Richard Bellia refuse de virer ses watermarks

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Richard Bellia refuse de virer ses watermarks

Richard Bellia fait partie des mecs dont le travail me fait regretter d’être né en 1991. .

Richard Bellia fait partie des mecs dont le travail me fait regretter d’être né en 1991. À l’époque où il shootait Taxi Girl et Lee Scratch Perry en pyjama dans un cimetière, l’alcool qui a mené à ma conception n’était même pas encore en bouteille. À la fin des années 1980, Bellia était également le seul photographe français à s’intéresser à la scène indie-rock anglaise ; résidant à Londres, il était proche de Ride, My Bloody Valentine ou House of Love et c’est grâce à lui que ces groupes aujourd’hui légendaires étaient relayés dans les magazines d’ici.

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La semaine dernière, je glandais à Lyon, et alors que tous mes plans d’hébergement étaient tombés à l’eau, Bellia en personne m’a proposé de passer la nuit chez lui. Je devais donc dormir dans cet appartement, qui en réalité est une sorte de laboratoire de photo où la musique – des vinyles, petit – est régulièrement étouffée par le bruit de la douchette avec laquelle il rince les tirages, lesquels sont ensuite suspendus un peu partout, y compris dans sa chambre. Mais deux heures avant, il m’annonçait que son plan canapé tombait à l’eau, rapport à une sombre histoire de colocation entre quinquagénaires.

Je n’étais pas surpris. Le talent de ce mec est inhérent à ce qu’il est foncièrement : un mec tellement habité par les mecs qu’il photographie qu’il en a chopé toutes les caractéristiques. Bellia réagit comme un kid de vingt balais ; il est aussi sympa que parfois complètement borné, pour ne pas dire relou – il a failli me faire pleurer la première fois qu’on s’est rencontrés parce que j’avais un appareil numérique et que « ça petit, c’est pas de la vraie photo. C’est de la merde. » Mais après avoir longuement réfléchi à mes erreurs et rejoins sa page Facebook intitulée Je préfère fumer du crack au petit dej’ que d’aller voir Indochine en concert, je lui ai posé des questions sur ce qu’il fait de mieux : des photos des mecs à l’origine de la meilleure musique des cent dernières années.

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PS : Illustration de ce que je disais au-dessus, Bellia a refusé de détaguer ses photos pour alimenter l’interview, de peur que « quelqu’un ne les réutilise et [l’]arnaque sans prévenir. C’est Internet ça, petit. »  Après une discussion animée entre Bellia et mon rédacteur en chef, il sont parvenus à un accord ; OK pour diffuser les photos avec un gros watermark bien voyant, en échange de rien. Win-win.

Richard Bellia aujourd'hui, avec un personnage de cinéma.

VICE : À quel moment vous vous êtes dit que vous vouliez photographier les gens que vous écoutiez ?
Richard Bellia : Au moment où je me suis acheté mon premier appareil photo, à 18 ans, en 1980. J’ai commencé par prendre en photo les groupes qui passaient en Lorraine, où j’ai grandi et j’ai décidé d’en faire mon métier quelques mois plus tard.

Il y avait beaucoup de Français qui faisaient ça, à l'époque ?

Pas tant que ça. Je ne me suis jamais vraiment occupé du travail des autres, mais je préfère les petites salles où rien n’était prévu pour les photographes.D’une manière générale, j’allais plus dans les petits concerts que dans les grands.

Vous pouvez me parler de cette photo de Lee « Scratch » Perry en pyjama sur une tombe ?
C’est une commande pour le Melody Maker, pour lequel j’ai bossé pendant plus de deux ans. C’était rare pour moi de faire ça à l’époque ; la plupart du temps je demandais aux mecs de les prendre en photo quand je les croisais au pub ou dans la rue. On s’est donc retrouvé dans les bureaux de Mute Records, à Londres et Lee Perry, en voyant un cimetière par la fenêtre, m’a dit « Hey, on va aller faire des photos là-bas. » Il est arrivé habillé, et il portait un sac plastique avec un pyjama à l’intérieur. Au fil des photos, il s’est désapé et il a fini dans cette tenue, à faire n’importe quoi dans le cimetière, sous la pluie. J’ai vidé deux pellicules ce jour-là. En règle générale, il adore faire le con et est constamment dans la représentation. J’avais un peu de mal avec ça ; je préfère les mecs discrets.

