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cinema

Captain Kirk et KKK : la pépite du pape de la série B

« The Intruder » de Roger Corman ressort en salle et offre un panorama de l'Amérique des années 1960, pas si éloignée de celle d'aujourd'hui.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
William Shatner dans The Intruder © 1961 LOS ALTOS PRODUCTIONS, INC. Tous droits réservés.

À Caxton, une petite bourgade fictive et moite du sud des États-Unis, les premières lois de la déségrégation viennent d’être adoptées à la fin des années 1960. Elles accordent le droit aux enfants noirs de fréquenter les mêmes écoles que les enfants blancs. Une chose que personne en ville ne semble vouloir accepter – surtout pas Adam Cramer, personnage énigmatique dont le rôle de « chargé en œuvres sociales » va vite se transformer en celui d’agitateur public appelant à la haine raciale.

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The Intruder, film de Roger Corman réalisé en 1962, ressort en salles mercredi 15 août. Et comme dans beaucoup de vieux classiques du 7e art, il s’en dégage un parfum – ici pas spécialement doux – d’actualité. Le portrait que fait le réalisateur d’une certaine Amérique n’ayant toujours pas digéré le verdict rendu par la Guerre de Sécession a un étrange écho avec un rassemblement d’une vingtaine de néonazis, tenu ce dimanche 12 août à Washington, D.C.

Les habitants de Caxton © 1961 LOS ALTOS PRODUCTIONS, INC. Tous droits réservés.

Le scénario de The Intruder est adapté du livre du même nom de Charles Beaumont, lui-même inspiré de faits réels. Roger Corman raconte dans ses mémoires, Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centime publiées aux éditions Capricci, la matrice du film : « C'est la véritable histoire d’un bigot qui se rend dans une ville du Tennessee pour y créer un parti semi-fasciste. Il y attise tellement la haine des habitants que la Garde nationale est obligée d’intervenir ».

Ce bigot, c’est Cramer, premier grand rôle de William Shatner, futur Captain Kirk dans Star Trek, arrivé à Caxton par le train sur une musique saccadée évoquant aussi bien les roues de la locomotive que l’imminence du danger. Danger qui se matérialise après un long discours de Cramer dénonçant le travail de sape des communistes et des juifs qui mettent en danger son Amérique – blanche et libre. Il est en ville pour faire « bouillir le sang » des habitants en évoquant les injustices du système dans une diatribe qui rappelle sans peine celles d’Alex Jones ou de Richard Spencer, deux figures actuelles de l'alt-right américaine.

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William Shatner © 1961 LOS ALTOS PRODUCTIONS, INC. Tous droits réservés.

The Intruder est le premier film « engagé socialement » tourné par Corman, plus connu pour être un réalisateur prolifique de séries B cultes. Il se souvient : « Nous étions en 1961 et la lutte pour l’égalité des droits civiques était l’une des priorités de John Kennedy et de sa politique de la Nouvelle Frontière [Ndlr, une expression utilisée par le futur président à la Convention du Parti démocrate, lors d'un discours dans lequel il promet notamment de lutter contre la ségrégation des populations noires] ».

Le choix de la ville pour accueillir le tournage, Sikeston, dans le Missouri, n’est pas anodin. Elle n'est qu'à quelques heures de Little Rock (Arkansas), théâtre d'évènements similaires à l'intrigue du film quand, en 1957, un groupe de neuf élèves afro-américains est empêché d’étudier à la Little Rock Central High School. Il faudra attendre l’intervention de l’armée pour rétablir l’ordre et assurer le respect du droit.

William Shatner rencontre un mur © 1961 LOS ALTOS PRODUCTIONS, INC. Tous droits réservés.

Au milieu des descriptions de ses méthodes de tournage un brin commando qui donnent au film un cachet naturaliste et laisseront un souvenir indélébile à Shatner (« Ces trois semaines m’ont paru interminables »), Corman se rappelle que le seul moment où la police locale s’est montrée coopérative se déroule pendant une scène de parade du Ku Klux Klan et d’incendie de croix.

« Tout au long du tournage, il nous a semblé baigner dans une atmosphère de menace et de danger. Nous avons rencontré des résistances. Les noirs n’avaient été admis dans l’école de la ville qu’un an auparavant. (…) Pour jouer les suprématistes blancs, nous avons pris des jeunes qui traînaient dans le bar. Ces gars n’ont quasiment eu besoin d’aucune préparation pour rentrer dans leurs personnages. »

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À sa sortie, le film est plutôt bien accueilli par la critique mais ne trouve pas son public. À cause des sujets de société « explosifs » qu’il aborde ? C’est la théorie de Corman qui en sort vacciné et se tournera vers le cinéma de genre pour en devenir un des maîtres incontestés.


The Intruder de Roger Corman, en salle le 15 août.

Toutes les citations sont tirées de Comment j’ai fait 100 films sans jamais perdre un centime publié aux éditions Capricci.