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À quoi bon devenir travelo quand on peut être un tranimal ?

Un mouvement avec des hommes-filles et des monstres en talons
Jamie Clifton
London, GB

Se foutre une paire de collants et une perruque pour aller se bourrer la gueule déguisé en femme, c'était bien il y a 100 ans, avant que ça devienne tout pourri. De nos jours et partout dans le monde, les amateurs de fête – semblables à ces bros anglais – chargés à la bière goût urine s'essaient à toute sorte de divagations vestimentaires pour parader dans les rues en arborant des ailes d'anges en plastique achetées pour un euro à Babou. Avouez-le : ouais, c'est drôle de mater La cages aux folles entre deux joints de mauvais shit et ouais, il n'y a rien de plus déconneur qu'un joueur de rugby sapé en meuf.
Mais si dans un effort « arty », vous préféreriez avoir une approche plus fouillée du travestissement – et je sais que c'est ce que vous souhaitez – vous pouvez toujours songer à devenir un tranimal. Le mouvement tranimal est né dans le San Francisco de la fin des années 1990 par un groupe de drag-queens et de club kids pour contrer la tenue traditionnelle chiante de la scène transformiste, à savoir : de grosses perruques, de gros seins et de grosses bottes. Ils ont donc décidé d'emprunter une voie un peu différente et de se transformer en rejetons de Josef Mengele, Pamela Rooke, et Tchernobyl.
L'artiste et musicienne Jer Ber Jones est celle qui a donné son nom au mouvement tranimal ; je suis allé la voir pour lui poser quelques questions.

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VICE : D'où vient la scène tranimal, en fait ?
Jer Ber Jones : La plupart des travestis de notre scène se reconnaissaient plus dans un nouveau type de drag queen : le « théâtral ». Ils étaient les héritiers des noms que tout le monde cite aujourd'hui : John Waters, Boy George, Cindy Sherman et Grace Jones. Ils préféraient s'identifier à ce genre de figure plutôt qu'à des drag queens traditionnelles ou simplement à des gens qui essayaient de se faire passer pour des femmes. Il étaient plus intéressés par le fait de créer des vrais personnages en perpétuel mouvement, au lieu de simplement se déguiser en fille pour la nuit.

Comment ça, plus « dynamiques » ?
Ils se retrouvaient tout le temps aux soirées « Ugly Night » – des soirées que j'organisais chaque année –, un énorme rassemblement d'alcooliques, de cokeheads et de stoners où les looks drag étaient toujours parfaits. Il y avait tous les trucs traditionnels : des perruques, du latex, des liquides qui suintaient de faux orifices. Mais les gens se déguisaient aussi en « moches normaux » – style Scary Spice, Oprah ou Barbara Streisand qui se baladait toujours avec un bras en moins. Les gens qui venaient déguisés en « normaux » étaient géniaux. Il se pointaient sapés en mère de famille middle-class ou en pervers avec un costard couvert de sperme. Les gens avec leurs tatouages et leurs piercings retiraient tous leurs artifices, enfilaient une combinaison et du maquillage couleur peau pour essayer d'avoir l'air « normal » – cette idée est elle-même très tranimal.    En quoi c'est très « tranimal » ? Quelle est la frontière entre un travesti normal et un tranimal ?
Depuis qu'on s'est mis à tenir des ateliers tranimal dans différents musées – comme à Berkeley et au LA Hammer Museum – plusieurs prototypes de look tranimal se sont développés. Mais de manière générale, il y a énormément de possibilités qui s'offrent quand on cherche à prendre une apparence tranimal. Les composantes typiques du look tranimal sont venues de moi-même, de Squeaky Blonde, Mathu Andersen et du photographe Austin Young.

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Quelles sont les personnalités qui ont apporté leurs contributions au mouvement tranimal ?
J'ai personnellement apporté les costumes en papier et ce style de maquillage épuré, cru, inspiré des costumes de la danse Buto. Squeaky, de son côté, a ajouté la touche sataniste, gothique, déchiqueté, ce truc de serial-killer défoncé aux amphèts. Austin a intégré tous ces éléments pour aboutir à un logo pour le mouvement ; il a aussi commencé à faire des recherches dessus et à nous trouver des événements dans les musées. Ouais. Mathu, ce ne serait pas l'un des tous premiers club kids ?
Oui, son ex-copain – Zaldy – et lui étaient des figures de proue de la scène à l'époque où ils traînaient au Limelight, dans les années 1990. Ce sont les premiers club kids. C'est aussi lui qui se cache derrière les premiers costumes portés par RuPaul ; il lui fait encore son maquillage aujourd'hui. Il a beaucoup collaboré à nos shoots photo et il était maquilleur sur notre atelier au Hammer quand on a transformé une centaine de visiteurs du musée en tranimals.