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Selon vous, dans les années 1980 c’était plus facile de shooter les groupes ? Les mecs avaient l’air OK pour tout.
Non, c’est une légende urbaine. C’est vachement plus facile maintenant en fait ; il suffit de contacter le groupe sur Facebook et c’est bon. Mais en effet, ça n’a jamais été très compliqué. Quand c’est ton boulot, tu n’as pas de mal à faire comprendre aux mecs que tu ne veux pas faire ça non pas pour faire la groupie, mais pour gagner ta vie.

Oui, d’ailleurs j’imagine qu’il y a 25 ans, il était encore possible de gagner sa vie uniquement en prenant des photos de groupes.
Ça n’a jamais été bien payé, en tout cas pas la presse pour laquelle j’ai travaillé. Tu peux te faire de l’argent quand tu vends à Elle, Paris Match ou VSD, mais pas pour des publications musicales. Quand j’étais à Londres, je squattais un appart. J’avais cassé le compteur d’électricité pour tirer du jus et mes quatre photos par semaine pour le Melody Maker me suffisaient pour vivre. Je ne m’achetais pas de super fringues, mais j’arrivais à survivre. Aujourd’hui il suffit d’aller dans un kiosque, feuilleter les mags et compter le nombre de photos musique pour se rendre compte qu’il n’y a plus de budget photo dans les rédactions. Les Inrocks n’ont pas modifié leur grille tarifaire depuis le passage à l’euro. Rock & Folk ont baissé leurs prix il y a cinq ans. Maintenant, je gagne ma vie en vendant des livres de photo, en faisant des expositions ou en vendant des tirages.

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Ouais. La qualité générale de la presse musicale a elle aussi largement décliné, selon moi.
Tout à fait. À l’époque, toute le monde s’intéressait à la musique ; les journalistes faisaient des concours à celui qui arriverait à faire rester le nom d’un style musical. Notamment ce mec du Melody Maker qui a trouvé le nom des Daft Punk ; il avait chroniqué un concert de Darlin’, leur premier groupe, et avait qualifié leur musique de « daft punky trash ».

Ah, ah. Pas mal, en effet.

Bosser pour la presse musicale était un truc intéressant. Et puis, j’aimais bien avoir mes photos dans Libération parce que j’adorais voir les gens regarder mes photos en lisant le journal dans le métro. Tu verras jamais un mec lire Rock & Folk dans le métro – surtout aujourd’hui.

Dans ce cas, pourquoi avoir quitté la France au milieu des années 1980 pour partir à Londres ?
Principalement pour voir plus de concerts et faire plus de photos. Et puis, à Londres, j’avais ce sentiment d’être à la source de la musique que j’écoutais. Cette ville me faisait rêver ; pour un Français, elle est tellement exotique. Quand j’ai commencé à être un peu intégré, que j’y habitais depuis quelques années, l’épicier du coin me faisait crédit, je retrouvais mes potes au pub tous les soirs, etc. C’était un pays qui allait avec ce que je voulais faire.
C’est aussi l’époque où le rock indé a émergé ; il y avait les Smiths, les Pixies, My Bloody Valentine, les Sugarcubes et plein d’autres qui jouaient tout le temps à Londres à la fin des années 1980. L’autre jour j’ai croisé Jamie Hince des Kills et je lui ai montré une photo que j’avais prise de lui en mai ‘88 dans un pub de Camden ; il y jouait avec Blyth Power, son premier groupe. J’aimais la noise pop, c’était vraiment nouveau à l’époque, ces kids qui jouaient mal avec un énorme mur de distorsion derrière eux.

