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Mais cela est égal, car l'éducateur n'est pas apprécié comme l'infirmière, au métier plus concret, l'assistante sociale, soucieuse des plus démunis, ou le professeur, pédagogue érudit au service de la citoyenneté. L'éducateur paye sa discrétion médiatique, à peine rehaussée d'entrefilets journalistiques sur les problèmes de gratifications des stagiaires. L'image qu'en véhiculent les médias est soit faussement extrapolée, soit subtilement fumeuse. Ainsi, l'éducateur auprès d'adolescents serait donc soit une armoire d'1m90 en tee- shirt col V moulant adepte des arts martiaux qui joue de sa gonflette pour impressionner des morveux en pleine crise d'adolescence, soit un néo-zadiste, poncho pelucheux et boucles d'oreille en pâte fimo, qui prône naïvement un dialogue écolo face à un cartel de prépubères déchaînés.Lors de mon DU « Adolescents Difficiles » de La Sorbonne, j'ai retenu cette simple phrase, au détour d'un long discours du Pr Philippe Jeammet : « personne ne choisit d'aller mal ». À ceux qui penseraient le contraire, c'est à peu près du même niveau de connerie que soupirer face à un dépressif en lâchant un « essaye de te bouger quand même, fais un effort ! ». Notre boulot est d'essayer de convaincre un adolescent au parcours chaotique et au traumatisme diffus que ce n'est pas bien pour son avenir d'être déscolarisé ou de dire des insanités. L'adolescent sait seulement que ses parents ont merdé, et il n'a aucune idée de la manière dont il doit faire le deuil du parent parfait pour continuer à avancer. Et au début, il ne veut laisser personne l'approcher, car créer un lien à l'autre revient à se mettre émotionnellement en danger. Il n'a rien vu d'autre, en grandissant, qu'un système familial dysfonctionnel et bancal, qui ne lui a pas donné suffisamment de sécurité et de codes sociaux appropriés.Dans les médias, l'éducateur est soit une armoire d'1m90 qui joue de sa gonflette pour impressionner des morveux en pleine crise d'adolescence, soit un néo-zadiste qui prône naïvement un dialogue écolo face à un cartel de prépubères déchaînés.
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Vidéo associée – La vie secrète des jeunes récidivistes :
Le plus difficile, c'est quand notre impuissance est palpable face à un jeune qui s'enfonce dans ses conduites délictueuses, ou perd son temps à ne rien faire. Quand on récupère, à la nuit tombée, un jeune qu'on affectionne, en état de profonde ébriété, le tee-shirt déchiré, qui se met à délirer sur le carrelage du bureau. Quand on constate la déchéance physique d'un autre, qui fume trop de cannabis et maigrit à vue d'œil. Quand on contient physiquement, à deux ou trois, un préado en crise, hurlant et insultant, jusqu'à ce que ses forces le quitte, puis de compter nos bleus juste après.Je ne crois pas avoir jamais eu peur pour moi, bien que j'aie eu peur pour eux. Je crois avoir davantage de souvenirs heureux. Par exemple, ce jeune garçon que j'ai connu à 12 ans, qui n'arrivait plus, malgré ses brillantes capacités intellectuelles, à rester plus de quelques minutes dans une salle de classe. Il ne pouvait, ne voulait plus écrire et apprendre. Il n'arrivait plus à avoir envie. J'ai passé presque deux ans à le voir devenir fou face à cet échec qui le dépassait. Je me suis efforcée de l'aider à reconstruire cette estime de lui. Je me suis battue pour qu'il aille dans un autre établissement, qu'il obtienne une place en internat. Par la suite, j'ai appris que le retour tant espéré au collège avec un emploi du temps adapté s'était bien passé, qu'il allait en cours, sourire aux lèvres. Je l'ai retrouvé à 14 ans, épanoui, et j'ai su que j'avais bien fait de suer autant pour lui. Et je me suis souvenue de ces moments en classe à ses côtés où je tenais le stylo pour lui, où on ne lâchait rien, parce que c'est ainsi, il ne faut rien lâcher.Elsa est sur Twitter.