Les zombies du Parc des Princes

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Les zombies du Parc des Princes

Il y a un peu plus d'un an, alors qu'on bossait sur le numéro du Conflit moral, notre photo editor Nico Poillot m'a présenté une série intitulée « Deliciarum ».

Photos : Noé Nadaud, Photo Editor : Nicolas Poillot

Il y a un peu plus d'un an, alors qu'on bossait sur le numéro du Conflit moral, notre photo editor Nico Poillot m'a présenté une série intitulée « Deliciarum ». Les photos, qui rassemblaient des hools du Parc des Princes cachés par les nuages rouges des fumigènes, étaient en effet compatibles avec la thématique du numéro, consacré aux manifestations de mécontentement partout dans le monde. Après hésitation, on avait quand même décidé de repousser la publication à plus tard. Ce que je ne savais pas, c'est que ce « à plus tard » abstrait serait synonyme d'oubli total.

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On y a repensé il y a deux mois alors que la série de Noé Nadaud venait d'être éditée en bouquin aux éditions Classic. On a donc décidé de prendre contact avec Noé, bien qu'il soit aujourd'hui sur de nouveaux projets n'ayant à peu près rien à voir avec le football et les virages. Il a répondu à nos questions à propos du PSG et des durs qui le supportaient.

VICE : Hey Noé, de quand datent ces photos ?
Noé Nadaud : Cette série couvre quatre années d'archivage, de 2007 à 2010. Je me suis arrêté quand les associations parisiennes ont été dissoutes – j'ai d'ailleurs  arrêté d'aller au Parc des Princes tout court. Pour le livre, j'ai puisé dans les trois premières années, les plus intenses.

Depuis quand fréquentes-tu les tribunes de supporters ?
Ça m'a toujours intéressé, mais je ne suis pas tellement dans le délire supporterisme. J'aime bien l'idée mais j'ai d'autres choses à faire. La première fois que je suis allé au Parc, j'avais 11 ans, ça remonte. Ça m'a toujours fasciné. Je me suis abonné au Parc puis j'ai souscrit à une asso de supporters bien plus tard.

Comment réagissaient les hools face à ton appareil ?
Les premières fois où je suis retourné au Parc, j'ai pris machinalement quelques photos – bizarrement, je les ai trouvées cool. Je me suis dit que ça vaudrait peut-être le coup d'être là souvent, histoire de prendre plus d'images. Ce projet est né parce que je me suis complètement retrouvé dans ces ambiances. J'ai réussi mon immersion grâce à des proches, impliqués dans plusieurs groupes de supporters. Ça m'a permis d'avoir accès au cœur du groupe, je suis vite devenu un visage familier dans les virages.

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J'imagine que ça a dû te faciliter la tâche.
Oui mais finalement, les trois quarts des photos sont quand même des images volées. Personne ne faisait attention au fait que j'étais en train de photographier, même lorsque j'étais devant mes sujets. Comme je les shootais en plein moment d'euphorie, peu de gens s'en rendaient compte. L'idée de cet archivage joue sur la banalisation de la prise d'images – il s'agit d'un mélange de photos prises au téléphone portable avec des photos prises à l'appareil. Je ne suis pas un vrai photographe, avec le matériel, etc. J'ai toujours pris des photos avec des appareils à ma mesure, des trucs cheap que je me fous de perdre ou d'abîmer.

C'était quoi ton niveau d'implication ? Tu ne t'es pas contenté d'être un observateur, si ?
Pour être franc, je me suis mis à suivre le PSG parce que je suis parisien. Si j'avais vécu à Montpellier, j'aurais fait la même chose là-bas. J'étais proche des ATKS (Authentiks) mais si j'avais eu des amis dans une autre association, j'aurais pu m'y retrouver de la même façon. Au final, le groupe en lui-même n'a eu que peu d'importance. J'ai fait cette série tout seul, pas au nom d'un groupe en particulier. J'aurais tout à fait pu être ailleurs, à Auteuil, peut-être plus difficilement à Boulogne et encore, c'est pas sûr… Ce qui m'intéressait, c'était la frénésie de l'arène et non pas les pseudo-clivages politiques entre les deux virages. Les divergences politiques sont un facteur historique inhérent à l'univers supporter, dans tous les clubs et tous les pays. J'émets beaucoup de doutes quant au lien direct entre le fait de hurler dans un stade et celui de glisser un bulletin dans une urne. Ce sont pour moi deux démarches très différentes.

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En effet.
Je pense que la politisation du mouvement supporter tient surtout de la récupération de la provocation. La presse généraliste a un traitement souvent très lointain de la réalité des tribunes. Les pouvoirs publics, quant à eux, ont abordé le sujet d'une manière encore plus absurde.

