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Culture

Facebook censure une vidéo de l'atypique roi de Thaïlande en balade avec sa maîtresse

Le réseau social a bloqué la vidéo, parce que le gouvernement thaïlandais jugeait la vidéo insultante envers le roi. Et les lois du pays interdisent toute critique envers la monarchie.
REUTERS/Chaiwat Subprasom

En Thaïlande, Facebook a bloqué une vidéo du roi déambulant dans les allées d'un centre commercial allemand. Accompagné d'une de ses maîtresses, il semble à l'aise dans son débardeur jaune, laissant apparaître ses multiples tatouages.

Le réseau social a bloqué la vidéo. Non pas pour son obscénité, ou parce que cela viole son règlement, mais parce que le gouvernement thaïlandais jugeait la vidéo insultante envers le roi. Les lois du pays interdisent toute critique envers la monarchie.

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« Quand les gouvernements voient une publication qu'ils estiment contraire aux lois en vigueur, ils peuvent contacter Facebook et nous demander de restreindre l'accès à cette publication en ligne », a déclaré par mail un porte-parole de Facebook à VICE News.

Le blocage géographique d'une banale vidéo met en lumière la position de contorsionniste dans laquelle se trouve Facebook. D'un côté, l'entreprise cherche à étendre son business à l'étranger. De l'autre, elle fait face à des pays dans lesquels les lois sont strictes et viennent s'opposer au but assumé de Facebook, la création d'un monde « plus ouvert et plus connecté ».

Dans la foulée de l'attentat de Charlie Hebdo à Paris, Mark Zuckerberg s'était engagé à donner le plus de liberté d'expression possible, malgré les menaces de mort dont il faisait l'objet pour certains posts Facebook : « Des voix discordantes, parfois offensantes, peuvent aider à rendre le monde meilleur et plus intéressant ». En prévision des élections anglaises le mois prochain, Facebook a annoncé combattre les fake news, notamment par la suspension des dizaines de milliers de comptes potentiellement faux, selon le New York Times.

Mais aujourd'hui, Facebook est sous le feu des critiques pour son opacité sur sa politique de censure. Notamment lorsqu'il accepte de censurer des contenus à la demande de régimes autoritaires. Par exemple, en Turquie, où le réseau a bloqué un contenu jugé insultant envers le prophète Mahomet par le gouvernement turc. Ou encore lorsqu'il a censuré cette photo d'une petite vietnamienne nue de 9 ans surnommée Napalm girl, pour violation du règlement.

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Un roi atypique

Facebook a confirmé à VICE News qu'il avait bloqué la semaine dernière une vidéo datée de juin dernier montrant le roi Maha Vajiralongkorn Bodindradebayavarangku, 64 ans, quelques mois avant que son père meure et qu'il accède au trône. VICE News a obtenu la vidéo par Andrew Marshall, journaliste et critique du régime, qui l'a posté sur son profil Facebook.

Facebook is geoblocking this video of Thailand's King Vajiralongkorn so users in Thailand can't see it — Andrew MacG Marshall (@zenjournalist)May 5, 2017

La vidéo a été filmée par un citoyen thaïlandais, qui a reconnu le roi dans le centre commercial Riem Arcaden à Munich, le 10 juin 2016. On y voit Vajiralongkorn se promener dans le bâtiment, avec une femme qui serait l'une de ses maîtresses, Sineenat Wongvajirapakdi, surnommée Koi. Les gardes du corps du roi sont également visibles dans cette vidéo.

À lire : La Thaïlande arrête ceux qui se moquent du roi – et de son chien

Les nombreux tatouages de Vajiralongkorn permettent de l'identifier facilement, et il a été photographié dans une tenue presque identique à plusieurs occasions. Mais c'est la première vidéo le montrant habillé de la sorte.

Le roi Vajiralongkorn – dont le nom complet signifie « couvert de bijoux ou d'éclairs » – s'est assis sur le trône en décembre dernier après la mort de son père, le très populaire roi Bhumibol Adulyadej. Même si des détails de sa vie extravagante et controversée ont été diffusés lorsqu'il était prince, ses sujets n'en ont pratiquement pas entendu parler, à cause des strictes lois anti lèse-majesté, qui empêchent les citoyens d'évoquer le moindre détail de la vie du roi.

