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LE NUMÉRO PHOTO 2009

Stephen Shore

Même si l’on ne devait prendre en compte que les clichés les plus emblématiques du Stephen Shore adolescent, ceux de la Factory, il mériterait quand même sa place dans l’histoire de la photographie.

Même si l’on ne devait prendre en compte que les clichés les plus emblématiques du Stephen Shore adolescent, ceux de la Factory, il mériterait quand même sa place dans l’histoire de la photographie. Mais, pendant un road trip de Manhattan à Amarillo, au Texas, en 1972, Shore fait un usage pionnier de la couleur dans la photographie d’art. Depuis, ses photos témoignent de l’Amérique et des Américains, d’une façon qui préfigure cette touche pince-sans-rire assumée qu’on retrouve dans beaucoup de travaux photographiques aujourd’hui – par exemple, ses plans de rue et ses clichés d’architecture qui se révèlent être des décors de films à l’abandon, ou ses portraits vérité codés. En 1998, Shore a écrit un livre que possèdent tous les photographes que je connais, Leçon de photographie : la nature des photographies, publié en français chez Phaidon, une méditation éclairée sur les réflexes que nous avons en découvrant une photographie. En une lecture seulement, il a le don de renverser complètement toutes nos idées reçues. Depuis 1982, Stephen Shore est le directeur du département photo du Bard College, dans l’État de New York.

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New York, New York, 20 Mars 1976

