Société

Vivre dans l’insécurité affective après une agression sexuelle

« J’ai besoin d’être amoureux pour me sentir exister. »
homme fumant cigarette
Photo : Moughit Fawzi via Unsplash.

Yoan, 40 ans, est homosexuel. Il a subi des abus sexuels lors de son adolescence. En échange linguistique en Flandre, un ami de la famille d’accueil dans laquelle il logeait l’a agressé sexuellement à plusieurs reprises. Ces agressions ont fortement impacté son estime de lui-même. La honte, la culpabilité et l’angoisse l’ont accompagné lors de la construction de son identité. Aujourd’hui, ses insécurités influencent son quotidien, surtout sa vie relationnelle et sexuelle. 

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Selon une enquête de 2021 coordonnée par la Prof. Dr. Ines Keygnaert de l’Université de Gand-ICRH, 48% des hommes belges sont exposés à la violence sexuelle durant leur vie. Les répercussions psychologiques du viol impactent les victimes sur du long terme. Une agression sexuelle s’accompagne très souvent d’anxiété, de stress post-traumatique, d’une baisse de l’estime de soi, de honte et peut, dans beaucoup de cas, conduire à la dépression

Yoan se confie à Michel-Ange Vinti sur les conséquences des abus qu’il a subis. Il exprime à quel point il lui est encore difficile de vivre une relation saine avec un homme, ou même, de se laisser approcher physiquement. Alors comment faire pour dépasser la honte et vivre son désir ?

Ce témoignage fait partie de la saison 2 de la série Être un homme, un podcast réalisé par Michel-Ange Vinti, produit par Julien Barbier et le Studio Balado. 


J’ai grandi dans les campagnes wallonnes. Au début, j’ai eu pas mal de relations amoureuses avec des filles. En général, quand elles commençaient à dire « Oh, c’est bien, mon mec n’insiste pas trop sur la question sexuelle », je me désinvestissais et je trouvais des raisons pour mettre fin à la relation. Durant mon adolescence, j’ai plutôt eu des rapports que je nommerais de « touche-pipi non avoués » avec des potes. Et puis, très vite, toute une série d’événements s’est enchaînée. De mon point de vue, ils ont joué dans l’insécurité permanente que je vis aujourd’hui. 

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Je suis parti pendant un an dans une famille d’accueil. Pendant cette période, j’ai subi des abus de la part d’un adulte, un ami de cette famille d’accueil. Et quelque part, tout ce que j’ai vécu était empreint de honte mais aussi de désir. Quand on a 15 ans, toute stimulation physique entraîne une réaction du corps. J’ai été forcé dans des rapports qui ne me convenaient pas et, en même temps, il y avait ce désir qui était là, malgré tout. Il m’a fallu beaucoup d’années pour résoudre cette équation entre le fait d’avoir été victime d’un adulte et le fait d’avoir été un adolescent dont la sexualité s’éveillait. 

Après, très vite dans la même année, il y a eu un coming-out non voulu avec mes parents. Dans le sens où c’était la famille d’accueil qui lisait mon courrier – sans que je le sache – et qui annonçait des choses à mes parents. Enfin, quand je dis annoncer les choses… ils ont annoncé qu’il se passait quelque chose entre un homme et moi. Les abus, on y avait mis fin. J’y avais mis fin. J’avais mis ce type à distance. Mais je vivais ma première relation en tant qu’homosexuel avec quelqu’un qui se définissait comme tel. Du jour au lendemain, j’ai donc  perdu la confiance de mes parents. La question des abus a été complètement mise de côté. La famille d’accueil a prétendu que j’avais complètement inventé ces histoires sous prétexte que mes parents allaient me rejeter pour mon homosexualité et que c’était une manière pour moi de conserver leur affection. 

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Mes parents surveillaient tout ce que je faisais, je n’avais plus droit aux sorties. Même quand je suis monté à Bruxelles pour mes études, ils m’empêchaient d’y rester le week-end pour éviter que je sorte dans les lieux gays. Et donc, je pense qu’il y a toujours eu dans la construction de mon identité beaucoup de honte, beaucoup de culpabilité, beaucoup d’angoisses aussi. L’insécurité s’est exprimée de différentes manières. J’ai eu des crises d’angoisse et des épisodes de dépression.

