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72 Hour Party People : l'histoire du gang qui a organisé les meilleures raves d'Angleterre

Les années 1990 des « ennemis publics » de la Grande-Bretagne.

Une des premières photos de presse du collectif DiY (Toutes les images sont publiées avec l'aimable autorisation de DiY)

En juin 1990, le collectif DiY, originaire de Nottingham, a pris la direction du festival alternatif de Glastonbury – qui se déroulait en parallèle du « vrai » festival – avec une table de mixage, quelques disques et aucune idée de la façon dont allaient se dérouler ces trois jours de musique ininterrompue. Les vieux habitués – qui tournaient au speed, à l’acide et à Hawkind – ont contemplé avec étonnement ces petits jeunes qui prenaient pilule sur pilule tout en écoutant de la house.

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Malgré tout, une synergie est née au fil des heures, tandis que Happy Mondays et Bill Drummond de KLF se ramenaient directement du Glastonbury officiel pour profiter de la fête. On a même fini par retrouver Bez en train de danser dans un champ au lever du soleil, simplement vêtu de bottes jaunes en caoutchouc.

25 ans après sa naissance, l’anniversaire du collectif DiY sera célébré de la manière la plus classique qui soit : les déclarations seront positives et consensuelles. Le membre fondateur du collectif, Harry, nous résume la mentalité de ce petit groupe de potes : « Notre but était d’importer la musique des clubs dans les champs et de ramener la mentalité des champs dans les clubs. Nous étions très rigoureux en ce qui concerne les free parties. Il n’y avait aucune heure de début ou de fin, aucune clôture, aucun service d’ordre. Simplement le bonheur de danser dans des champs. »

Créé pour s’opposer à une société de consommation ostentatoire et futile composée de clubbers exigeant et vaniteux, ce collectif s’est transformé en une aventure aussi bien musicale qu’intellectuelle et sociale. Il n’y avait aucun manifeste écrit ni plan longuement mûri : seul importait le plaisir de l’instant.

Une playlist sélectionnée par Digs, un des fondateurs de DiY

Une contre-culture apparait toujours en réponse à une culture dominante, et l’ennemi de ces ravers était évidemment Margaret Thatcher. Il est ironique de voir que Maggie et le collectif DiY — à la dimension anarchique évidente — dénonçaient le poids d’un État devenu omniprésent. Sauf qu’au lieu de prétendre que « la société n’existe pas » (ou n’importe quel slogan Goeland), le DiY mettait en place de nouvelles formes de relations sociales et communautaires. Alors que le thatchérisme s’appliquait à diviser et à atomiser la société afin que les individus se transforment en travailleurs dociles et en consommateurs acharnés, le collectif DiY incitait les gens à établir des relations amicales favorisées par la prise répétée d’ecstasy.

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Harry nous explique les racines idéologiques de la pensée du DiY en quelques mots : « Au même titre que les dadaïstes et les situationnistes, nous considérions que la politique ne pouvait plus répondre aux problèmes de la société. Nous défendions une idéologique de la libération personnelle à travers le bonheur et le plaisir. Nous la défendons toujours d’ailleurs. »

Les membres fondateurs du collectif que sont Harry, Simon DK, Jack, Emma, Digs et Woosh se sont rencontrés à Nottingham durant les années 1980, devenant amis au fil des rencontres sur le dancefloor du Garage, un club de la ville qui passait les meilleurs morceaux house de l’époque. À partir de novembre 1989, et après avoir emprunté un peu d’argent pour acheter le matériel nécessaire, ils se sont mis à organiser leurs propres soirées dans des appartements, puis dans des grands hangars de banlieue – dans lesquels ils rentraient systématiquement par effraction. La rencontre entre le DiY et les organisateurs du Free Glastonbury sera le tournant d’une aventure unique entre des types qui partageaient une passion commune pour la musique, loin de toutes les institutions qui s’arrogeaient le droit de régner sur le monde de la nuit.

(De gauche à droite) Simon DK, Damien O’Grady et Cookie

La symbiose était totale, mais le collectif DiY a tout de même été déçu par la direction que prenait le milieu des rave parties et de l’acid house. C’est en réponse à cette dérive qu’ils ont pris une décision radicale : ils se sont mis en tête d’être l’antithèse de toutes ces soirées excessivement chères gérées par des anarcho-capitalistes, pendant que le DiY organisait des fêtes gratuites à quelques pas de là.

