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Société

Pourquoi les hommes gais ne peuvent-ils toujours pas faire de don de sang?

À moins qu'ils s'abstiennent de relations sexuelles avec un autre homme pendant 12 mois, bien sûr.
Crédit photo: Mark Salcedo

En 2016, Santé Canada annonçait que les hommes n'auraient plus à attendre cinq ans après leur dernière relation sexuelle avec un autre homme avant de pouvoir donner du sang. Ce changement à la loi était le premier depuis 2013, avant quoi il était proscrit pour tout homme ayant déjà eu des relations sexuelles avec un homme de faire un don de sang.

Depuis le 15 août de l'an dernier, le temps d'attente pour ceux que la communauté médicale appelle des HSH (pour « homme ayant eu une relation sexuelle avec un homme ») est de 12 mois. « Je reconnais que cette réduction de quatre ans de la période d'exclusion n'est pas un changement radical et que cela ne changera pas la situation pour plusieurs donneurs », a dit Jane Philpott, ministre fédérale de la Santé. « Cela dit, je préfère voir le Canada faire un pas dans la bonne direction plutôt que de ne rien faire. » Lors de la campagne électorale, le Parti libéral avait pourtant fait la promesse de mettre complètement fin à cette mesure, et non pas simplement de réduire le délai.

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Un homme gai torontois a fait les manchettes cette semaine, affirmant avoir été abstinent pendant 12 mois afin de pouvoir donner du sang. « J'aimerais pouvoir donner du sang sans avoir l'impression de manquer l'occasion de vivre quelque chose de spécial avec quelqu'un qui me tient à coeur », avait-il confié à Radio-Canada.

Du côté de la communauté LGBTQ+, il y a clairement un désir de donner du sang, et les organismes comme Héma-Québec et la Société canadienne du sang organisent souvent des campagnes de sensibilisation afin d'attirer de nouveaux donneurs. Alors, pourquoi est-ce que les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes ne peuvent toujours pas donner de sang?

L'argument le plus courant pour justifier la restriction est celui de la prévalence du SIDA, puisque les HSH demeurent le groupe le plus à risque de le contracter. Aux États-Unis, près de 51 % des personnes atteintes du sida sont des HSH. Il est désormais possible de détecter le sida avec une précision incroyable, mais le problème est la période de latence de la maladie : ça peut prendre jusqu'à trois mois avant qu'il soit détectable.

De plus, dans plusieurs pays (comme les États-Unis), les échantillons de dons de sang ne sont généralement pas testés séparément parce qu'il est plus efficace et moins coûteux de tester les échantillons par groupes, et de se débarrasser d'un groupe « défectueux ». L'interdiction est donc préventive, dans le sens où accepter des dons de HSH pourrait faire augmenter le nombre d'échantillons inutilisables.

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Au Québec, par contre, Héma-Québec teste chaque échantillon individuellement. Pourquoi, dans ce cas-là, est-ce qu'il est encore aussi compliqué pour les HSH de faire des dons de sang? J'ai posé la question à Vanessa Jourdain, directrice des relations publiques chez Héma-Québec.

Le problème, m'explique-t-elle, c'est qu'une fois recueillis, les dons de sang sont séparés en différentes composantes, qui ont des durées de vie très précises. Les plaquettes, qui permettent au sang de coaguler, se conservent une semaine, les globules rouges 42 jours, et le plasma pendant un an. Puisqu'il faut environ trois mois pour que le corps produise les anticorps nécessaires pour la détection du sida, certaines composantes peuvent avoir été utilisées avant qu'un test puisse détecter la présence du sida. Quand la science nous permettra de détecter le sida plus tôt, le problème sera réglé.

Dans un contexte où il n'y a pas vraiment de pénurie de sang au Québec, la faible augmentation du nombre de dons qui résulterait d'un assouplissement des règles ne vaut pas le risque associé aux dons provenant de HSH. Surtout que, pour l'instant, avec les précautions en place, aucun don n'a testé positif pour le VIH en 2015 et 2016.

Il faut aussi noter que les HSH ne sont pas le seul groupe touché par ce genre de loi. Par exemple, quiconque ayant passé plus de trois mois au Royaume-Uni durant les années 80 se voit automatiquement blacklisté. Il en va de même pour quelqu'un s'étant fait tatouer dans les trois mois précédents.

Ce qui n'empêche pas que les restrictions pourraient être ajustées pour mieux cibler les populations à risque de transmettre le sida. Dans certains pays comme l'Argentine et l'Italie, les mesures visent plutôt les comportements sexuels du donneur. Un HSH qui est en relation monogame de longue durée avec un partenaire non infecté et qui a exclusivement des relations protégées pourrait donc donner du sang. Au Canada, un homme ou une femme hétéro, ou encore une femme lesbienne, peut sans problème donner du sang, même si cette personne a plusieurs relations non protégées et un comportement sexuel à risque. Tant que ces personnes n'entrent pas en contact sexuel avec des HSH et qu'elles ne font pas partie d'un autre groupe à risque, tout va bien.

Michael Bach, fondateur du Centre canadien pour la diversité et l'inclusion, croit que la ligne est fine entre une loi discriminatoire et une mesure mise en place pour la protection de la banque de sang. Il croit que la meilleure solution serait de poser aux donneurs des questions sur leurs habitudes et leurs pratiques sexuelles afin de s'assurer qu'elles sont sécuritaires, plutôt que sur leur orientation ou leur genre de partenaires sexuels. « L'important, c'est de s'assurer que l'on protège la réserve de sang de manière équitable et juste pour tous », dit-il.

En passant d'une prévention discriminatoire à une approche dans laquelle on se pencherait plutôt sur les comportements, les associations de collecte de sang pourraient aider à rendre le système de santé plus inclusif, en plus de participer à bannir l'ostracisme envers les HSH ainsi que les préjugés associés au VIH.

Billy Eff est sur internet ici et .