L’art de mettre l’héroïne en sachet, par Graham MacIndoe

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L’art de mettre l’héroïne en sachet, par Graham MacIndoe

Un photographe a collectionné des pochons récupérés dans les rues de New York pour en faire un livre.

Lorsque le photographe Graham MacIndoe a retrouvé un lot de trente pochons d'héroïne dans ses archives, il a tout naturellement flippé. Toxicomane depuis des années, il a voulu s'en débarrasser. Mais il s'est finalement résolu à les recycler dans une de ses œuvres et a pris le risque de les ramener à son studio. Il aurait pu être accusé d'être en possession de matériel illicite – et la dernière fois qu'il a eu affaire avec la police, Graham a passé quatre mois dans la prison de Rikers Island. Il s'y est désintoxiqué, et n'a jamais replongé depuis.

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Plus tard, Graham MacIndoe est tombé sur un autre tas de pochettes en glassine cachées entre deux pages d'un livre. Il les a finalement ramenées dans son studio new-yorkais. « Des souvenirs me sont revenus : qui vendait quoi, les points de vente que je fréquentais, les dealers et les toxicos que je côtoyais. Je me suis demandé si, depuis le temps, certains dealers étaient en prison, si des drogués que je connaissais étaient morts. C'était comme si on m'avait jeté à la gueule cette période de ma vie où pour survivre, je devais avoir les tripes bien accrochées , » m'a expliqué Graham. Dans son livre ​All in : Buying into the Drug Trade, il présente une compilation des pochons qu'il a conservés lors de ses années d'addiction.

Je l'ai contacté par téléphone alors qu'il était chez ses parents, en Écosse. La National Portrait Gallery venait de l'inviter à une réunion, il s'apprêtait à se rendre à Londres pour un shooting, et la Parsons New School for Design lui avait demandé de donner des cours à Paris. Bref, sa réputation n'est plus à faire, mais il est le premier à admettre que ce ne fut pas toujours le cas.

Lorsqu'il était héroïnomane, Graham a coupé les ponts avec sa famille et ses amis. Ses proches le croyaient mort ou disparu. « L'addiction exige bien plus de temps qu'un job à temps plein. L'héroïne ne me laissait pas une heure de répit. Jour et nuit, la drogue m'obsédait », m'a-t-il confié. Malgré son héroïnomanie, il a toujours su conserver une certaine conception de son travail artistique. Il a récemment publié des auto-portraits qui retracent son errance toxicomaniaque.

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« En un sens, ma créativité s'est nourrie de mon addiction et mon addiction s'est nourrie de ma créativité, analyse Graham. Le lien entre passion et obsession est particulièrement ténu. J'ai toujours été fasciné par l'art, la musique et la photographie. Mais l'héroïne a fini par l'emporter. » C'est à ce moment-là que Graham s'est mis à collectionner ses pochons.

« Je n'avais aucune idée de ce que j'allais en faire. Mais j'étais fasciné par les logos, la typographie et les références populaires de ce marketing de rue. Je souhaitais vraiment les conserver afin d'offrir un témoignage visuel de cette époque, sans même savoir si j'arriverais un jour à me débarrasser de mon addiction. »

Les dealers ont vite compris que pour pour mieux vendre l'héroïne, le marketing est essentiel. Comme certains souhaitent boire le meilleur café au monde ou avoir le smartphone le plus performant du marché, les toxicomanes sont en quête perpétuelle de l'héroïne la plus pure. « Certains n'hésitaient pas à parcourir des kilomètres supplémentaires, m'a précisé Graham. Ils pouvaient marcher très longtemps pour se procurer un produit d'excellence.

Des marques comme Ray ou Execute ne vous décevaient jamais. On se démenait pour pouvoir en choper. Un seul pochon nous durait jusqu'à douze heures. Si tu achetais de la merde qui avait été trop coupée, tu devais en racheter toutes les quatre heures. En général, un bon produit te dure plus longtemps, donc tu dépenses moins d'argent et tu risques moins de te faire arrêter par la police. »

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Pendant des années, Graham a déambulé dans New York à la recherche d'héroïne. Il se rendait chez ses dealers ou dans des points de vente du Bronx, de Brooklyn, du Queens, et dans différents quartiers de Manhattan, pour être sûr de dégoter la meilleure qualité.

Il s'est très vite rendu compte que le business de la drogue n'était avant tout qu'une histoire de profit et de cupidité. « Même lorsqu'un nouveau produit de très bonne qualité débarquait sur le marché, très vite, les dealers le coupaient. Plus le temps passe, plus le produit subit de nombreuses transformations et plus la qualité devient médiocre, m'a raconté Graham. Quand tu tombais sur un nouveau vendeur, il allait t'expliquer que tu n'avais jamais goûté un tel produit. Et il te précisait de quelle marque il s'agissait : des noms du genre Wake Up, ou Money ou Highlife… Mais ce n'était que le produit habituel, qui avait simplement été reconditionné. »

Les marques d'héroïne qui sont exposées dans ce livre ne retracent que l'histoire du deal new-yorkais. Les appellations diffèrent selon la côte Est ou la côte Ouest des États-Unis. Ces pochons n'illustrent qu'une époque, qui pourrait bientôt être révolue. Graham a récemment appris que la DEA recherchait et classait les marques d'héroïne. L'objectif serait de créer une base de données de ce qui est vendu dans la rue afin que leurs opérations puissent se concentrer sur un type de drogue spécifique à un quartier ou à une zone de New-York.

« L'héroïne m'a détruit. Mais j'ai décidé de recycler ces souvenirs pour en faire de l'art, se justifie Graham. J'espère que ce livre pourra témoigner de cette culture et de ce qui se passait dans les rues de New-York à cette époque. »