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Au cours des trois années qui ont suivi, le DiY s’est mis en tête de propager l’esprit de Nottingham aux quatre coins de l’Angleterre. « Les premières années du DiY étaient comparables à la vie d’un Robin des Bois contemporain : on ignorait la loi, on se battait contre les flics, on dansait n’importe où et on disparaissait lorsque le soleil se levait », raconte Harry.

La police britannique a alors créé une unité dédiée à la lutte contre le milieu des raves. Jack se souvient : « Les flics voulaient avoir leur gueule en une du Sun et ne comprenaient pas du tout pourquoi des gens se rendaient à nos soirées. »

Harry lors d’une manifestation contre le Criminal Justice and Public Order Act de 1994

Le point culminant du mouvement rave a été atteint en 1992 lors du Castlemorton Common Festival — « le Woodstock de notre génération » selon les dires de Digs — qui a accueilli près de 30 000 fêtards aux grand dam des pouvoirs publics. Ces derniers se sont empressés de mettre en place une nouvelle législation anti-rave parties : le Criminal Justice and Public Order Act (CJA), adopté en 1994. Digs et Woosh s’étaient ramenés directement de Liverpool pour assister au Castelmorton et, en arrivant sur place, ils ont découvert « un bordel absolu, comme dans une scène de Mad Max, selon Woosh. Même si les smartphones n’existaient pas, les gens s’étaient passés le mot. »

Après trois jours de musique non-stop, le collectif s’est retiré à Nottingham le temps que les choses se tassent un peu. Malgré tout, la répression du gouvernement a entraîné une vague de sympathie en faveur du milieu des raves, ce qui a abouti à une levée de fonds de 30 000 livres pour lutter contre le CJA.

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Digs en train de mixer

En 1997, DiY a organisé un mix inopiné en face du célèbre club Haçienda à Manchester, pendant que son patron Tony Wilson — qui a également fondé Factory Records — organisait une célèbre conférence sur le devenir de l’industrie musicale britannique. Cela leur a valu d’être considérés comme « les individus les plus culturellement dangereux de tout le Royaume-Uni. » En fait, ils représentaient un danger pour une industrie qui n’était pas prête à accepter que des types aussi doués rejettent avec force l’appât du gain.

« De nombreux propriétaires de clubs, des promoteurs et des directeurs de labels n’ont jamais compris pourquoi nous ne voulions pas gagner d’argent grâce à notre musique », se souvient Harry. « Si vous ne comprenez pas ça, eh bien tant pis pour vous. Des centaines de milliers de personnes ont compris notre philosophie et sont venues nous voir. Mixer dans un club est un truc génial, mais rien n’a jamais pu remplacer le plaisir de participer à une rave en plein air, avec rien d’autre que des étoiles au-dessus de nos têtes. »

(De gauche à droite) Digs, Harry, Woosh et Simon DK aujourd’hui

Pete Woosh rappelle que l’influence du DiY ne s’est pas cantonnée au milieu des rave parties : « Nous voulions faire de la bonne musique, rendre les gens heureux et être différents. » Le collectif est à l’origine de plus de 100 vinyles, albums et compilations, et a influencé Charles Webster ou Atjazz.

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Avec une certaine ironie, leur petite entreprise profitait d’un système mis en place par Thatcher afin d’inciter les jeunes à devenir entrepreneurs : « Notre label a été en activité pendant 10 ans, a employé des gens et a été un succès — sauf au niveau financier, bien sûr! »

Le label a fini par disparaître à cause de ses soucis financiers, mais Woosh reste philosophe à ce sujet : « DiY était un gros bordel dès le départ. Vous pouvez tuer un label mais vous ne viendrez jamais à bout d’une idée et d’un état d’esprit. »

Des invités en route vers une free party à Scoraig en Écosse

Cet état d’esprit perpétuait une utopie ancrée dans l’esprit des Britanniques : celle d’une culture gratuite et libre de tout contrôle. Il fallait « bouleverser la vie quotidienne » pour reprendre une expression tirée du Rapport sur la construction des situations, manifeste du situationnisme rédigé par Guy Debord. Aujourd’hui, le culture des clubs semble surtout marquée du sceau de la Société du spectacle :  les dancefloors accueillent des jeunes aux égos surdimensionnés qui s’empressent de partager leurs expériences sur les réseaux sociaux afin de cacher la vacuité de leur existence.

Alors que le label a disparu au début des années 2000 et que le DiY a connu son lot de moments difficiles, le crew réapparait avec régularité derrière des platines et se prépare à fêter son 25ème anniversaire.

Harry se souvient: « On ne voulait pas devenir un nom, une marque. On voulait offrir aux gens les meilleures soirées de l’histoire. On se plait à penser qu’on a presque réussi. »

@reverse_sweeper