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D’ailleurs, comment vous avez réussi à choper Galaxie 500 ? Ils avaient l’air excessivement discrets.
C’était à Lausanne, à la Dolce Vita, la salle de concert. Cette photo a fait la pochette de l’album live du groupe, enregistré à Copenhague. Tous les groupes qui passaient par là faisaient des graffitis sur les murs de la loge – notamment Dennis’ Twist, le groupe de pop des dessinateurs Vuillemin, Frank Margerin et Jean-Claude Denis. Au lieu de dessiner des bites, les mecs faisaient des dessins gentils. [Rires] C’était une autre époque, hein ?

J’imagine. On a l'impression que vous étiez toujours en train de fumer des clopes avec les musiciens en backstage. À quel point vous les fréquentiez ?
Aussi surprenant que ça puisse paraître, je n’ai jamais profité de ma fonction de photographe pour me bourrer la gueule avec les artistes. En cumulé, j’ai passé moins d’une heure avec les Stone Roses, en les shootant à quatre reprises en ‘89, ‘92, ‘96 et 2012. J’aime travailler vite. Il y a des mecs avec lesquels je m’entends parce qu’on s’est croisés souvent, mais on ne se raconte pas non plus notre vie de famille. Je préfère ça plutôt que les photographes qui cherchent à devenir potes avec les groupes. C’est pas pour moi.

D’autant plus que les artistes sont parfois chiants à prendre en photo, pour ne pas dire chiant tout court.
Eh bien, typiquement, Lou Reed est un énorme con. Il a très mal vécu sa notoriété et n’importe quel journaliste te dira qu’il est imbuvable. Après ouais, il y a eu des shoots plus casse-couilles que d’autres ; mais peut-être que c’était chiant parce que sur le moment, ni moi ni les mecs n’avions envie de ça.

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Vous pouvez me parler de cette photo de Taxi Girl avec ce mobilier typique des années 1980 ?
C’était pas un salon mais un disquaire ! Ça s’appelait le Crocodisc si je me souviens bien. Le magasin était connu parce qu’ils recevaient les nouveautés en avant-première. Certains mecs du service culture de chez Libé avaient commencé par vendre des disques là-bas. J’avais rendez-vous avec le groupe chez ce disquaire et quand je les ai vus arriver, j’ai halluciné ; Darc ne ressemblait déjà à rien mais Mirwais était hyper élégant, tout comme leur manager. Les gars avaient mon âge, étaient tous hyper bien sapés, signés chez Virgin et franchement, j’étais hyper intimidé. Durant tout le shoot, j’ai eu l’impression de les déranger.

Ça se voit un peu sur la photo, il y a comme du mépris dans leur regard.
C’est pas du mépris, ils ont la tête que les gens font quand un photographe les dirige mal. Le genre de photos qu’on retrouve très souvent dans Les Inrocks ; une photo où les gens s’ennuient.

Vous êtes nostalgique de cette époque ?
Je crois, oui. Aujourd’hui, t’entends des mecs qui disent : « On fait du pop-rock et on a fait 800 vues sur YouTube la première semaine. » Tout m’énerve dans cette phrase. Les mecs se mettent à l’abri en se limitant à un style et évaluent leur succès au nombre de vues de leur vidéo. Je suis nostalgique d’une époque où les gens ne disaient pas ça.

Suivez Maxime sur Twitter : @XimeLelong

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Blur, 1997

Des mecs des Damned et les Ramones, 1988

Daniel Darc et Alain Bashung, 2007

Frank Black des Pixies, 1989

Galaxie 500, 1989

House of Love, 1988

Manic Street Preachers, 1992

Kevin Shields de My Bloody Valentine, 1989

O.D.B, 1997

Pulp, 1992

Des kids à Reading, 1991

Ride, 1989

Les mecs de Shellac vieux, 2012

Siouxsie Sioux, 1988

Les Melvins vieux, 2010

The Cult, 1985

The Wolfhounds, 1986

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