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Photographs by Kayla Reefer
politique

À Los Angeles, des zones protégées pour les étudiants de couleur

En proie au désespoir, les intéressés recherchent d’autres façons d’aborder les politiques nationales et l’injustice sociale aux États-Unis.

Après la tuerie du lycée Marjory Stoneman Douglas en Floride cette année, les adolescents ont ressenti le besoin urgent de comprendre comment une chose pareille avait pu se reproduire. Selon Everytown for Gun Safety, une ONG qui mesure la violence par arme à feu en Amérique, il y a eu 349 fusillades dans des écoles états-uniennes depuis 2013 (à l’impression de ce magazine), soit une moyenne d’une par semaine. Les écoles ne sont plus des institutions protégées. Les étudiants blancs des classes moyennes supérieures à Parkland, en Floride, se sont rapidement mobilisés pour réclamer un plus grand contrôle des armes à feu et ont été relayés par tous les médias. Les étudiants de couleur se sont alors demandé comment donner à leurs combats – violence policière, racisme institutionnalisé, expulsions – la même visibilité. D’après un article paru dans Teen Vogue, les jeunes Noirs, qui luttent ardemment pour le contrôle des armes à feu depuis des années, se sont sentis « diabolisés et laissés pour compte ».

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Le présent article est né d’une réunion organisée en mars par des étudiants appartenant à l’association Get Lit, qui encourage la créativité à travers des cours de poésie à Los Angeles. Les jeunes de couleur recherchaient des espaces protégés où exprimer leur colère, parce qu’ils n’avaient pas l’impression d’être soutenus, entendus ou traités de la même façon que les étudiants de March for Our Lives. Beaucoup parmi eux étaient en recherche de lieux où parler ouvertement et collaborer autour des problèmes qui les touchent spécifiquement.

Ces zones protégées peuvent être, pour ces jeunes gens, un premier pas vers le militantisme ou une façon d’acquérir la confiance qu’il leur manque pour s’exprimer à travers l’art ou la création. À travers ces moments ou ces zones de confort, où ils peuvent partager leurs idées et émotions avec leurs pairs, professeurs, parents et conseillers d’éducation, les étudiants acquièrent la confiance nécessaire pour s’investir davantage dans leur environnement, que ce soit en rejoignant des mouvements comme Black Lives Matter ou en s’impliquant davantage dans leurs études. Ces espaces protégés – parfois un simple trajet en voiture ou un programme d’art après les cours – renforcent leur volonté d’instiller un changement à l’échelle de leur vie ou de leur communauté, et peuvent conduire à une prise de conscience et à un désir d’action. Les mouvements de jeunesse naissent lorsque les jeunes se sentent à même de s’exprimer.

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Nous avons choisi de donner la parole à ces étudiants de Los Angeles qui découvrent de nouvelles manières de souder leur communauté, trouvent des exutoires pour partager leurs déceptions et leurs colères et apprennent à définir eux-mêmes leur identité.

Kiyah Gentle, 17 ans

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« J’ai besoin de zones protégées, parce que parfois j’ai l’impression que ma tête ne peut pas tout contenir, qu’elle déborde. Personne ne devrait devoir tout garder à l’intérieur. Nous avons tous besoin d’espaces où exprimer nos émotions avant qu’elles n’éclatent. Ces espaces peuvent varier. Pour moi il s’agit presque toujours d’un point de vue – le sommet du promontoire de Topanga –, où je peux écouter la rumeur paradoxale d’un lieu tranquille. Quand je suis là-haut, tout cet espace autour de moi me permet de m’extraire de la prison d’émotions et de stress dans laquelle je me trouve parfois. »

Justin Candys, 18 ans

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« Ma zone protégée ? Ce serait la plage. Je viens là avec mes amis une semaine sur deux pour traîner, prendre des nouvelles, me défouler ou me détendre. Il y a quelque chose avec les vagues… le bruit qu’elles font quand je suis assis sur le rivage avec mes amis. Parler est thérapeutique, et là-bas, je me sens toujours chez moi. On pourrait dire que le groupe avec lequel je viens là est ma vraie zone de confort, mais sans la plage, on n’aurait nulle part où aller. Les zones protégées sont importantes, parce que dans le climat sociopolitique actuel, presque tous les aspects de nos vies sont menacés. De nouvelles lois anéantissent constamment nos remparts de protection, nous dénient nos droits, déchirent nos familles, détruisent notre environnement, contrôlent nos corps et menacent chacun – hommes, femmes ou non-binaires. Devant cela, toute personne consciente peut voir que nous sommes un peuple en souffrance, et que nous avons besoin de trouver des lieux qui nous apportent de l’amour. C’est le rôle des zones protégées, et elles doivent absolument être sauvegardées. »

