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La mystérieuse et déprimante histoire du Prisonnier X

Mardi 12 février, la chaîne australienne ABC diffusait un reportage dévoilant l’identité du mystérieux « prisonnier X », décédé en ...

La tombe de Ben Zygier, le « Prisonnier X » d'Israël

Mardi 12 février, la chaîne australienne ABC diffusait un reportage dévoilant l’identité du mystérieux « Prisonnier X », décédé en cellule d’isolement dans une prison israélienne en 2010. Le cas du « prisonnier X » était si confidentiel que, selon ABC, même les gardes de la prison d’Ayalon ne connaissaient pas son identité. « L’homme, hermétiquement scellé, était totalement coupé du monde. » Son arrestation et sa détention ont été décrites comme une « disparition », ce qui a tiré la sonnette d’alarme pour des organisations telle que l’Association pour les droits civiques en Israël – selon eux, qu’un individu puisse se volatiliser sans autre forme d’explication ne correspond pas à ce qu’on attend d’un État de droit.

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Si cette histoire ressemble déjà à une combinaison bizarre entre un film d’espionnage sur la guerre froide qui se passerait au XXIe siècle et l’histoire de l’Homme au masque de fer, elle a pris une tournure bien plus troublante lorsqu’on a appris que le prisonnier X s’était pendu dans une cellule où il était surveillé 24h/24 – bien que son incarcération n’ait jamais été officiellement reconnue. Le Sydney Morning Herald a révélé qu’il était aussi surveillé par les services de renseignements australiens (ASIO) et qu’il avait auparavant voyagé en Iran, en Syrie et au Liban – des pays qui ferment leurs frontières aux individus s’étant rendus dans « l’entité sioniste ». Israël interdit à ses citoyens de voyager dans ces pays pour des « raisons de sécurité ». On a appris que Zygier, avec au moins deux autres personnes, avait utilisé son passeport australien pour se déplacer. On dit souvent que les Australiens sont bien adaptés aux missions d’espionnage car ils n’attirent pas de soupçons particuliers.

ABC est sûre d’une chose, c’est l’identité du mystérieux Prisonnier X : il s’agissait d’un Australien nommé Ben Zygier qui, dix ans avant sa mort, avait déménagé en Israël et avait changé son nom en « Ben Alon ». Il s’était marié à une femme israélienne avec qui il a eu deux enfants. Il est probable que Zygier ait travaillé en tant qu’espion pour le Mossad, les services secrets israéliens, avant de se faire emprisonner sans procès public et de mourir dans sa cellule. Selon ABC, son corps a été rapatrié à Melbourne en décembre 2010 pour y être enterré, alors même que le gouvernement australien n’était pas au courant de son décès. Il s’agit d’une violation du droit international, chose assez récurrente en Israël.

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La prison d’Ayalon où Zygier était détenu

C’est ainsi que cette histoire est devenue un problème pour le gouvernement israélien. Les médias israéliens parviennent généralement à contourner la censure « pour raisons d’État » en citant les médias étrangers pour les sujets sensibles. La presse israélienne a donc sauté sur la révélation d’ABC mais il semblerait que cette affaire soit encore plus confidentielle que les récentes frappes israéliennes en Syrie et l’incursion du pays dans l’espace aérien libanais. Plus tard, Ha’aretz publiait :

« Mardi dernier, le cabinet du Premier ministre a organisé une réunion en urgence avec le Comité des éditeurs israéliens, un rassemblement informel qui regroupe les rédacteurs en chef et les propriétaires des principaux organes de presse israéliens afin de leur demander de coopérer avec le gouvernement et de ne pas divulguer d’informations relatives à cet incident très embarrassant pour une certaine agence gouvernementale. »

A aussi été abordée la question de l’ordre donné par le Shabak, le service de renseignements généraux d’Israël, de taire le sujet : ils ont en effet ordonné au site israélien Ynet de retirer tout ce qu’ils avaient publié sur l’affaire. Cela a filé aux médias internationaux un nouvel angle : la censure de tout ce qui touchait au cas du Prisonnier X. Suite à l’annulation de cette obligation de silence, mercredi 13 février, l’affaire n’a cessé d’alimenter des articles, depuis l’enquête menée par l’ASIO jusqu’aux photos de la tombe de Zygier en Australie. Plusieurs reportages sont parus au sujet de Zygier et de sa famille ainsi qu’au sujet de Bob Carr, le ministre des affaires étrangères australien. Contredisant ses premières déclarations, il a avoué que les autorités australiennes étaient au courant de l’arrestation de Zygier en 2010.

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Un article sur Ben Zygier dans le journal australien The Age

Jusqu’à maintenant, le mystérieux cas du Prisonnier X a soulevé beaucoup de questions sans réponses : qu’a-t-il bien pu faire pour se retrouver dans de telles conditions d’incarcération ? Pourquoi les autorités israéliennes souhaitaient-elles que personne d’autre ne soit au courant ? Était-ce en rapport, comme beaucoup le soupçonnent, avec ce qui se passait avec le Mossad au même moment ? Comment a-t-il pu se pendre dans une salle constamment surveillée par des caméras de surveillance ? Pourquoi s’est-il pendu ?

