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Une interview avec un journaliste torturé pour avoir enquêté sur le Hezbollah

Le parti de Dieu et les autorités libanaises n’apprécient pas qu’on fourre le nez dans leurs affaires.

Rami, au centre de l'image, équipé de son gilet pare-balles

Quand il s'est fait kidnapper sous la menace d'une arme, Rami Aysha enquêtait sur cette curieuse pratique du Hezbollah qui consiste à vendre des armes aux rebelles syriens, tout en envoyant ses combattants se battre aux côtés de Bachar el-Assad. Après avoir été détenu, battu et interrogé par le « parti de Dieu », Rami a été remis aux autorités libanaises. Lesquelles l'ont libéré sous caution en l'accusant de trafic d'armes. Son procès a eu lieu il y a quelques jours dans un tribunal militaire – alors que Rami est un civil. Absent en raison d'un déplacement professionnel à l'étranger, il a été condamné par contumace. Quand le juge n'a pas retenu les arguments de la défense – qui a tenté d'expliquer qu'il n'était qu'un journaliste faisant son boulot –, il n'a pas éprouvé un sentiment de justice.

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Suite à cette condamnation, l'association Reporters sans frontières a demandé l'arrêt de toutes les procédures judiciaires contre Aysha et estimé son arrestation inacceptable. « Il est crucial que les autorités judiciaires libanaises fassent la différence entre un travail d’enquête et une participation à un commerce illicite », ont-ils annoncé dans leur communiqué. Précisons que Rami Aysha dirige le bureau du magazine TIME au Liban et qu'il collabore régulièrement avec des médias étrangers – notamment VICE.

Le 8 décembre, Rami est rentré au Liban. Sa peine de six mois de prison a été réduite à deux semaines. Selon certaines sources citées par le quotidien libanais le Daily Star, Rami Aysha devrait rester libre en raison des semaines d'emprisonnement préventif qu'il a déjà effectué. Il a néanmoins décidé de porter son affaire à la Cour suprême, dans l'espoir d'être déclaré innocent. On l'a contacté pour qu'il nous parle de toute cette affaire.

Rami, dans un moment de détente

VICE : Salut Rami. Comment t’es-tu retrouvé dans ce bourbier ?
Rami : Le 30 août 2012, je faisais un reportage sur le trafic et la vente d'armes au Liban quand je me suis fait capturer par le Hezbollah. Ils m'ont torturé pendant trois heures. La torture a continué après qu'ils m'ont livré aux renseignements libanais. Lesquels ne m'ont pas nourri ni donné à boire pendant 3 jours. Ils ne m’ont pas laissé dormir non plus. Une semaine après mon arrestation, j'ai rencontré le juge militaire responsable du mandat d'arrêt émis contre moi et j'ai passé un mois en prison. Enfin, j'ai été libéré sous caution et été convoqué à plusieurs audiences.

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Qu'est-ce que tu as trouvé, pour que le Hezbollah se voie dans l’obligation de te kidnapper ?
J'ai découvert qu'en raison de la corruption du Hezbollah et de ses énormes stocks d'armes, l'organisation en vend à l'opposition syrienne. Ils n'avaient pas d'autre solution que de me kidnapper pour mettre un frein à mon enquête. J'étais à deux doigts de prouver au monde entier leur corruption, leur pouvoir de nuisance dans la région et leur responsabilité dans les combats en Syrie.

Donc, le Hezbollah combat avec Assad et arme les rebelles. Ça ne les dérange pas ?
Certains commandants veulent tirer de l'argent de leurs énormes stocks d'armes en en vendant une partie. Ce n'est qu'une question de fric. Je voulais montrer dans mon reportage que le Hezbollah ne fait plus partie de la résistance et n'est plus qu'une milice qui porte une grande part de responsabilité dans le chaos régional. Il faut ajouter que la plupart des armes vendues au Liban viennent de ces réserves que j'étais sur le point de visiter et filmer.