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Jamiah Lincoln, 20 ans

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« Le lac de mon quartier se trouve dans un parc de 30 hectares, le Balboa Park. Il est situé en plein cœur de la vallée de San Fernando, à 20 miles au nord-est de Los Angeles. Comme j’ai passé toute ma vie dans la vallée, ce parc a toujours été un endroit où me sentir libre près de chez moi. Que ce soit seule ou entre amis, le lac m’a toujours permis d’avoir un espace d’expression. Je l’ai découvert en voiture, cela m’arrive souvent de m’y asseoir pour écrire. Dans mon enfance – et c’est toujours vrai aujourd’hui – il était essentiel pour moi d’avoir un lieu comme celui-là, non seulement pour panser mes blessures, mais aussi pour exprimer ma créativité. Les zones protégées sont surtout nécessaires pour les jeunes. Il nous faut grandir, accepter le monde tel qu’il est – avec sa beauté et ses défauts – et faire la paix avec tout cela. Je suis sûre que certains adultes en ont eux aussi besoin et pourraient en bénéficier, surtout si c’est une chose dont ils ont manqué étant jeunes. Nous méritons tous d’avoir un espace où nous sentir importants et protégés, pour pouvoir partager nos difficultés et les surmonter. Avoir des zones de confort m’a toujours aidé à canaliser mes pensées et à préserver mon équilibre mental. »

Lauren Brewster, 18 ans

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« Je pense qu’avoir des zones protégées est très nécessaire, parce que ce pays est très doué pour deux choses : discréditer la voix des jeunes, et réduire les personnes de couleur au silence. Lorsqu’on se trouve à l’intersection de ces deux conditions, il est facile d’oublier que nos idées, nos opinions et nos sentiments comptent aussi. De mon côté, j’ai trouvé ma zone de confort dans l’art – principalement la musique. La moitié du temps, je ne le fais pas pour le diffuser mais parce que m’aide à supporter le monde autour de moi. Mon art, c’est ma vérité, et personne ne peut m’enlever ça. Quant aux espaces physiques, je dirais : l’appartement que j’ai la chance de partager avec mes deux colocataires (parce qu’on peut parler de tout) ou la maison de mon père, mais dans les deux cas ce sont davantage les personnes que le lieu lui-même. Avoir un environnement sûr, pour les jeunes de couleur, c’est une façon de se rappeler que l’on représente davantage qu’un tremplin pour les succès des autres. Nous avons autant de valeur, autant de génie, et nos pensées et sentiments n’ont besoin d’aucune validation extérieure. »

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Miabella Chavez, 16 ans

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« Mon espace protégé, c’est Las Fotos Project. Je l’ai dit un million de fois et le répéterai autant qu’il le faudra : Las Fotos Project est devenu le lieu où je peux simplement exister et pratiquer mon art. Je n’ai jamais besoin d’y prouver quoi que ce soit ni de me justifier. Je me contente d’être là. Il y a beaucoup d’endroits dans lesquels je suis femme et latina avant d’être Miabella, mais Las Fotos n’en est pas un. Les espaces protégés sont importants parce qu’ils nous rappellent qu’on n’a pas besoin de payer le monde en échange du droit d’exister. Cet espace m’a offert une seconde maison, dans laquelle je peux cesser de me dire que je suis trop ceci ou pas assez cela. »

Bryce Banks, 18 ans

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« Il y a un parc près de chez moi. Quand j’étais petit j’y allais souvent pour jouer. Je me demandais ce qu’il y avait de l’autre côté, parce qu’au loin on pouvait voir une autoroute. Je voyais des gens marcher avec des sacs de courses et j’imaginais qu’ils traversaient l’autoroute avec pour aller nourrir leur famille. Le centre du parc était et est toujours un lieu vraiment magique pour moi. Sans le parc Del Amo à Carson, je n’aurais jamais eu l’inspiration pour mon premier poème, ni rencontré mes plus proches amis. Je n’aurais jamais eu d’échappatoire à la tyrannie qui plane chez moi. Les zones protégées permettent aux gens de s’éloigner des difficultés de la vie et d’exister, tout simplement. »

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Choyce Brown, 17 ans

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« Ma zone protégée, c’est la cour derrière chez moi. Elle me calme et me rassure. La rue est juste de l’autre côté, donc elle offre un équilibre agréable entre le bruit et le calme. Il est très important pour moi d’avoir une zone protégée. Cela m’aide à prendre des décisions de manière plus rationnelle, ce que je ne pourrais sans doute pas faire lorsque je panique ou me sens anxieuse. Mais la cour me libère de toutes ces mauvaises émotions. »

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