Photographier les autels du crime d'Oakland

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Photographier les autels du crime d'Oakland

Brandon Tauszik témoigne des mémoriaux temporaires d'une des villes les plus violentes des États-Unis.

La série White Wax du photographe d'Oakland, Brandon Tauszik, témoigne des « autels du crime » – des mémoriaux temporaires érigés en hommage aux victimes de la violence de rue. À travers ce projet, il est parvenu à pérenniser dans les mémoires un segment de la population dont la mort est souvent ignorée.

VICE : Les autels sont-ils situés à l'exact emplacement des assassinats ?
Brandon Tauszik : Oui.

Comment les trouvez-vous ?
Je fouille Twitter chaque jour. Il y a quelques hashtags sur lesquels je m'appuie, comme #oakland187. Puis, je recherche d'une façon plus large, avec des mots clés type « Homicide Oakland », « tuerie Oakland », « meurtre Oakland ». Et généralement, les médias locaux se fendent d'un tweet à chaque nouveau meurtre. Parfois – rarement – ce n'est pas le cas. Je fais beaucoup de promenades nocturnes. Je vis à l'ouest d'Oakland et parfois je croise un autel par hasard, et je me renseigne sur l'affaire en me fondant sur l'adresse. C'est tellement banal. Ça peut arriver plusieurs fois par semaine. Et Oakland n'est pas une si grande ville que ça. Elle compte seulement 400 000 habitants. New York, en comparaison, compte 8 millions d'habitants.

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Vous croisez parfois la famille ou les amis du mort, près de l'autel ?
Oui, c'est toujours les amis et la famille qui les installent. J'essaie aussi de capter ces installations, mais c'est quelque chose qui demande beaucoup de temps. En outre, je ne shoote que de nuit pour avoir la même esthétique. Je dirais que dans un cas sur vingt, j'interagis avec la famille et les amis en train d'installer l'autel.

Ça ne les dérange pas que vous preniez des photos de leur autel ? Vous n'avez jamais eu de problème ?
Eh bien, souvent, je me fais peur. J'erre dans beaucoup de quartiers où vous ne voudriez pas mettre les pieds, la nuit, avec un appareil photo. Mais je n'ai eu que des expériences positives dans mes interactions avec les amis et la famille. Souvent, ils me disent : « S'il vous plaît, prenez une photo, c'était un bon gamin, il s'est fait tuer pour des broutilles, c'est tellement triste de l'avoir perdu à tout jamais. » Mais ils se laissent approcher sans peine, généralement.

C'est plutôt gentil de leur part.
J'en ai fait figurer quelques-uns dans mes photos. J'ai conservé ces clichés, parce que ça fait partie intégrante de mon projet. Ça fait partie intégrante du processus, du processus de deuil des habitants d'Oakland.

Comment s'érige un autel ?
Généralement, ça se passe une ou deux nuits après le meurtre. Ça s'organise très naturellement, du genre « hé, on y va demain, ou après-demain ». Ça peut aller de cinq à une trentaine de personnes. Dans les photos, vous pouvez voir qu'il y a énormément de notes, de bougies, de messages, de bouteilles d'alcool. Les bougies sont fondamentales, pour ériger un autel. Il y a une expression d'Oakland qui dit « Brille en paix » plutôt que « Repose en paix ». Et puis, aussi, c'est une forme de fête. Vous seriez surpris de constater à quel point l'atmosphère est joviale. Vous pouvez voir dans les clichés toutes les bouteilles d'alcool et les canettes de bière. C'est une dernière fête pour le mort. Ça fait partie du processus de deuil. On écoute de la musique, on se raconte des histoires, des souvenirs. C'est un dernier baroud d'honneur.

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