Mercredi 13 février, on aurait pu penser que certaines réponses allaient émerger lorsque le gouvernement israélien a brisé l’omerta en publiant un communiqué de presse qui admettait enfin qu’un citoyen disposant de la double nationalité avait été emprisonné en secret. La justification de son emprisonnement est restée très vague : c’était pour « des raisons de sécurité ». Puis, l’intervention d’Avigdor Feldman, l’avocat de Zygier, a rendu l’affaire encore plus confuse.

Lors d’un entretien avec la chaîne israélienne « Channel 10 », Feldman a déclaré que lorsqu’il avait vu Zygier, la veille de sa mort, il avait eu en face de lui une « personne équilibrée… pesant rationnellement ses options juridiques ».  Zygier et Feldman auraient considéré la possibilité de ne pas aller au procès et de choisir la voie de la négociation, option qui semblait susciter l’enthousiasme de Zygier.

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Bien que cela semble suggérer que Zygier ne présentait pas d’intention suicidaire au moment de leur rencontre, Feldman a également déclaré : « Ses interrogateurs lui ont dit qu’il pouvait s’attendre à écoper d’une longue peine d’emprisonnement et d’être ostracisé de sa famille et de la communauté juive. Ils ont tiré toutes les cordes sentimentales, et je suppose que c’est ce qui a mené à cette fin tragique. »

Lorsque les travaux seront terminés, ce centre de détention dans le désert du Néguev sera le plus grand du monde

Cette obsession pour le prisonnier X n’est pas simplement liée à ses liens potentiels avec le Mossad – Ben Zygier était citoyen australien, un État doté de suffisamment d’influence sur la scène internationale et de ressources pour pouvoir exiger des explications quand l’un de ses citoyens est détenu pour des raisons inexpliquées, ou quand il lui revient soudainement dans une housse mortuaire. Israël a récemment effectué une série de déportations et une partie des 60 000 immigrants africains concernés viennent de pays comme le Sud-Soudan dont le gouvernement – bien que certainement très occupé par des problèmes plus pressants – entretient, au moins, des relations diplomatiques avec Israël.

La situation est encore pire pour les immigrants érythréens vivant en Israël. Ceux-ci ont dû choisir entre retourner « volontairement » dans un pays avec l’une des pires réputations au monde en matière de respect des droits de l’homme, ou se retrouver retenus pour une durée indéfinie dans un complexe du Néguev sur le point de devenir le plus grand centre de détention du monde (sa capacité d’accueil sera de 11 000 personnes). On pourrait en conclure que ces gens se font mettre en prison parce qu’ils ne font pas partie de la bonne catégorie d’immigrants – dans un pays qui s’est pourtant construit grâce à l’immigration. Les autorités israéliennes ne semblent pas se soucier de réinsertion, dans ce gigantesque centre d’emprisonnement – le but n’est pas d’aider ces gens à s’intégrer dans la société israélienne : il s’agit purement et simplement d’une immense cellule au beau milieu du désert.

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Puis, bien sûr, il y a aussi des Palestiniens en prison en Israël. Selon Addameer, parmi les 4 743 Palestiniens enfermés dans l’une de ces oubliettes israéliennes, 193 sont des enfants dont 23 âgés de moins de 16 ans. Samer al-Issawi, un prisonnier palestinien, a récemment dépassé la barre des 200 jours de grève partielle de la faim. 177 autres Palestiniens sont en « rétention administrative », qui autorise les autorités israéliennes à arrêter des gens sans motif et sans avoir à fixer de date provisoire de procès. Comme dans le cas du Prisonnier X, ces détentions administratives se justifient toujours par des raisons « sécuritaires », un terme ambigu qui sert souvent à couvrir des motivations que les autorités ne souhaitent pas livrer au public.

Samer al-Issawi

Les choses ne semblent pas près de changer. Le 7 février, la Cour suprême israélienne a rejeté une pétition déposée par un groupe d’ONG pour annuler la clause autorisant des agences gouvernementales comme le Shabak à faire usage de pratiques d’interrogatoire allant à l’encontre des droits de l’homme. Cette clause a été rejetée sous prétexte qu’une alternative était en train d’être envisagée. Cela dit, il me semble difficile d’imaginer une « méthode alternative » pour ne pas commettre de violation des droits de l’homme – autre que de ne pas en commettre.

Des rapports sur Samer al-Issawi suggèrent qu’il est proche de la mort, ce qui n’est pas bon pour l’image d’Israël et de son système pénitentiaire. Aussi – comme dans le cas du prisonnier X –, il reste à voir si cela va permettre au monde de comprendre exactement ce que les Israéliens font de leurs prisonniers. Pourquoi balancent-ils des gens dans un système pénitentiaire destiné à les avaler, repoussant les interrogatoires à plus tard ? Beaucoup, beaucoup plus tard ? Si tard qu’ils sont déjà morts ?

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L’identité du prisonnier X a peut-être été cachée au public pendant plusieurs années, mais au moins, sa révélation a permis de faire un peu la lumière sur un système secret et injuste. Quelles que soient les raisons de son incarcération et de sa mort, la mésaventure de Ben Zygier n’est qu’un chapitre de l’histoire brumeuse du système pénitentiaire israélien et de ceux qui souhaitent extraire de leurs geôles les accusés de rien, les privés de procès et les prisonniers de l’ombre.

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