Dès mes premiers jours à Bruxelles, quand j’ai emménagé dans mon kot, j’ai fait la rencontre du premier garçon avec qui j’ai eu une belle histoire d’amour. Une histoire très fusionnelle, comme tous les premiers émois. Mais c’était une relation dans laquelle, tout de suite, l’insécurité – tant de son côté que du mien – s’est fort, fort exprimée. Et la jalousie est apparue. Alors que j’étais interdit de sortir, lui, quelque part, pouvait se le permettre. Quand c’était le week-end, que j’étais au calme, c’est là que surgissaient toutes les inquiétudes. C’était une relation très belle, très intense, mais qui s’est très mal terminée. Comme toutes les histoires d’amour. 

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C’est vrai qu’à partir de là, j’ai toujours cherché des relations qui m’apportent une forme de sécurité donc… des relations monogames – pour me maintenir, tenir mon couple plutôt éloigné des lieux de sortie gay, dont je ne me reconnaissais pas toujours dans les valeurs, les codes. Par exemple, tout ce qui est de l’ordre de la promiscuité physique, c’est quelque chose qui devient vite dérangeant pour moi. À cause des abus vécus à répétition pendant plusieurs mois, mon corps réagit très vite et rejette l’autre. C’est pas vraiment un rejet de l’autre, mais plutôt un rejet de la promiscuité quand elle est trop directe. Certaines personnes disent que je suis « un peu comme une femme », dans une approche très genrée. Pour moi, le fait d’instaurer une intimité, de passer par des formes de rituels – partager un bon repas, un bon moment dans les bras l’un de l’autre – est un préalable à ce que le désir puisse apparaître et s’exprimer librement. 

Les plans-culs c’est hors de question. J’ai fait la connaissance de très belles personnes sur des applications de rencontre, des personnes plutôt désintéressées ou qui ne mettent pas le sexe au premier plan. Pour moi, l’approche plan-cul m’est complètement impossible si la personne ne me considère pas comme étant une personne, une identité à part entière. À ceux qui me le proposent, j’ai juste envie de répondre de « passer plutôt à quelqu’un d’autre ». J’ai vraiment besoin d’être considéré en tant qu’individu avec ma personnalité, mes vulnérabilités. Et c’est aussi à travers ces vulnérabilités que beaucoup de belles choses peuvent s’exprimer. 

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« Ce que j’ai toujours regretté, c’est de ne plus avoir de tribu autour de moi. »

Ça m’a vraiment affecté de me demander à répétition pourquoi je ne parviens pas à être comme les autres, à agir comme les autres, à faire en sorte que la sexualité me soit aussi accessible. Qu’elle puisse être consommée sans trop se poser de questions, sans avoir à subir toutes ces craintes qui sont aussi liées à ma génération –  j’ai baigné dans une culture de la peur du SIDA, à la fin des années 1990.

Pour beaucoup de personnes, le recours à diverses drogues désinhibantes peut agir comme un facilitateur, voire même une façon de décupler la performance. Il y a eu un moment où j’ai fait usage de ces drogues, justement pour permettre cette rencontre sexuelle. C’était pas forcément dans des lieux gays, c’était parfois chez moi. Certaines de mes rencontres m’ont mis dans des situations, qu’après-coups, j’ai jugées très dangereuses. J’étais dans de telles consommations compulsives pour me désinhiber que parfois, je n’avais aucun souvenir. De là, sont apparues d’autres inquiétudes : inviter quelqu’un chez moi, sans personne autour, c'était potentiellement me mettre en danger, à la merci d’agressions, de vols, séquestrations ou autres.