Comment s'est passée ta captivité ?
Je me suis fait kidnapper dans la rue, devant témoins, et conduire dans l'une des prisons secrètes du Hezbollah. Ils ont essayé de me faire avouer que j'essayais d'acheter des armes mais j'ai insisté sur le fait que je ne faisais qu'enquêter. Des membres du Hezbollah ont explosé mon appareil photo contre mon crâne ; puis m'ont demandé de quelle main j'écrivais. Quand je leur ai répondu que j'étais gaucher, ils se sont mis à me frapper la main à coups de marteau. Je me suis fait violemment torturer et battre. Mon nez et mes doigts ont été cassés et j'ai des bleus et des plaies sur tout le corps. J'ai saigné pendant trois heures, j’ai hurlé de douleur. Je me suis évanoui à deux reprises au cours de la séance de torture.

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Ils savaient que tu n'étais qu'un journaliste faisant son boulot, pas vrai ?
Ils le savaient car je me suis présenté comme tel et que je leur ai dit que je préparais un reportage. Mais ils n'en avaient rien à foutre. Ils ont continué à me torturer. Ils m'ont même promis à plusieurs reprises qu'ils me feraient arrêter d'écrire jusqu'à la « fin des temps ».

Rami, toujours détendu

Après ça, ils t'ont livré aux autorités libanaises, qui t’ont à leur tour interrogé.
Durant tous mes interrogatoires – que ce soit ceux du Hezbollah ou du Liban –, les agents ont surtout cherché à savoir qui j'avais rencontré et sur quels sujets je travaillais. Les questions portaient surtout sur la nature de mon boulot. Le juge m'a dit que si je réglais mes problèmes avec le Hezbollah, il me libérerait. Cela montre bien à quel point l'organisation contrôle le système judiciaire libanais, et spécialement les tribunaux militaires. Durant mon interrogatoire, j'ai exhorté le juge à creuser l’enquête et à essayer d'arrêter ceux qui m'avaient kidnappé, mais il a refusé.

Penses-tu que les autorités travaillaient pour le Hezbollah, dans ton affaire ?
Bien sûr. Le Hezbollah contrôle l'armée, les services de renseignements et les tribunaux militaires. Ce n'est pas nouveau. Ils ont aussi la capacité de monter n'importe quelle histoire contre quiconque. Tu ne peux pas avoir un procès équitable si ton adversaire est le Hezbollah.

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Des charges ont-elles déjà été prononcées contre les gens impliqués dans la contrebande d'armes ?
Les vendeurs n'ont pas été inquiétés, car ils sont membres du Hezbollah. En revanche, les acheteurs l'ont été.

Donc, bien que tu aies été en mesure de fournir des preuves contre le Hezbollah, rien n'est arrivé aux membres qui t'ont kidnappé ?
Non, rien ne leur est arrivé et personne n'a puni ceux qui m'ont kidnappé et torturé.

Quelles sont les preuves qui ont été présentées contre toi lors de ton procès ?
Je les mets au défi de trouver une seule preuve qui m’incrimine. Je les mets au défi de pousser leur enquête. Ce qui est désolant au Liban, c'est que les criminels deviennent des héros et les victimes des criminels. On m'a condamné pour avoir essayé d'acheter des armes. Cette nuit-là, ma seule arme, c'était mon appareil photo.

Selon toi, qu'est-ce que cela signifie concernant la liberté de la presse au Liban ?
Il n'y a pas de liberté de la presse au Liban. Quant à la liberté d'expression, elle est en train de crever. Le Liban devient une vraie dictature. Dans l'histoire du pays, il n'y a jamais eu pire moment que maintenant pour exercer le métier de journaliste.

Ta peine a quand même été réduite. Tu en penses quoi ?
Pour moi, il n'y a aucune différence entre une condamnation à deux semaines ou à six mois de prison car le fait même d'avoir été jugé coupable menace ma carrière de journaliste. Ma carte de presse m'est indispensable pour que je sois officiellement reconnu comme journaliste – notamment en raison de la nature très sensible des sujets que je traite. Aujourd'hui, je porte mon affaire devant la Cour suprême car je pense avoir été condamné pour des raisons politiques. J'espère être déclaré innocent. Je me battrai pour la justice et pour clamer mon innocence jusqu'au bout.

Merci Rami, bon courage.

Suivez Rami sur Twitter : @ramiaysha

Suivez Oz sur Twitter : @OzKaterji