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J’ai sous-traité mon travail à un Chinois

Vous avez sûrement entendu parler de « Bob », ce génie qui pendant des mois a sous-traité son travail de développeur informatique à une entreprise chinoise pour un cinquième de son salaire. En plus de rien foutre de la journée, Bob était encensé par...

Vous avez sûrement entendu parler de « Bob », ce génie qui pendant des mois a sous-traité son travail de développeur informatique à une entreprise chinoise pour un cinquième de son salaire. En plus de rien foutre de la journée, Bob était encensé par son patron et a plusieurs fois terminé comme employé du mois de sa boîte. Cette entourloupe lui permettait de passer sa journée à mater des vidéos de chats, surfer sur eBay et sans doute regarder un peu de porno de temps en temps. Bob, dans son génie absolu, avait eu la bonne idée de décrocher d’autres jobs en télétravail dans différentes sociétés américaines, ce qui lui permettait de sous-payer un peu plus nos amis chinois qui ne se doutaient pas que de l’autre côté de la planète, leur employeur se faisait cinq fois plus que ce qu’ils étaient rémunérés, c’est-à-dire plusieurs centaines de milliers de dollars par an.

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Malheureusement pour lui, Bob s’est fait coincer. Non pas parce que ses patrons se sont demandés comment il faisait pour avoir un SUV neuf tous les trois mois. En fait, son entreprise a simplement remarqué des connexions étrangement répétitives avec Shenyang en Chine ; ils se sont rendu compte que Bob se foutait de leur gueule depuis des mois.

Ça fait donc plusieurs semaines que je me dis que je ne suis pas plus con que Bob, que moi aussi j’en ai marre de me défoncer tous les jours à faire mon boulot et que je serais quand même plus peinard si je pouvais glander toute la journée à regarder des vidéos à la con. Mon rédacteur en chef a beau être juste derrière moi, il ne me prête déjà aucune attention quand je lui parle donc ça m’étonnerait qu’il s’intéresse à ce que je fais de ma journée. J’ai décidé que, moi aussi, j’allais me la couler douce en devenant l’employé du mois le plus fainéant de tout Paris. J’ai choisi la partie du travail la plus ingrate qu’un rédacteur chez VICE puisse effectuer et ai tenté de dégoter un traducteur français-anglais chinois pour bosser sur les traductions du contenu VICE.

Je me suis donc fixé un budget de 20 euros pour une traduction qui faisait deux feuillets et demi. Quitte à faire les choses jusqu’au bout, j’ai choisi La Nouvelle Colonne d’Alex Miller, le rédacteur en chef de Vice UK. Le récit original était bourré de mots d’argots que seuls les Anglais comprennent, qui ne sont encore dans aucun dictionnaire et sur aucun site Internet. J’avais déjà passé deux heures sur la trad’ de cet article et tout ce qui en avait résulté était une suite de mots incompréhensibles, de blagues nazes et une haine sans limite de ma part en direction de tous les Anglais. À 20 euros, je pouvais m’en sortir. Je me suis donc mis à écumer les sites Internet les plus dangereux pour l’économie internationale : les sites de travailleurs freelance.

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Sur l’un des plus connus, Freelancer.com, vous pouvez acheter à peu près tout et n’importe quoi pour des sommes dérisoires. Par exemple, si l’envie vous prend de gagner 1 000 fans sur la page Facebook de votre blog sur la viande kebab, sachez que Swatigautam91, un freelancer, pourra effectuer ce travail pour la somme de 103 $. J’ai donc moi aussi tenté ma chance sur Freelancer.com. Malheureusement, je n’ai pas réussi à faire descendre les enchères en dessous de 35 $ à aucun des traducteurs indiens et thaïlandais à disposition.

J’ai donc abandonné Freelancer.com pour Proz.com, site de référence réservé aux traducteurs. C’est sur ce site que je me suis rendu compte que certains entrepreneurs possédaient une logique incompréhensible. S’il n’y a aucun moyen de savoir si la personne avec laquelle vous vous entretenez a vraiment les compétences qu’elle prétend avoir, beaucoup de freelancers vont avoir l’idée brillante de ne surtout pas vous mettre en confiance, soit en vous parlant en anglais quand vous leur répondez en français, soit en vous parlant dans un français catastrophique. À aucun moment il n’est venu à l’esprit de ces mecs qu’éventuellement le client allait vérifier qu’ils parlaient bien la langue qu’ils prétendent parler. Je suis aussi tombé sur d’autres types qui ne savaient pas orthographier le mot « français ».