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J’ai un peu fait la paix avec tout ça, grâce à du travail thérapeutique. Quand je voyais ma psy, je me plaignais en permanence : « Mais pourquoi je ne suis pas comme les autres gays ?  Pourquoi tout ce culte de la performance ? Pourquoi est-ce que je ne réponds pas aux mêmes codes ? » Ma psy m’a aidé à poser des mots sur tout ça, à comprendre que « vous êtes qui vous êtes, vous avez eu le parcours que vous avez eu et, forcément, ce n’est pas en faisant appel à des raccourcis, à des psychotropes qu’on parvient à se respecter dans tout ça ».

Aujourd’hui, j’accepte le fait que je ne réponds pas aux codes. Par moments, le fait de dire à quelqu’un « Je ne suis pas intéressé par un plan-cul », ça peut être perçu comme si je jugeais ceux qui ont accès à une sexualité naturellement désinhibée. Ce n’est pas un jugement à leur égard – à une époque, j’ai aussi souhaité avoir cet accès à une sexualité libre. Mais voilà, je me dois aussi de chérir qui je suis, de prendre soin de mes vulnérabilités, d’aménager ce qui m’apporte un sentiment de sécurité suffisamment stable pour que l’amour puisse se déployer et, dans un second temps, ma sexualité également.

Quand on a 20 ans, on est là avec ses potes, on sort, on est un peu dans une sorte de marathon de la vie. J’ai eu cette personnalité addictive, à vouloir tout vivre intensément. Dans les manières dont je me décris moi-même, j’aurais tendance à parler d’hypersensibilité, ce qui fait que je vis des hauts très hauts et des bas très bas. Ce mode de vie exalté, quelque part, correspond à tout ça. Maintenant, avec les années, ce n’est pas un souci pour moi de me dire : « Après une fête, quand les autres partent en partouze, je rentre tranquille chez moi ou en after en petit comité – plus souvent avec des potes hétéros que gays ». Je renoue avec un style de vie qui consiste à moins me défoncer, à plus profiter de mes week-ends, à faire d’autres choses. 

J’ai toujours un rapport particulier à l’anxiété et aux angoisses. Elles se manifestent surtout quand je ne fais rien, dans les moments où je devrais prendre soin de moi, lire un bouquin paisiblement ou regarder une série, un film ou autre. À ce moment-là, se manifeste l’angoisse qui me fait me dire que, pendant ce temps, tous les autres s’amusent, vivent une vie exaltée dont ils publient les photos sur Instagram. Je me demande parfois pourquoi je ne suis pas comme tous ces gens qui ont une forte présence sur les réseaux sociaux et, en même temps, je me rassure en me disant que tous les gens différents ne sont peut-être simplement pas sur Instagram ou les applications de rencontre. Ça m’aide un petit peu à me recentrer. Ce que j’ai toujours regretté, c’est de ne plus avoir de tribu autour de moi. Peut-être que la solution c’est de se créer sa propre tribu, qui peut être paisible, qui peut aussi faire la fête de temps en temps. 

Alors que je privilégie essentiellement la forte sécurité que m’apportent les relations monogames, je me retrouve bien souvent dans une sorte de piège par rapport à ça. Je réalise que j’ai mes limites, mes contours, et j’ai énormément de mal à les affirmer. Donc, quand je tombe amoureux de quelqu’un, je veux plaire à tout prix. Et ce, au détriment de mes propres besoins, parce que j’ai envie que ça marche. J’ai envie de vivre une relation qui fonctionne, qui perdure dans le temps. Dans le couple, alors que je m’y sens en sécurité, je rencontre souvent une difficulté à laisser le temps agir, laisser le temps s’ouvrir à une forme d’évolution, de flexibilité, faire en sorte que les choses ne soient pas figées. Comprendre ça, c’est réussir à se sortir de ce sentiment de sécurité qui est sublimé lors de la phase de lune de miel.  

J’ai besoin d’être amoureux pour me sentir exister. Ces derniers mois, j’essaye de travailler là-dessus. Dernièrement, j’ai vécu une énième déception amoureuse et j’ai tout de même compris que j’existais malgré tout, en dehors de cette relation. Il n’empêche qu’être en couple, être amoureux, reste pour moi une raison de vivre. 

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