Vice: Vous utilisez Leçon de photographie dans vos cours ?
Stephen Shore: Plus que ça, puisque Leçon de photographie tire son origine d’un cours que je donnais, qui s’intitulait «Voir en photographie». Au début, je m’appuyais sur le livre de John Szarkowski, L’Œil du photographe. Mais un des chapitres ne collait pas avec ce que je voulais enseigner à mes élèves, donc j’en ai écrit un autre. Par la suite, j’ai eu assez de matière pour faire un livre. Mais oui, j’utilise encore Leçon de photographie, et mes élèves se montrent très réceptifs. Vous êtes surpris par le succès de ce livre auprès des photographes ? C’est un must-read pour la jeune génération.
Je n’en ai pas conscience. À part si on me le dit, je ne peux pas vraiment savoir quel impact a mon ouvrage. Je suis très honoré d’apprendre ça. Vous y faites preuve d’une logique rigoureuse. Je me demande si c’est difficile pour vous d’enseigner à des photographes en devenir qui ont une vision très éloignée de la vôtre.
Leur approche et leur style peuvent être totalement différents des miens, ça ne me pose aucun problème. Mais laissez-moi préciser ma pensée. Au début des années 1980, quand je suis venu à Bard pour la première fois, la plupart des programmes d’études de la photographie tournaient autour de la photo manipulée, de la photo envisagée comme un travail sur le tirage – faire des collages, peindre sur les images, ce genre de choses. La faculté de photographie de Bard avait décidé de mettre l’accent sur la straight photography, la « photographie pure » – on jetterait juste un coup d’œil esthétique, et on n’essaierait pas de plaire à tout le monde. Il y avait plein d’autres écoles où aller si l’on voulait faire de la photographie manipulée. À l’intérieur même de l’approche straight, on dispose d’un large éventail de possibilités, notamment avec la photographie performative ou instantanée. On a déjà fait la distinction, mais certains étudiants, dans leur dernière année, se détournent de cette voie, et en utilisant Photoshop ils entrent dans le territoire du printmaking. Je n’y vois pas d’inconvénient. Mon boulot, c’est d’aider mes étudiants à trouver leur voix. Est-ce qu’enseigner a une influence sur la façon dont vous travaillez ?
Certainement. Si dans ma classe j’ai dix étudiants, je dois essayer de penser comme dix individus différents. J’essaye de les guider individuellement sur les étapes de leur travail artistique. Et voilà que je me retrouve, alors que je vais à la rencontre du monde avec mon appareil photo, avec plus d’idées visuelles que si je n’enseignais pas. Des idées qui pourraient ne pas sembler en adéquation avec ce que les gens considèrent comme mon style. Au cours des cinq dernières années, mon projet principal a été une série d’ouvrages utilisant une technologie d’impression à la demande. Ces livres vont souvent dans tous les sens, parce que je peux y explorer une idée sur laquelle je veux passer une journée, mais pas une année. Et je pense que la genèse de tout cela, ça a été d’enseigner à différentes personnes. Les appareils photo numériques ont dû aider.
Le numérique, ça rend la chose plus facile. J’imagine que j’aurais pu le faire en utilisant de l’argentique, aussi. Mais c’est vrai que ça coule tout seul avec le numérique. Il y a quelque chose de léger et de spontané dans la photo numérique. Quand vous êtes-vous mis au numérique ?
Pour des boulots qui m’importaient vraiment, je dirais il y a six ans. J’imagine que vous vous en servez pour vos photos de mode.
Tout mon travail commercial, je le fais en numérique. Ça s’utilise d’une ­manière tellement plus fluide. Vous utilisez quels appareils ?
