakespearienne des États-Unis. Chaque année, on monte six à huit grosses pièces classiques, pour moitié des pièces de Shakespeare. On est également en charge d’une douzaine de programmes éducatifs par an. Vous faites des représentations en plein air, aussi ?
Oui, on dispose d’un amphithéâtre grec qu’on utilise l’été. C’est génial. Comment êtes-vous devenue un petit soldat de Shakespeare ?
Quand j’étais gamine, j’adorais Shakespeare. Mais à l’école, on me l’a mal enseigné. Je ne comptais pas spécialement me diriger vers Shakespeare, je m’intéressais plus au théâtre classique, les Grecs, Tchekhov… Mais Shakespeare m’a pris dans ses filets. J’ai dû m’y mettre quand, de but en blanc, j’ai dû diriger un théâtre shakespearien. Je m’y suis très vite convertie. Aujourd’hui, je ne pourrais pas me passer de ses pièces de théâtre. Après vingt ans à bosser ici, j’ai presque l’impression de le connaître. Merci Bonnie. Et maintenant, écoutons ce que vous avez à dire sur les looks shakespeariens de Kenneth Williams… CALIBAN
« J’adore Caliban. C’est un personnage fantastique. Je pense qu’il a une des plus belles répliques jamais écrites, celle qui commence par : “N’aie pas peur : l’île est remplie de bruits…” C’est génial : on a ce monstre grotesque, et le moment le plus poétique de la pièce, c’est quand il parle de ses rêves, et de sa volonté de rester dans le rêve. Je pense que Caliban est un personnage bien plus ­difficile à incarner que ce que les gens ­veulent bien admettre. » HAMLET
« Ce costume fonctionne bien avec le personnage d’Hamlet, la pièce se passe au Danemark, il y fait froid, les gens doivent porter de la fourrure ! Je viens de produire un Hamlet, et j’ai pas mal utilisé la fourrure, aussi, mais pour une raison différente. Ça faisait environ trente ans que je réfléchissais à la façon de monter cette pièce, et j’ai eu la chance de pouvoir le faire. Des images de rongeurs – des souris et des rats – courent tout le long de la pièce. D’ailleurs, la pièce dans Hamlet s’intitule Le piège à souris. Le décor consistait en un piège à souris massif et abstrait qui est descendu lentement tout au long de la pièce. Tous les costumes comportaient des touches de fourrure. C’était assez subtil. C’est pas comme si, en voyant la pièce, vous vous disiez : “Ah, tout le monde est habillé en souris.” Vous avez très bien habillé Hamlet. » JULES CÉSAR
« Ça, c’est un super look pour César, pour la première partie de la pièce, celle où il n’est pas encore un fantôme. Quand vous mettez en scène une pièce avec des spectres, il faut marquer le coup vis-à-vis du public, qu’ils sachent qu’il s’agit d’un personnage revenu d’entre les morts. Par exemple, dans Hamlet, que je viens de monter, le fantôme de son père apparaît. On s’est contentés de faire deux choses : on l’a habillé exactement de la même façon qu’avant sa mort, mais on a rabattu la visière de son casque. Et on l’a équipé d’un micro pour réverbérer sa voix. Chaque fois qu’il parlait, il y avait une légère résonance. Tout de suite vous compreniez que c’était un fantôme. » LE ROI LEAR
« Les collants que Michael porte pour Lear ont été conçus pour une production que j’ai faite il y a deux ans. Les autres vêtements proviennent d’une représentation du Roi Lear qui a été jouée il y a très longtemps. On a encore joué cette pièce récemment, et c’était génial. Je pense que Lear ne sombre jamais dans la folie, à aucun moment de la pièce. Il descend consciemment dans un endroit très sombre, qui ressemble à la folie, pour lui c’est le seul moyen de dépasser ce qu’il traverse, de ne pas devenir fou de chagrin, malgré toutes les trahisons qu’il a subies. Il erre, libre, sauvage, tandis que son esprit essaye de trouver un sens à ce qui lui est arrivé. » MACBETH
« Il y a quelque chose de très primitif dans Macbeth. Ça pourrait se passer n’importe où, mais dans une sorte de société précivilisée, peuplée uniquement par des chefs guerriers. Dans la pièce, meilleur combattant vous êtes, plus vous avez de pouvoir. Est-ce que c’est une bonne chose ? Dans Macbeth, ce n’est pas le cas. J’ai produit un Macbeth qui a été considéré comme révolutionnaire, des spécialistes m’ont dit qu’ils n’avaient jamais rien vu de tel. J’ai tellement étudié cette pièce. C’est ma pièce préférée. Pour moi, les sorcières dans Macbeth représentent les démons intérieurs qui nous dictent nos désirs, nos peurs, nos angoisses, et mes sorcières étaient très différentes de ce qu’on voit habituellement. Elles incarnaient d’une façon tangible notre côté obscur. » OBÉRON
« Ça, c’était un costume génial pour Obéron, le roi des fées dans Le Songe d’une nuit d’été. Les fées, dans cette pièce, ne sont pas les petites fées mignonnes typiques qu’on a en tête aujourd’hui. Dans la pièce, Shakespeare fait d’Obéron un mari violent, tyrannique, enragé. Il est très sexuel aussi. C’est un homme à femmes. Il aime les filles. Il n’y a pas seulement sa fabuleuse femme, la reine des fées, mais aussi la femme, mortelle, d’un duc. Et ensuite, il tombe amoureux d’Helena, cette pauvre petite fille fragile dans les bois. Il tombe amoureux à droite et à gauche. C’est très bien que son costume ne soit pas boutonné, qu’on puisse voir son torse nu. Et l’or, ça fonctionne pas mal ici. » RICHARD III
« On a joué Richard III il y a environ deux ans. Ça a eu un succès fou, le côté démoniaque du personnage a énormément bouleversé le public. Mais la plupart des gens vraiment méchants le sont, en général, à cause d’un grand traumatisme. Richard est un homme torturé. La société des hommes, à cette époque, était bien plus brutale qu’aujourd’hui, et pour quelqu’un d’handicapé et de bossu comme Richard, peu importaient les moyens pour assurer sa propre survie. » ROMÉO
« Je n’interpréterais pas Roméo comme ça. Y’a trop de froufrous. C’est l’un des gamins les plus riches de la ville, mais cette chemise à jabot me fait plus penser à un truc poétique, byronien. Pour moi, c’est plus une tenue pour Comme il vous plaira. Après, j’aime beaucoup ce costume, et oui, on peut l’utiliser pour Roméo. Si je devais habiller Roméo, je lui mettrais des bottes hautes. C’est sexy et ça transcende automatiquement toutes les époques, ça se porte dans l’Angleterre élisabéthaine comme dans le monde moderne. Les bottes fonctionnent bien avec la tenue que vous présentez. Mais je lui mettrais un collant sombre, couleur terre, et du velours parfaitement ajusté – quelque chose qui dit : « Je suis riche, mais je traîne dans les rues et je transperce des ventres avec mon épée. »

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