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LE NUMÉRO FIN DE L'OCCIDENT

À la gloire des faluchards

« La Faluche » n’est pas une secte mais une association étudiante centenaire et surtout, la seule confrérie estudiantine française.

Antoine, alias « Caca Clean », paré de sa faluche savamment décorée. La première fois que j’ai été confronté à une faluche, elle était dressée sur la tête d’une amie étudiante. Celle-ci m’expliquait qu’elle avait eu une série d’épreuves à accomplir pour se montrer digne d’arborer ce béret en velours noir saturé de badges. Elle m’a tout de suite assuré que « La Faluche » n’était pas une secte mais une association étudiante centenaire et surtout, la seule confrérie estudiantine française. Il semblerait que La Faluche ait été créée en 1888, lorsqu’une délégation d’universitaires français s’est pointée à Bologne pour participer au congrès international d’étudiants qui célébrait les 800 ans de l’Université. Sur place, les Français se sont rendu compte que, contrairement à tous leurs voisins européens (qui arboraient tous de grands chapeaux pointus), aucun accessoire ne permettait de les distinguer. Ils se sont donc approprié le premier symbole qu’ils ont eu sous la main : le couvre-chef des habitants de Bologne. Plus tard, après avoir survécu aux nazis – qui voyaient en La Faluche un moyen de communication entre résistants – et à Mai 1968, le mouvement a connu un regain d’intérêt au début des années 1980. Les rares mentions de La Faluche dans la presse, qui ont toujours associé cette confrérie à des beuveries démesurées, des bizutages violents ou des actes sexuels dégradants, ont poussé ses membres à s’en méfier ; aujourd’hui, ils s’adonnent à leurs pratiques à l’abri des regards. Le mystère qui entoure ces frats français n’est pourtant pas à la hauteur de leur réputation : leur principale activité consiste à organiser des fêtes étudiantes – qu’ils nomment « congrès » – tous les week-ends de l’année scolaire et à descendre des bières ; si l’on omet le fait qu’ils portent une coiffe déroutante, les faluchards font exactement la même chose que tous les autres étudiants de la planète : ils boivent des coups en attendant les partiels. Après avoir essuyé plusieurs refus, j’ai rencontré Antoine, qui a accepté de répondre à mes questions et de m’expliquer ce que signifiait chacun des badges qui ornaient sa faluche. Je ne peux pas dire qu’il a réellement pris un risque en acceptant de me parler, mais il a dû faire face aux critiques de plusieurs de ses coreligionnaires. Ceux-ci ne voyaient pas d’un bon œil que l’un des leurs révèle les secrets de la confrérie à un impie. On peut les comprendre, car il arrive que les gens racontent de grosses conneries à leur propos. Parmi les badges fictifs les plus réputés chez les non-initiés de La Faluche, mes préférés sont : « J’ai mangé mon vomi » et « J’ai dépucelé une fille en public ». Leur réalité est bien plus prosaïque. D’un point de vue esthétique, la faluche – le couvre-chef – est divisée en deux grandes parties : d’une part, le ruban circulaire sur lequel on peut lire le cursus de l’étudiant ; et d’autre part, le velours proprement dit, lui-même subdivisé en plusieurs parties, leur nombre variant selon les régions. À l’exception du surnom du porteur, le circulaire ne révèle aucune information personnelle et contient les mêmes informations qu’un CV de recherche de stage : une tête de mort apprend à votre interlocuteur que vous avez laissé tomber vos études et chaque redoublement est signalé d’une tête de vache. Au-dessus du ruban de satin violet qui couvrait la première moitié du circulaire de la faluche d’Antoine, on pouvait lire la mention « Caca Clean » en lettres d’or. C’est sous ce pseudonyme, choisi par ses pairs, qu’il est connu en tant que membre de La Faluche. « Mes parrains – deux élèves plus âgés – ont choisi de m’appeler Clean parce qu’en soirée, je passais mon temps à tout ranger. Quand je vomissais, la première chose que je faisais, c’était d’aller chercher une serpillière. » La mention Caca, elle, est venue plus tardivement. « Un soir, lors d’un congrès, j’étais crevé et je suis allé dormir dans ma voiture. J’ai eu la flemme de retourner aux toilettes et j’ai posé une pêche devant la portière de la caisse. Le lendemain, ma filleule a vu ça. Elle a appelé mes potes et fait ajouter le mot Caca à mon nom. » Sur le velours de la faluche, on trouve plusieurs symboles qui définissent le porteur, les insignes des associations étudiantes et les congrès auxquels il a participé. Enfin, une multitude de badges et de pin’s agrémentent le couvre-chef ; ils sont regroupés sous le terme d’« armes personnelles », chacun ayant sa zone consacrée. Avant d’être autorisés à porter la coiffe, les impétrants doivent prouver leur volonté d’appartenance au groupe. Si les éléments constitutifs de cette étape varient selon les régions, on retrouve généralement trois étapes principales. L’aspirant faluchard doit montrer son intérêt pour la confrérie puis, lors d’une soirée où il est « baptisé » par un Grand Maître, il doit répondre à une série de questions sur La Faluche avant d’entonner plusieurs chansons paillardes, composantes essentielles de la fratrie. Au cours de leur vie (étudiante, puis active), les membres agrémenteront leur couvre-chef d’insignes abscons faisant de leur coiffe une carte d’identité dont la lecture sera réservée aux initiés. Pour ceux que ça intéresse, il existe également le Code national de La Faluche, rédigé en 1988 et disponible sur Internet, mais rares sont les faluchards qui l’ont lu en entier. Pour Antoine comme pour un grand nombre de porteurs du béret, La Faluche n’a d’autre vocation que de rencontrer des personnes avec lesquelles se bourrer la gueule. Sur les forums, les utilisateurs confessent avoir rejoint la confrérie pour « recréer du lien au sein de l’univers impersonnel de la faculté et de ses instituts ». Mais quand on regarde le Code, il est indéniable que les têtes pensantes du mouvement ont cédé à l’esprit bro – ce que certains de leurs filleuls déplorent. On compte désormais au bréviaire faluchard des insignes visant à identifier les « fins baiseurs », les éjaculateurs précoces et différents actes sexuels commis en public ; ceux-ci sont représentés par différents légumes selon la nature de l’acte. Témoignage de ce récent revirement culturel, les Grands Maîtres de La Faluche ont tenu à préciser dans l’article XII du Code qu’ils espéraient « voir les faluches se transformer en véritables potagers ».