J’en utilise plusieurs. Je les loue. La semaine dernière j’ai eu un Nikon D3. Mais parfois je me sers d’un Canon Mark III, ou d’un 4x5 avec un Leaf en back-up. Ça dépend vraiment de ce que j’ai à faire. Il y a quinze ans, pour faire un job comme ça, vous alliez d’abord prendre des Polaroïd, et quand un des clichés était approuvé par tout le monde vous pouviez démarrer le shooting. Mais ça, ça marche bien si vous avez à immortaliser une nature morte posée sur une table. En janvier, par exemple, j’ai fait une campagne de pub pour Nike, mettant en scène des athlètes qui couraient. J’avais besoin de capter le mouvement, de trouver une configuration visuellement intéressante de leurs jambes, et en même temps on devait distinguer clairement sur une même image trois paires différentes de chaussures de course. J’ai dû les faire courir, et courir encore. Si j’avais utilisé un appareil Polaroïd, et qu’une de mes photos avait été approuvée par le directeur artistique et le client, j’aurais dû mettre une pellicule dans un appareil et essayer de recréer le cliché. Ça aurait été impossible, ou presque. Là, ils regardent la photo sur leur ordinateur et ils disent : « Oui, c’est cette image-là », et le boulot est fait. Dans votre travail artistique, le concept d’un cliché semble plus important que son besoin d’être un objet esthétique obtenu par des moyens « authentiques », les négatifs, la chambre noire. Le numérique aurait très bien pu convenir à cette recherche.
Je ne sais pas vraiment pourquoi je n’ai pas exploré le numérique plus tôt. Je me rappelle que l’un de mes premiers appareils de photo digitale était un Casio Exilim, qui devait avoir la taille d’un PalmPilot. Après trente années d’utilisation d’un 8x10, l’idée d’un appareil photo quatre fois moins encombrant que mon posemètre seul était plutôt attrayante. En outre, j’ai toujours été intéressé par les technologies faciles d’accès, répandues. Je ne pourrais vraiment pas dire pourquoi je n’ai pas utilisé la technologie numérique plus tôt. J’ai lu un article dans lequel vous compariez l’économie du numérique avec celle de l’analogique.
On peut établir un lien entre ce que coûte le fait de prendre une photo et l’attention que le photographe apporte à cette photo. Avec un 8x10, par le simple fait qu’une photographie coûte, disons, 35 ou 40 dollars pour la planche contact et le développement d’un plan-film, l’image va être attentivement regardée. Parce que la photo numérique est gratuite, il y a un phénomène à deux revers. Le côté positif, c’est qu’il y a moins de contraintes, donc on est potentiellement plus spontané. Le point négatif, c’est que beaucoup d’images sont réalisées, et qu’elles ne bénéficient pas forcément de la considération qu’elles mériteraient. Ce n’est pas l’appareil lui-même qui le requiert. Quelqu’un peut travailler avec un numérique d’une façon très appliquée, en étant conscient de chacune des photographies qu’il prend. Vos travaux les plus connus ont été réalisés avec des appareils argentiques, 4x5 ou 8x10. Étant donné ce que vous venez de dire, est-ce qu’il s’ensuit que ces images étaient les seules versions dont vous disposiez ?
Oui, tout à fait. Et c’est là qu’intervient l’économie de la chose. J’ai pris conscience que je ne pouvais pas me limiter en prenant uniquement des photos dont je savais, à coup sûr, qu’elles seraient réussies. Parce qu’alors je n’aurais pris aucun risque, je n’aurais fait que des clichés sûrs, et je n’aurais rien appris. À quoi cela aurait-il servi ? Pour que mon utilisation de l’argentique soit financièrement viable, j’ai décidé que je ne prendrais jamais deux clichés de la même chose. Pas même de deux points de vue différents. C’est ça qui m’obligeait à savoir ce que je voulais.