Tu as été hooligan ?
Non, vraiment pas. Le phénomène hool est typiquement anglais ; le terme usuel est d'ailleurs plus yob que hooligan. La tendance plus générale en Europe, c'est la version italienne, les tifos : banderoles, fumigènes, chants, pétards, le spectacle en somme. Mais les deux univers ne sont pas non plus aux antipodes l'un de l'autre. Les rencontres violentes de supporters en marge des matchs existent partout. Je ne suis pas le mieux placé pour en parler puisque je suis essentiellement spectateur. Je ne suis pas en train de dire que c'est bien ou mal. Je voulais montrer ce qui se passait dans les cortèges et les tribunes. Les cortèges sont aussi intéressants parce qu'en déplacement, le mouvement intervient. La tribune est plus statique malgré les explosions de joie, les drapeaux et les gestes. À l'extérieur, les fumigènes et la foule compacte recréent cette sensation de cocon.

Tu as assisté à des bastons en virage ?
La tribune de Boulogne est connue pour avoir accueilli des fascistes notoires dans le passé, mais c'est un truc d'époque – au même moment, il y avait une présence de l'opposé total. Comme je le disais, ça s'est passé partout de la même manière. Depuis toujours s'y sont croisés des gens engagés dans le dur, les trucs radicaux. Ça n'a jamais vraiment été une réunion de Bisounours.

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Ouais, j'imagine. C'est plus dur dans le foot qu'au rugby, par exemple.
Le rugby entraîne aussi du chauvinisme, mais dans le foot, c'est la guerre entre les gens ! Les supporters de foot sont les plus populaires avec ceux du cyclisme. Un stade de foot et le Tour de France sont ce qui, dans ce pays, touchent le plus de couches de population différentes. Et l'attachement à la ville apporte une dimension que tu ne retrouves dans aucun autre sport.

Pourquoi les supporters du PSG étaient réputés comme les plus chauds de France ?
À Paris, c'était vraiment exacerbé par la rivalité entre Auteuil et Boulogne, qui étaient déjà en compétition entre eux. Du coup ça ne laissait plus beaucoup de place aux visiteurs. Toutes mes photos ont été prises dans les virages parce que c'est là qu'était le vrai spectacle. Et puis, il n'y a qu'à Paris que les associations ont été dissoutes. À croire que les pouvoirs publics viennent de province.

Tu penses quoi de ces interdictions successives ? Un documentaire, PARC, est sorti sur le sujet il y a quelques mois.
C'est la première fois qu'on arrive à de telles extrémités et avec dix piges de retard ! Il y a eu de gros débordements au Parc par le passé, mais ils n'ont jamais été punis. Et bizarrement, plusieurs années après, à un moment où la mixité est beaucoup plus représentée et où les groupuscules extrémistes se sont essoufflés d'eux-mêmes, c'est là qu'on décide d'interdire les associations de supporters au nom de ces grands épouvantails que sont la violence et le racisme. Pour le coup, la justification xénophobe arrive un peu après la bataille. Et si tu regardes attentivement les tribunes en France, les croix celtiques et les drapeaux tricolores, ce n'est pas ce qui manque ! On a décidé de faire ce procès à Paris, mais on oublie de le faire ailleurs.

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C'est vrai. Quel type de match entraîne de grosses ambiances au Parc ?
Clairement une rencontre Paris-Marseille. C'est vraiment le match où tu veux faire exploser la tribune. Tu veux leur montrer qu'ils ne sont pas chez eux et la plupart du temps, tu y arrives. Au même titre que les mecs du Vélodrome quand on est reçus. Durant les matchs de moindre importance, on aura moins d'activité – et encore ! Mais ce n'est pas fonction du classement, ça va plutôt de pair avec les rivalités historiques entre les clubs.

Oui, d'ailleurs à l'époque où tu as pris ces photos, le PSG n'enchaînait pas les meilleurs résultats.
Oui, ce sont trois saisons où Paris était mal classé ; mais ça n'a jamais entamé la ferveur. Aujourd'hui, alors qu'il y a de super joueurs et qu'on a de super résultats, les tribunes sont bidons. Je ne ferai pas ce truc de ne pas aller au Parc par principe, mais quand je regarde les matchs et que j'aperçois les tribunes, c'est la honte totale. On entend plus les supporters adverses !

Tu vois qui champion cette année ?
Le PSG bien sûr, c'est mon équipe. Mais en réalité il y a surtout plein d'équipes que je ne veux pas voir championnes.

Le livre de Noé Nadaud, Deliciarum, est disponible aux éditions Classic (texte de Rebecca Lamarche-Vadel)

Le sommaire du numéro du Conflit moral se trouve ICI