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Société

Pourquoi une femme a abandonné sa communauté polygame, mais pas la polygamie

L’histoire de Twyla Quinton montre que la criminalisation d’une structure familiale donnée est terrain glissant.
Photo : Jackie Dives

Quand Twyla Quinton était jeune, elle était à peu près sûre que tous les enfants avaient plusieurs mères. « Je pensais que la seule différence entre nous et les autres, c'était notre façon de nous habiller. » Ce n'est qu'à la fin des années 90, quand les médias ont commencé à s'intéresser à sa communauté de mormons fondamentalistes, qu'elle a compris que les autres familles étaient très différentes, et que la sienne n'était pas conforme à la loi.

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Dernièrement, j'ai visité Bountiful, le village où elle a grandi dans le sud de la Colombie-Britannique. Les gens de la communauté disent à la blague que leur taux de divorce est à peu près le même que n'importe où sur la planète. Selon des études, les divorces seraient même plus fréquents dans les familles polygames, ce qui rend l'histoire de Twyla encore plus étonnante. Elle a presque tout laissé derrière elle en quittant Bountiful — son Église, ses frères et sœurs, ses amis, sa maison —, mais son mariage à trois, lui, est intact.

Au Canada, la polygamie est illégale depuis 1890. L'été dernier, un tribunal de la Colombie-Britannique a maintenu les accusations de polygamie contre le chef de la communauté de Bountiful, Winston Blackmore, et le mois dernier trois polygames ont été accusés de trafic d'enfants. Chez les mormons fondamentalistes d'Amérique du Nord, la polygamie prend souvent la forme de mariage forcé et d'exploitation sexuelle.

L'histoire de Twyla montre que la criminalisation d'une structure familiale donnée est terrain glissant. « J'ai décroché un emploi dernièrement et ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas embaucher des personnes qui ont enfreint la loi, raconte Twyla. Je leur ai répondu : "Peut-être que je l'ai fait." C'est illégal pour les filles ou ce sont seulement les gars qu'on met en prison? »

En 2011, l'avocat Tim Dickson a avancé en cour que la polygamie ne devrait pas être un crime. Dans son argumentaire, il a affirmé que la loi devait plutôt viser des crimes, comme le viol ou les agressions.

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Comme, de nos jours, les relations ouvertes et les sites web pour personnes infidèles sont monnaie courante, il est de plus en plus difficile d'expliquer que le mariage ait de l'importance aux yeux de la loi. « Un homme peut avoir une deuxième famille en secret, ce qui n'a rien de criminel. Il peut mentir des deux côtés et cacher l'existence de l'autre famille, explique M. Dickson. L'étrange logique de l'article 293 dit qu'il s'agit d'un crime seulement si les relations multiples sont révélées et officialisées dans une cérémonie publique. »

Selon M. Dickson, le juge en chef Robert Bauman a décidé que la polygamie restait illégale à cause du bagage culturel qu'elle traîne. « En partie, c'est un cruel calcul arithmétique : dans une petite communauté, on doit en venir à contraindre les femmes à se marier et la polygamie ne peut pas émerger si les membres peuvent faire un choix libre et éclairé », estime-t-il.

L'expérience de Twyla supporte la théorie du bagage culturel. Elle raconte que la pression de se marier jeune est très réelle. On lui disait de ne pas poser de questions, de mettre ses émotions de côté et d'obéir à ses parents ainsi qu'aux chefs spirituels en toutes circonstances. Pour elle, c'était une question de vie ou de mort.

La première fois qu'on lui a demandé si elle était prête à se marier, elle avait 14 ans. Elle a rougi et refusé, mais, deux ans plus tard, se sentant prête, elle a accepté. « On nous avait dit que la fin du monde surviendrait en 2000, et je voulais avoir un enfant avant de mourir, se souvient-elle. J'ai dit : "Maman, je veux vivre ma vie! J'ai 16 ans et il ne me reste que deux ans!" »

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À Bountiful, les chefs religieux arrangent les mariages et souvent les femmes ne rencontrent pas leur époux avant. Twyla a été mariée le soir de l'Halloween, quelques heures après qu'on lui a annoncé qui serait son époux. Deux ans plus tard, elle a demandé au chef de la communauté de Bountiful si sa sœur April pouvait faire partie de sa famille.

« April et moi, on était très proches, on était des sœurs et on était toujours ensemble de toute façon, nous explique-t-elle. Je me suis dit que ce serait cool si April pouvait faire partie de notre famille. » Même si au début la vie à trois était étrange, elle assure que très vite ils ont trouvé leur façon de vivre ensemble.

C'est son mari qui a décidé que la famille quitterait la communauté et commencerait une nouvelle vie en dehors de Bountiful. À l'époque, elle et sa sœur ont accepté la décision pour le bien des enfants. « C'était comme atterrir sur la Lune. Personne ne vit comme on avait vécu toute notre vie. On a déménagé à 30 minutes du village, mais c'était si différent. On ne savait pas comment prendre des décisions nous-mêmes. L'Église décidait de tout. »

Deux maisons et plusieurs enfants peuvent être une source de maux de tête, mais Twyla en souligne sans hésiter les avantages. « Je trouve que j'avais beaucoup plus de liberté avec mes enfants, surtout quand ils étaient petits et que je vivais avec ma sœur. Comme on partageait un emploi, on n'avait jamais à se soucier de trouver une gardienne ou une place en garderie. »

Même si elle désapprouve le contrôle de l'Église sur sa vie, elle ne rejette pas la polygamie et espère que le gouvernement la décriminalisera. « C'est tout ce que j'ai connu, nous sommes restés ensemble et nous devrions avoir le droit de rester ensemble. »

C'est un avis auquel les gens des régions rurales de la Colombie-Britannique sont de plus en plus ouverts. « Les familles sont si diversifiées. On est en 2016, explique Twyla. Des fois, quand les enfants disent à l'école qu'ils ont deux mères, les autres enfants pensent que nous sommes lesbiennes. Mais on ne l'est pas, et c'est normal, ça devrait être normal. »

Même si la cour a rejeté ses arguments en 2011, M. Dickson ne pense pas que les pressions pour la décriminalisation disparaîtront. « Peu importe la décision, à mon avis, le problème n'est pas résolu pour certaines personnes, parce qu'elles trouvent que la prohibition et la criminalisation, c'est aller trop loin. Et ils reviennent à cette même question de base : Si trois personnes ou plus décident de vivre ensemble et que la polygamie est vraiment leur choix, où est le problème? »

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