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Le Frollywood Boulevard de Château d'Eau

Près de nos bureaux dans le 10ème arrondissement, il y a une petite boutique d’électronique toujours peuplée...

Près de nos bureaux dans le 10ème arrondissement, il y a une petite boutique d’électronique toujours peuplée d’une dizaine d’individus qui ne semblent pas projeter d’acheter quoi que ce soit. À côté des composants électroniques, la boutique propose des DVD, notamment tout un rayon de sitcoms d’Afrique de l’Ouest, principalement ivoiriennes et burkinabè (et dans une moindre mesure béninoises) : le cinéma de Frollywood.

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Alors qu'on glandait là-bas en début de semaine, un mec de la boutique a tenu à nous retracer l’histoire du Congo pendant qu’un autre semblait vouloir nous « tester », demandant avec insistance à voir notre carte de presse tout en achetant des CD de rumba nigériane. Puis, on a fait la connaissance de Jimmy, un producteur de musique d’origine béninoise qui aurait lancé Princess Erika en France et qui s’est chargé de la licence française de quelques-unes de ces productions frollywoodiennes.

Il nous a expliqué que les DVD en vente étaient des sitcoms dont la notoriété pouvait atteindre des sommets – Gohou, star de séries ivoiriennes, a même joué dans les clips de « Black pimp fada » de Stomy Bugsy et « Oulala » de Mokobe –, produites en France, tournées au pays, montées en France et vendues en DVD dans des points de distribution spécifiques, diffusées sur les chaînes câblées RTS et Télésud ou piratées sur Internet – un « fléau » selon les occupants de la boutique. Mais surtout, il nous a assuré que c’était « très marrant ».

Le lendemain, Jimmy nous a rejoints pour boire un demi et disserter longtemps sur ces séries dont le ressort comique principal est l’embrouille. Avec lui, on a tenté d’établir une typologie de l’humour des anciens pays de la Françafrique – décrit par le type qui a renseigné la page Wikipédia Théâtre africain comme un « héritage [un peu pourri] de la colonisation ».

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LE CAMEROUN

Le Camerounais Jean-Miché Kankan est la référence humoristique de l’Afrique francophone. Du comique de vieux bourré, qui rappelle Michel Piccoli dans Themrock ou un vieux bourré. « Il a décomplexé tous les Camerounais sur leur accent », rajoute Jimmy. Ah, et parfois il se met à chanter aussi, et ça dure la moitié de l'épisode. Parmi les sitcoms les plus réputées dans le monde frollywoodien parisien – qui s'étend de Château d’Eau à Château Rouge – on peut citer l’énigmatique Vie du Mboa et La Marratre.

Coefficient Jean-Miché Kankan :

LE BÉNIN

Selon Jimmy, lui-même originaire de ce pays, les Béninois sont les individus les plus tristes de la francophonie : « ils ne savent pas rire ». En outre, « au Bénin on ne rit pas de tout, contrairement au Congo ou en Côte d’Ivoire. On ne rit pas de la mort, c’est sacré. D’autant que les revenants continuent à vivre dans la maison avec la famille. » Il n’empêche, les Béninois ont une bonne production de sitcoms déconneuses, comme Aziza, avec des êtres humains qui se transforment en tortues. Et avec des stars locales comme Marceline Aboh dans Tangny Pompy : une vieille avare qui possède l’unique point d’eau du village. Dans le trailer, on la voit engueuler un type sur son lit de mort pour récupérer son argent.

Coefficient Jean-Miché Kankan :

LE SÉNÉGAL

L’humour sénégalais joue beaucoup sur la superstition – « là-bas, quand tu trébuches, t’emmènes le caillou chez le marabout » –, et sur la polygamie, comme avec ce type qui se fait embrouiller par ses six femmes dans Koudié (c’est en wolof, mais sous-titré en français). « De toute façon le problème du Sénégalais, même quand il parle français, on dirait qu’il parle wolof », se marre Jimmy. « Mais ça doit tourner autour de l’argent, vu que j’entends tout le temps khalis. Wawawawa khalis. Wawawawa khalis. Wawawawawa khalis ». En se foutant de la gueule du Sénégal pendant une bonne dizaine de minutes, Jimmy a ruiné notre théorie selon laquelle les pays colonisés par la Belgique (soit l'actuelle RDC, le Rwanda et le Burundi) étaient les « Belges » des pays de la Francophonie, puisque selon Jimmy, « ce sont les Sénégalais les plus cons ».

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Coefficient Jean-Miché Kankan :

LE BURKINA FASO

« Les plus forts », selon Jimmy. « Ils aiment beaucoup rire d’eux-mêmes. Leur humour est basé sur l’autodérision. Ils sont tellement pauvres, il faut dire. » Dans Le Loyer, effectivement, on voit un type qui passe son temps à se cacher de son propriétaire ou à combiner pour mettre un peu d’essence dans sa voiture afin de soulever des rates. Ils ont aussi Les Bobodiouf, qui joue sur les différences entre les villageois et les citadins. Même si quand même, ils préfèrent rire de leur pauvreté.

Coefficient Jean-Miché Kankan :

LE CONGO-BRAZZAVILLE

Le Congo-Brazzaville produit le sitcom à succès Ismaïl, qui met en scène deux enfants, un pauvre et un riche. « Les Burkinabè adorent ! », précise Jimmy.

Coefficient Jean-Miché Kankan : 

LA CÔTE D’IVOIRE

La célébrité Gohou semble avoir joué dans toutes les sitcoms ivoiriennes. « Le comique ivoirien joue beaucoup sur le pigeonnage, l’amour matériel, et aussi sur les arnaques, quand quelqu’un perd un membre qui lui est cher et en profite pour soutirer de l’argent à ses proches. Ça montre la réalité de l’Africain qui vit sur le malheur de sa famille. » Quand on a fait remarquer à Jimmy que ça n’était pas très drôle, il nous a répondu : « sisi, ça l'est. »

De retour à la boutique, il nous a d’ailleurs filé un DVD dont il avait la licence en France, Wintin Wintin et Vieux Foulard, qui était effectivement marrant, et qui met en scène des gens qui passent leur temps à se crier dessus dans des ANPE en se menaçant physiquement.

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Coefficient Jean-Miché Kankan :

LA GUINÉE

Les sitcoms préférées des Guinéens sont celles où figure Moussa l’Africain, de son vrai nom Moussa Koffoe Keita. Outre leur propension à porter en toute saison des bonnets en laine et à s’invectiver violemment dans des dialectes différents – « ça marche bien parce qu'aucun des deux partis ne se comprend ! », précise Jimmy – à la première occasion venue, les comédiens des sitcoms guinéennes jouent beaucoup sur l’effet comique de la « bagarre » et emploient leurs journées à se battre tous ensemble, dans la plus parfaite égalité des sexes, comme le prouve cet extrait de Moussa le Con.

Coefficient Jean-Miché Kankan :