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Lee Cramer, Bel Air, Maryland, 1983

Dans vos carnets de voyage photographiques des années 1970, pendant vos road trips, comment réalisiez-vous des photos de votre quotidien avec un si gros appareil photo ?
Pour la photo des pancakes, j’ai demandé à la serveuse si elle ne voyait pas d’inconvénient à ce que j’apporte un énorme appareil. Ça ne la dérangeait pas, mais j’ai tout de même fini debout sur une chaise, l’appareil posé sur un tripode à deux mètres de haut. Est-ce que le fait d’être aussi voyant affecte les photos que vous prenez ?
L’année d’avant Surfaces américaines, en 1971, j’utilisais un petit 35 mm. J’avais les cheveux aux épaules, je ressemblais à un hippie, et quand je photographiais un coin où je me trouvais, il arrivait qu’un habitant appelle la police. Les flics me demandaient ce que je faisais là, et on me disait fréquemment de m’éloigner. Quand j’ai commencé à me servir d’une chambre, ça n’est plus jamais arrivé. Que l’appareil soit si voyant est précisément ce qui permet une plus grande liberté. L’illustration extrême de cette idée, c’est deux clichés d’une série que je n’ai jamais montrée – des photographies de New York City que j’ai réalisées avec un 8x10, montrant des gens interagissant dans la rue. Je ne me suis jamais senti plus invisible. Je me tenais à l’angle de la 72ème et de Broadway Street, ou de la 52ème et de la 5ème, et les gens me dépassaient sans me voir. J’ai pris en photo des piétons patientant pour traverser, des gens hélant un taxi, je me tenais à moins de 2 mètres d’eux avec un appareil 8x10, et personne ne me remarquait. Mais tous ces paysages dépourvus de présence humaine, ce n’est pas pour éviter de se faire déranger en permanence par des gens qui vous demandent ce que vous êtes en train de faire ?
Les raisons étaient d’abord techniques. Typiquement, je travaillais avec un temps d’exposition d’un quart de seconde voire même d’une moitié de seconde, donc si je devais prendre quelqu’un en photo il fallait qu’il pose pour moi, ou qu’il soit en train d’attendre que le feu piéton passe au vert. Mais je ne veux pas aller jusqu’à dire que c’était une décision purement technique, parce que j’ai le choix de mes outils. Si prendre en photo des rues bondées de monde avait été mon objectif, j’aurais utilisé des outils différents. Il y a aussi un autre facteur, que ceux d’entre nous qui sont nés à New York peuvent ne pas entrevoir immédiatement. Mais postez-vous à une intersection à Ashland, dans le Wisconsin, et installez votre appareil photo. Si vous voulez quelqu’un sur l’image, il va vous falloir attendre. Dans beaucoup de villes, les rues ne sont pas habitées comme celles de New York. Je me suis installé dans une petite ville, ces photos me parlent bien plus aujourd’hui. Vos portraits me fascinent, également. Avez-vous déjà réalisé consciemment une série de portraits ?
Pas vraiment. Dans Surfaces américaines, je dirais qu’environ une image sur cinq est un portrait, ça doit être ma série la plus approfondie. Mes clichés de Warhol étaient des clichés qui représentaient des gens, oui, mais sans nécessairement constituer des portraits. À certains moments, dans les années 1970, je revenais au portrait. J’en ai fait pas mal à Fort Worth en 1976. Quelques-uns ont été publiés. Et, en 1978, j’ai tiré le portrait de presque tous les Yankees. Mais, pendant la majeure partie des années 1970, j’avais en tête des questions culturelles et formelles qui ne trouvaient pas de réponse dans les portraits. Les critiques font souvent référence à vos paysages en les qualifiant de « portraits ». Mais n’y a-t-il pas quelque chose d’ineffable, propre au portrait humain, qui ne se retrouve pas ailleurs ?
C’est une très bonne question, et je ne pense pas qu’on puisse y apporter une réponse. À chaque fois que vous voyez quelqu’un sur une image, votre réponse est différente. Ce n’est pas comme regarder un lampadaire ou une boîte aux lettres. L’œil est attiré, le regard se fixe, et se met en place une chaîne d’associations très diverses. Pour Surfaces américaines, je demandais à chaque personne : « Est-ce que je peux vous prendre en photo ? » Je ne voulais pas seulement saisir leur expression, mais leur façon de s’habiller, leur background. Tout ça s’imbriquait dans une sorte de nexus culturel. Ces clichés, en particulier, ont intégré le portrait mieux que n’importe quel autre travail que j’ai pu faire. Et donc, vous pensez qu’on peut décrire vos paysages comme des portraits ?
Je dirais qu’ils donnent probablement ce sentiment, parce que dans un portrait, on porte une attention très spécifique à quelqu’un, et on le traite avec respect. Le spectateur peut prêter la même attention mêlée de respect en observant un immeuble ou une rue. Un des thèmes récurrents de Leçon de photographie, c’est le plaidoyer en faveur de la réconciliation de tous nos sens, en prêtant plus d’attention à la façon dont ils fonctionnent et en s’entraînant à être plus à l’écoute de ce qu’ils essayent de nous signifier. Vos meilleures images l’illustrent bien.
Une photographie peut faire plein de choses en même temps. Je peux m’intéresser à la culture d’un endroit, en choisissant une rue plutôt qu’une autre pour donner un aperçu d’une ville ou d’une époque. Simultanément, je peux explorer le média d’une façon formelle, voir comment la structure d’une image peut lui donner une empreinte temporelle, interroger la perception et la façon dont une photographie joue avec. Je peux aussi m’intéresser à ce que vous venez de dire, que parfois le sujet le plus trivial est celui qui nous parle le plus, parce que ce qui donne à l’image sa signification n’est pas tant la charge culturelle du contenu que l’éveil des sens et la conscience de la perception, ce qui lui donne une sorte de résonance visuelle. C’est comme ces jours, ou ces moments, où votre esprit se calme un peu, l’espace devient plus tangible, les textures et les couleurs plus vives.