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« Une vidéo comme celle-ci ferait l'effet d'une bombe », a estimé Marshall à VICE News. « Les gens ne sont pas forcément surpris, mais je pense que cela pourrait avoir un fort impact si c'était largement diffusé. Cela pourrait percer la bulle de la monarchie ».

Le défi de Facebook en Thaïlande

Lorsqu'ils reçoivent une telle requête, Facebook affirme « déterminer si le contenu viole les lois locales. » « Si oui, nous bloquons l'accès à la vidéo dans le pays ou territoire et expliquons aux gens qui essaient d'y accéder pourquoi ils ne peuvent pas. »

Gennie Gebhart, un chercheur de l'EFF, l'Electronic Frontier Foundation, juge la position de Facebook délicate. « Cette tendance de la Thaïlande à censurer les contenus vise à accroître le pouvoir du gouvernement, mais se heurte au système HTTPS encrypté des réseaux sociaux », explique-t-elle.

Suite à la publication de Marshall sur sa page Facebook le mois dernier, le gouvernement a empêché tout citoyen de le contacter via les réseaux sociaux. Deux autres critiques du régime thaïlandais sont concernés par cette interdiction. Parmi eux, Somsak Jeamteerasakul. Facebook a contacté l'activiste pour lui expliquer pourquoi son contenu allait être bloqué.

Selon Marshall, cela pose la question de comment Facebook lutte contre les lois strictes des gouvernements, qui diffèrent des valeurs de l'entreprise. Sous la pression des dissidents, des journalistes et des groupes comme l'EFF, Facebook demande désormais un ordre juridique officiel pour bloquer un contenu. Cela permet de bloquer des posts spécifiques plutôt que des pages entières, et notifie les utilisateurs lorsque leurs posts sont géo-bloqués.

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« Nous pouvons donc savoir qu'ils ont géo-bloqué quelque chose et utiliser "l'effet Streisand" », indique Marshall, se référant à l'idée selon laquelle tout faire pour cacher quelque chose le rend plus visible.

Le manque de transparence de Facebook sur la censure a poussé 70 activistes et associations humanitaires à écrire à Mark Zuckerberg en octobre, lui demandant de clarifier sa position sur la question. Selon les ONG, Facebook aurait effacé du contenu dénonçant des violations des droits de l'homme.

Marshall, ancien journaliste à Reuters et auteur du livre intitulé « Un royaume en crise : la lutte de la Thaïlande pour la démocratie au XXIème siècle », comprend l'embarras de Facebook : « Ils sont coincés, parce que la Thaïlande a conservé ces lois ridicules, qui font que toute critique envers la monarchie est répréhensible et peut vous amener en prison pour des centaines d'années ».

De plus en plus de censure en Thaïlande

La censure gagne du terrain en Thaïlande. Selon les chiffres de Facebook, dans les six premiers mois de 2016, 10 contenus ont été censurés dans le pays. Ce chiffre est monté à 40 pour la deuxième moitié de l'année. La semaine dernière, un avocat des droits de l'homme a été arrêté et inculpé pour insulte envers la monarchie. Il risque 150 ans de prison.

Le gouvernement a contacté Facebook l'année dernière. Il leur a demandé de coopérer et d'enlever les posts délictueux. Si la Thaïlande a publiquement annoncé que Facebook acceptait le deal, l'entreprise a contesté cette affirmation.

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Le gouvernement thaïlandais a fermé près de 7 000 pages web ou sites depuis 2015. Cependant, il ne peut pas censurer des pages Facebook individuelles. Impossible de bloquer l'accès entier à Facebook, tant il est populaire dans le pays. La semaine dernière, le gouvernement a produit des décrets demandant aux fournisseurs d'accès à Internet de fermer plus de 600 pages Facebook, signe qu'il n'attend pas non plus tout de l'entreprise de Zuckerberg.

La coopération entre Facebook, la Thaïlande et d'autres régimes autoritaires interroge sur la relation entre le réseau social et la Chine, où Facebook est bloqué depuis 2009. Zuckerberg, qui a appris le mandarin à l'université Tsinghua, a tendu plusieurs fois la main à la Chine. Mais les défenseurs des droits de l'homme et de la liberté d'expression ont émis des réserves quant à la supposée création d'un outil de censure spécialement adapté à la Chine.


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