J’ai demandé à un psy ce que mes recherches YouPorn disaient de moi
Illustration : Pierre Thyss

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Sexe

J’ai demandé à un psy ce que mes recherches YouPorn disaient de moi

Si quelqu’un tombait sur mon historique, serait-il capable de tirer un portrait précis de l’amateur de #fist et de #bigcock que je suis ?

Cet article vous est présenté par Canal +, qui diffuse le documentaire Pornocratie aujourd'hui à 20h50. Cliquez ici pour plus d'informations.

Je suis plutôt le genre de personne qui assume ouvertement ses fantasmes sexuels – lesquels n'ont rien d'inavouable, par ailleurs. À l'instar de tout un chacun, il m'est arrivé de chercher un peu de réconfort sur YouPorn et autres havres du stupre en ligne, lors des nuits de disette où mon imagination ne me suffisait plus. Comme mes recherches sont souvent orientées vers les mêmes champs d'exploration un peu monomaniaques, je me suis demandé si ces mots-clés pouvaient me permettre de mieux me connaître. Si quelqu'un tombait sur mon historique, serait-il capable de tirer un portrait précis du spectateur qui tombait s'était masturbé quelques heures sur des corps #natural en train de s'adonner à une #amateur #french #orgy impliquant éventuellement un #fist ou une #bigcock ? Je me suis rendu chez le Dr Gilbert *, psychiatre au centre hospitalier Sainte-Anne à Paris, pour qu'il m'en dise plus sur le sujet.

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VICE : Histoire de balayer les doutes, est-ce que Freud est effectivement le premier à s'être penché sur la sexualité pour analyser l'esprit ?
Dr. Gilbert : Oui, tout à fait. C'est d'ailleurs son originalité de trouver dans la perversion-même un point d'appui pour mettre en question toute la sexualité de l'être humain dans le symbolique. Si Freud parle de sexualité, ce n'est pas parce qu'il est obsédé, comme on lui en a encore récemment fait le reproche. Mais parce qu'à partir de la sexualité, il voit comment l'Homme se construit par ailleurs.

À partir de quel âge les préférences sexuelles – telles qu'on les conçoit quand on est adultes – commencent à s'exprimer et à se faire une place dans la psyché des individus ?
Dans le développement de l'humain, il y a quelque chose qui se construit dans la petite enfance – disons entre 2 et 6 ans, dans un cadre équilibré – qui s'installe dans la période de latence – entre 6 et 12 ans – et qui se dénoue à l'adolescence. Le dénouement aboutit ensuite à l'apparition de ces objets préférentiels. Mais disons qu'à 6 ans, beaucoup de choses sont déjà réglées.

Voyons donc si mes recherches disent quelque chose sur moi. La première recherche que je fais sur YouPorn concerne des filles qui ont des poils. Je tape #hairy, pour être encore plus précis.
Pour commencer, il faut distinguer la pulsion de l'objet de la pulsion, sinon on ne comprend jamais rien. Il faut aussi distinguer le désir, l'amour et la jouissance. Mais quand vous me dites ça, je suis un peu gêné parce que je pense que ceux qu'il faudrait interroger, ce sont ceux qui n'en veulent pas… Interroger celui qui en cherche, c'est tout de même un peu étonnant.

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Je n'ai pas à m'inquiéter à ce sujet, donc ?
Ah non, pas vraiment. Moi je trouve le retour à la nubilité inquiétant dans le rapport érotique des gens qui la recherchent.

Ça dit quoi de ces gens-là ?
Il y a d'abord le côté germaphobe, très américain . Ensuite, le côté légèrement pédophile qui s'exprime dans cette recherche. Et plus généralement, je suis très étonné parce que s'il y a une interrogation qu'on peut avoir par rapport à la femme, en tant qu'homme, et surtout jeune adolescent, c'est bien celle-ci : est-ce qu'elle a des poils ? De fait, aller chercher des femmes qui n'en ont pas, je trouve ça plus qu'étonnant.

Par extension, j'adore les poils sous les bras, mais pas sur les jambes. Ça, ça me débecte un peu. Je me suis déjà posé la question et j'y vois peut-être une version de la chatte plus abordable, moins cachée…
C'est recevable, mais j'aurais tendance à voir que là, on parle d'une chose un peu plus difficile à assumer. Je dirais que vous venez d'une génération et d'une époque où les images pornographiques montraient des femmes avec des poils sous les bras. Plus généralement, cela renvoie aux images d'une époque libertaire qui a constitué le berceau des fantasmes érotiques d'un certain nombre de générations, et donc ça renvoie aussi à cet imaginaire-là. Mais aussi à une évasion de la norme que vous considérez peut-être comme un peu ennuyeuse.