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Sneden’s Landing, New York, juillet, 1972

Vous pensez que le cerveau balance entre différents états de perception optique, comme un appareil photo ?
Oui, c’est une des choses que j’ai apprises de la photographie. Laissez-moi vous expliquer : je pense qu’il est parfaitement possible que chaque matin, vous sortiez de votre maison pour aller prendre un café, et que sur le chemin vous ne payiez aucune attention à ce qui vous entoure. Mais si soudain, vous faites le même trajet appareil photo à l’épaule, d’un coup vous allez vous en soucier. Qu’est-ce que cela nous apprend ? Pour envisager les choses sous un autre angle, quand je prenais des photos des Yankees, je voyais ces hommes qui réalisaient des prouesses renversantes, dans la plus grande concentration. J’ai assisté à mes premiers matchs de baseball à 6 ans, mais des gradins, il est impossible de faire véritablement l’expérience d’un joueur de première ligue, de ce que voit du match celui qui tient la batte. Pendant l’entraînement de printemps à Fort Lauderdale, je pouvais me placer à l’endroit où l’arbitre se tient et observer les lancers. Pour frapper une balle qui se déplace aussi vite, cela requiert une concentration hors norme, alliée à une coordination sans faille. Si vous parlez aux joueurs, ils vous diront que quand ils sont vraiment dedans, ils peuvent discerner le mouvement des coutures de la balle. Et pourtant, ces mêmes individus, capables d’un tel degré d’attention, allaient dès quatre heures de l’après-midi dans un bar appelé Trader Jack’s pour draguer la première jeune fille venue, et mettaient totalement de côté l’état d’esprit qui leur réussissait si bien au moment de voir la balle. Ils n’en tiraient pas les conséquences pour le reste de leur vie. Je me demande pourquoi nous traversons la vie sans prêter plus d’attention aux choses, et ce qui en ressortirait si on le faisait. Dans les années 1990, vous avez publié un livre de photographies intitulé Essex County. Y figurent des images fascinantes, et, je dois le dire, étranges, d’arbres, de la flore… Ça donnait presque l’impression d’une rupture avec vos travaux antérieurs, mais d’une façon difficile à expliciter.
Je pourrais disserter longtemps là-dessus. Je prends des photos pour résoudre des problèmes, des problèmes visuels, et l’image qui naît en est le sous-produit. Quand je parviens à répondre de manière satisfaisante à la question que je me pose, je ne souhaite pas me répéter. Je me pousse sans arrêt à prendre de nouvelles directions. C’est une des raisons pour lesquelles ce travail-là ne ressemble à aucun autre. J’ai trouvé la solution à de nombreux problèmes dans mes plans de rue des années 1970 et dans mes paysages des années 1980, et au moment où j’ai abouti à ce corps de travaux, Essex County, mon intérêt se portait sur le fait de voir avec plus de résonance. Je veux présenter votre travail en montrant quatre de vos portraits les plus connus et je voudrais que vous m’en parliez. Le premier d’entre eux est New York City, New York, septembre-octobre 1972, un cliché d’Henry Geldzahler.
Ça s’est passé pendant une fête. Je connaissais Henry depuis le milieu des années 1960. Je trouve qu’il y a quelque chose de délicieux dans sa pomme croquée. Le livre dans lequel ce cliché figure, Surfaces américaines, avait commencé comme un voyage à travers le pays, et je photographiais d’une manière répétitive diverses catégories de choses, et tous les gens que je rencontrais. J’ai continué à faire cela après que je suis rentré chez moi, en ville. Je n’ai jamais essayé d’identifier précisément les gens qui figurent sur mes clichés, l’ensemble forme un mélange entre de très proches amis et de parfaits inconnus, comme cet homme que j’avais rencontré dans un dépôt de bus à Oklahoma City, ou ce type qui m’avait fait le plein. Toute une palette d’individus, qu’ils soient ou non anonymes. Parmi les gens célèbres, j’avais photographié le sénateur Javits, le Comte de Gowrie, et la fantastique critique de films d’avant-garde, P. Adams Sitney. Oklahoma City, Oklahoma, juillet 1972.
Je crois que c’est quelqu’un que j’ai rencontré dans un dépôt de bus. Le Trailways bus depot à Oklahoma City. J’ai tout simplement trouvé que c’était un personnage extraordinaire. Autoportrait, New York, NY, 20 mars 1976.
Cet autoportrait est mis en scène. Je regardais fixement la bande qui sortait de la machine à calculer. Je pensais à tous ces petits détails et à la façon dont je pouvais les arranger. Mais je ne peux pas me souvenir de ce qui me trottait d’autre dans la tête. Lee Cramer, Bel Air, Maryland, 1983.
Ça, c’était mon beau-père, dans la cuisine. Ce qui me passionne dans le portrait, c’est la façon dont, culturellement, on est accoutumés à attribuer telle émotion à telle expression faciale. Les expressions du visage évoluent avec le temps et, sorties de leur contexte, figées sur une image, elles peuvent vouloir dire quelque chose de très différent de ce qu’elles sont en vérité. Mais on peut toujours y lire une émotion, une expérience. Un bon exemple nous est donné par un livre de portraits fait par le photographe Robert Lyons, tant des victimes que de ceux qui ont perpétré le génocide rwandais. Les portraits ne sont pas titrés ; ils sont indexés à la fin du livre. Il y a le visage de cet homme, particulièrement, on lit dans son regard la profondeur de l’expérience, de la sagesse, de la compassion… des symboles visuels qu’on lit comme ça. Et en se référant à l’index, on constate qu’il est responsable de la mort de dix-sept personnes. D’un autre côté, un photographe fantastique, Tod Papageorge, un bon ami à moi, a pris en photo mon mariage. C’était en Californie, et il a pris des clichés de gens qu’il n’avait jamais rencontrés auparavant. Et pourtant, dans ses photos, chaque personne est saisie dans son essence. Donc d’un côté, on sait qu’il y a une dimension profondément fictive du portrait, et de l’autre, on a le résultat obtenu par un photographe comme Tod, par sa façon de pénétrer à l’intérieur des gens et de les comprendre. En regardant la photo que j’ai prise de mon beau-père, je sais que ça nous communique quelque chose sur son état d’esprit. C’est toute l’énigme du portrait.

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Sandusky, Ohio, juillet, 1972

New York City, New York, septembre–octobre, 1972

Oklahoma City, Oklahoma, juillet, 1972

Toledo, Ohio, juillet, 1972

Stanley Marsh et John Reinhardt, Amarillo, Texas, 15 février 1975