Voyant que mon enquête piétinait, j’ai choisi d’utiliser les bonnes vieilles techniques et de passer une annonce sur Facebook – « Cherche personne trilingue chinois-français-anglais vivant en Chine ». Juste ça. Et grâce à mes 2958 VRAIS amis, j’ai reçu une réponse miraculeuse. Quelqu’un qui connaissait un Chinois qui avait le profil, mais en France. Ça ne correspondait toujours pas à mes critères. Et le Chinois en question ne comprenait pas pourquoi ça ne correspondait pas à mes critères, me harcelant de questions.

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C’est donc plus déterminé que jamais que j’ai fini par trouver ShiQian Tang, une jeune fille qui m’a conseillé son ami Fan Fangyuan qui, d’après elle, était traducteur en Chine. J’ai donc contacté Fan pour lui faire part de ma demande. C’est à ce moment que j’ai perdu toute foi en l’humanité – il m’a demandé 100 euros. Ce petit salaud me demandait 100 euros pour traduire deux pauvres pages rédigées dans un anglais incompréhensible. Je lui ai rapidement fait comprendre qu’il était bien au-dessus de mes moyens et que si je n’étais déjà pas prêt à investir cette somme dans une prostituée des Balkans, je l’étais encore moins à la dépenser dans une traduction dont je ne me servirais pas. Je lui ai donc fait baisser son prix jusqu’à ce qu’il accepte le job pour 20 euros, puis le refuse car il ne s’en sentait « plus capable ». Ma haine augmentait. Heureusement pour lui, Fan Fangyuan m’a envoyé un dernier mail salutaire juste avant que je valide la création de ma page anti-extrême-Orient sur Facebook. Il me donnait le nom d’une amie qui avait déjà accepté le boulot pour 20 euros.

J’aurais dû me douter que ce plan était foireux dès l’instant où j’ai remarqué qu’elle ne savait pas écrire mon prénom.

C’est donc par mail que nous avons réglé, avec Lingyun Xi, les derniers détails concernant ce travail qui commençait à beaucoup trop traîner. Un détail : elle signait « Sylvie » et en y réfléchissant, j’avais déjà lu que les Chinois qui travaillaient régulièrement avec l’Europe utilisaient des prénoms occidentaux afin de briser la barrière de la langue. J’aurais dû malgré tout lui préciser que Sylvie était un prénom réservé aux femmes de 50 ans, mais les recherches m’avaient épuisé.

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Cinq jours plus tard, j’ai reçu ma traduction. C’était clairement loin d’être catastrophique et très proche de ce que peut donner un texte copié-collé dans Reverso – bien orthographié, grammaire correcte et dénué de tout sens. On pouvait aussi lire des traductions vraiment foireuses du genre « Marlboro light = Marlboro lumineuses » ou encore « Brit Awards = Prix Brit ». Je vous épargnerai la traduction intégrale mais cette phrase est plutôt représentative du niveau global du papier :

« Camden Town est jumelée avec Hollywood. Ce sont deux putains anciens, incertains de quoi que ce soit, mais leur propre intérêt, échangeant les showbiz potins sur une citerne de la culture pop d’adieu. »

Voilà un plus grand aperçu de la traduction en question.

Bien que sachant que le texte ne blufferait personne et certainement pas mes supérieurs, j’ai tenu à envoyer « ma » traduction au rédacteur en chef de VICE pour avoir sa validation. Voici sa réponse :

Cette fois, il fallait que je vienne à bout de ces putains d’enfoirés qui avaient failli me faire perdre mon job. C’est fou de rage que j’ai écrit à cette incapable de Sylvie –revoir ce prénom a décuplé mes envies de meurtre – et que je l’ai allégrement insultée en jurant que je foutrais le feu à sa baraque le jour où je mettrais les pieds en Chine. Manque de bol, je l’avais déjà payée. Je me suis réconforté en me disant que ces 20 euros avaient sûrement permis à sa famille et à elle de vivre une semaine de plus sous le joug du gouvernement communiste chinois et qu’elle finirait, de toute façon, par recevoir ce qu’elle mérite le jour où la Corée du Nord déciderait de raser l’humanité.

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Suivez Maxime sur Twitter : @XimeLelong

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