Il se trouve que pour retrouver ces trucs, il faut que je tape #natural. Une chose à dire à ce propos ?
Si on doit taper #natural pour trouver des femmes « à poils », on s'interroge un peu sur le devenir des autres… De ce point de vue là, ces catégories sont absolument précieuses. Il faut les entendre telles quelles. C'est la magie de la langue.

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Sinon, quand je ne trouve rien de satisfaisant dans ce cadre, je cherche aussi des partouzes, mais pas en grand nombre, et plutôt amateur…
Le goût de l'amateurisme est intéressant, c'est bien celui de la génération d'une pulsion scopique, qui est celle d'être vue. Voir et être vu, comme l'enfant qui veut être vu. De ce point de vue-là, la pornographie Internet s'est rapprochée de l'intime. Amateurisme, girl next door, etc… On ne sait pas si c'est réel ou pas, mais ça veut s'en rapprocher. En recherchant ça, on veut en voir en sachant fantasmatiquement qu'on pourrait tout aussi bien y être et y être vus. Ce qui n'est pas le cas dans une production complètement plastifiée.

C'est pertinent, puisque cette recherche finit toujours par me faire tomber sur un film que je connais par cœur. Dans celui-ci, deux couples qui semblent rentrer de soirée commencent à s'échanger devant un cinquième larron qui les filme en s'amusant. Tout ça ressemble à ce que j'aurais pu moi-même filmer lors de certains retours de soirées. Est-ce qu'en ressemblant à ma réalité, mes fantasmes ne font pas de moi un type parfaitement ennuyeux ?
La définition même de la névrose, c'est la répétition – qui est aussi le siège de la nouveauté ! Sans répétition, pas de nouveauté. Il ne serait donc pas surprenant d'être à la fois dans le domaine du fantasme et dans celui de la répétition.

Pouvez-vous m'en dire plus ?
Je précise que ce n'est pas de moi. On s'illusionne sur notre capacité à inventer et à découvrir des choses nouvelles. On est très vite entraîné dans la répétition d'une vie qu'on mène dès le plus jeune âge avec nos parents – à laquelle on ajoute l'apport de gens extérieurs et de nos relations amoureuses. À part ça, on est sans cesse repris dans cette répétition, qui est celle du quotidien. Elle n'en est pas moins créatrice d'imaginaires nouveaux. On reste toujours prisonnier de soi-même, vous savez.

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OK. Sinon, en ce moment, j'ai abandonné les tubes au profit des cams. Quelle différence y a-t-il selon vous être spectateur d'un acte en direct et regarder un acte en différé ?
Les webcams et le cyber-sexe posent d'autres questions. Lorsque vous recherchez certaines choses sur les tubes, cela peut dénoter certaines perversions. Quand vous cherchez une diffusion directe, partagée ou non, vous serez plus à la recherche du plaisir simple, de la consommation.

Après, cette consommation lève le voile sur un autre problème névrotique, qui est celui de la rencontre. Pour moi, un tel évitement peut s'avérer problématique et digne d'être approfondi.

Est-ce que le fait d'être excité par le bruit de mes voisins qui baisent est lié à une névrose « de la rencontre » ?
Les voisins qui baisent assouvissent l'un des « fantasmes primordiaux ». Ce sont les fantasmes qui nous définissent le plus. C'est ce moment où l'enfant observe, imagine, ou croit observer ses parents en train d'en concevoir un autre – ce que Freud décrit dans L'Homme aux Loups. Tout ce qui est porte fermée, voyeurisme, est bien souvent une résonance de la scène primitive.

Je vous rassure, ce fantasme est à peu près partagé par tout le monde, comme d'autres fantasmes que vous n'avez pas évoqués, car plus « délicats », peut-être.

C'est-à-dire ?
Vous ne m'avez pas parlé de #stepmoms et de #milf, qui viennent clairement assouvir le fantasme de l'inceste. Et vous ne semblez pas rechercher le mot-clé #barelylegal – qui affirme un goût pour la nubilité et permet évidemment de contourner l'interdit de la pédophilie. Il s'agit néanmoins de pulsions qui existent chez tout le monde.

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Mais est-ce que ça ne veut pas dire que je les refoule dangereusement ?
Je ne sais pas. Qu'est-ce que vous en pensez, vous ? Ce que je peux vous dire, c'est que cette absence d'intérêt permet peut-être de déterminer le moment et le cadre dans lesquels votre libido s'est figée.

Merci docteur. Je vais y réfléchir.

*Le nom a été changé.

* Notre interlocuteur a demandé à ce que son nom ne soit pas révélé.

Cet article vous est présenté par Canal +, qui diffuse le documentaire Pornocratie aujourd'hui à 20h50. Cliquez ici pour plus d'informations.