Cool. Les club kids ont eu une grosse influence sur le look tranimal, non ? Leur travail est ce qui se rapproche le plus du vôtre.
Oui, nous somme tous de grands admirateurs de Boy George et de Leigh Bowery. On peut voir Leigh Bowery comme le grand-père – ou la grand-mère – du mouvement tranimal. Je ne sais pas si la performeuse Kembra Pfahler était une club kid – je crois qu'elle l'était – mais elle a parfaitement résumé notre esthétique en utilisant le terme « availabilism » qui se définit, pour faire court, par une utilisation minimale d'éléments achetés pour privilégier la récupération de tout ce qui nous tombe sous la main. En fait, je déteste tout ce qui touche de prêt ou de loin aux marques et aux modes. Si je tombais par hasard sur un kit de maquillage ou un sac à dos estampillé « tranimal » je crois que gerberais – et j'attaquerais en justice les types en question pour récupérer des royalties. OK. Donc tout est homemade ou certains créateurs, certaines marques s'accordent bien « de fait » avec le look tranimal ?
Les meilleurs créations sont toujours faites maison. Par ailleurs, il n'y a aucune règle spécifiant qu'on ait seulement le droit de porter des créations personnelles. C'est un peu comme quand vous meublez votre appartement – si vous achetez tout chez Ikea, ça serait dégueulasse. Mais bien sûr, il y a plusieurs créateurs qui se détachent nettement du lot et qui ont été une source d’inspiration importante pour nous. Vous voyez quoi, les noms habituels : Viktor & Rolf, Vivienne Westwood, Pat Fields, Zaldy – ces gens-là.

OK. Je ne crois pas que les gens viennent aux soirées tranimal en uniforme, mais est-ce qu'ils y a des éléments qui reviennent souvent dans les looks ?
Oui, les collants détendus et déchirés portés sur le visage sont probablement l'élément clé de l'apparence tranimal. Je n'ai jamais vraiment aimé ça, mais si on prend en compte le fait que nous les queens soyons toutes des mecs plutôt costauds et virils, c'est plutôt pratique quand on a envie d'être clean sans se raser de prêt. Ça marche particulièrement bien pour les mecs, qui sinon devraient s'enlever 36 couches de fond de teint pour redevenir des mecs et aller tirer leur coup. Il existe des tranimals fétichistes ?  
On peut pas dire que les tranimals aient une vie sexuelle chiante, mais je ne pense pas qu'on puisse réussir facilement à se taper quelqu'un en se servant du look tranimal. Mais on est quand même dans une époque où les annonces du type « jeune mec recherche couguar » fleurissent partout, donc bon, sait-on jamais.

Revenons aux fringues. Tu peux m'expliquer un truc ; est-ce que le but c'est de ressembler à un animal ou d'avoir l'air taré ?
Ouais, tout ce côté animal vient de cette volonté d'avoir l'air « théâtral ». J'ai trouvé qu'ils avaient vraiment l'air d'animaux sauvages, au milieu de toutes ces copies ratées de RuPaul. Je pourrais te laisser t'enlaidir volontairement et apprécier toute la laideur de la culture mainstream genre, les luthériens extrémistes, Shrek, les Ugg Boots et tous ces trucs à la Martha Stewart. C'est hideux et banal, mais c'est aussi beau et complètement fascinant. Vous allez faire quoi quand le tranimal deviendra un élément commun de la culture mainstream ?
Ah, ah, c'est marrant que vous disiez ça parce que j'ai vu que le California Academy of Science – un énorme musée, aquarium et planétarium qui coûte des millions de dollars – a organisé des soirées sur le thème tranimal. Ils ont payé des drag queens qui se sont pointées avec un look à la Pierrafeu ; elles portaient des robes avec des imprimés zèbre ou panthère, des os dans les cheveux, du rouge à lèvres à paillettes, des collants sur le visage et des talons similaires à ceux que portaient les club kids. Je me suis bien marrée, ça a été ma seule réaction.