Avec les skateurs de Mile End

FYI.

This story is over 5 years old.

Photo

Avec les skateurs de Mile End

La scène skate de l'est de Londres, en portraits.

Avant de m'installer à Londres, j'allais souvent voir ma meilleure amie qui vivait dans un immeuble de Mile End. Le plus souvent, on se bourrait copieusement la gueule et on passait les deux jours suivants au lit avec une gueule de bois. Un soir, en allant à son supermarché de quartier juste avant la fermeture, on est passé devant le skatepark de Mile End. Je me rappelle avoir été impressionné, comme tous les jeunes non-londoniens, après avoir reconnu l'endroit comme le lieu de tournage d'un clip de Rizzle Kicks.

Publicité

Aujourd'hui, j'habite dans le sud de Londres, et je suis un brin moins impressionnable et naïf. En revanche, il existe encore quelques trucs qui me rappellent ces journées passées sur le canapé de ma pote : les nuits brumeuses, le vin chaud, ou le passage du Seigneur des Anneaux où Gollum emmène Frodon dans le repère d'Arachne.

Plus récemment, j'ai repensé à cette époque en matant les photos de Pani Paul – un photographe australien qui a commencé à prendre des clichés du skatepark de Mile End en 2012. Quelque chose dans la composition de la série m'est étrangement familier ; comme si je me considérais vraiment comme un de ces ados skateurs, plutôt qu'un simple observateur. Je suis allé rendre visite à Pani juste avant son exposition à l'Independent Photography Festival pour lui parler de ce qui l'a inspiré et m'excuser de la référence à Rizzle Kicks ci-dessus.

VICE : Qu'est-ce qui t'a amené au skatepark de Mile End ?
Pani Paul : C'est le premier skatepark où je suis allé quand je suis arrivé à Londres, en 2009. J'avais un peu laissé le skate de côté et je ne connaissais aucun skateur à Londres, donc je me suis senti un peu seul. Je suis retourné seulement quelques années plus tard, après avoir rencontré des gens qui m'ont donné envie de m'y remettre. J'ai toujours été fan des photographes qui documentaient les contre-cultures et ce que je voyais comme des thèmes et endroits « difficiles d'accès ». J'ai mis du temps à me rendre compte que Mile End était un sujet dans la même veine, digne d'intérêt, alors je me suis dit que j'allais documenter tout ça.

Publicité

Combien de temps as-tu passé sur la série ?
La série Mile End a été prise sur une période de trois ans, entre 2012 et 2015. C'est seulement l'année dernière que Lola Paprocka m'a encouragé à en faire un bouquin. Il a été publié par Palm, édité par Lola et illustré par Michael Bartz.

Comment le projet a-t-il évolué au fil du temps ?
Le projet a fluctué selon ma motivation et mon humeur au cours de ces trois dernières années. Parfois, je détestais ce que j'étais en train de faire, puis je regagnais confiance. Ce n'était pas quelque chose que je pouvais faire rapidement ; ça devait être fait sur une longue période. Au bout d 'un moment, il a fallu que je décrète que le projet était terminé, même si c'est toujours difficile. Je pense que je vais quand même continuer à prendre des photos là-bas.

Pourquoi as-tu privilégié les portraits dans cette série ?
J'ai choisi ce style parce que je voulais éviter les clichés. J'ai l'impression que photographier des gamins avec des skateboards, ça a déjà été fait des millions de fois. Maintenant que le skate est de nouveau à la mode, les grosses compagnies essayent de s'emparer du phénomène en associant leur marque avec la « culture jeune et branchée ». C'est un écueil que je voulais éviter. Je voulais représenter ces gamins de manière propre et honnête ; mon projet ne portait pas sur le skate, mais sur ces jeunes. C'est pour ça qu'il n'y a pas de skateboards sur les photos. C'était important pour moi.

Publicité

Tu considères ton travail comme journalistique ou biographique ?
Je dirais que c'est plutôt journalistique. Mais j'ai comme l'impression de dépeindre des facettes de ma jeunesse en photographiant ces adolescents. Donc j'imagine qu'il y a aussi des éléments biographiques.

As-tu senti que tu avais une obligation par rapport à ton sujet ou au park ?
Plus j'ai passé de temps à Mile End, plus j'ai appris à connaître les gens qui fréquentaient le skatepark et d'où ils venaient. En règle générale, le skate a toujours été une discipline d'outsider, laquelle rameute souvent des gens de classes défavorisées. En tant que jeune, c'est facile de se sentir aliéné ou rejeté par la société. Ce projet était un moyen pour moi de rendre hommage à ces personnes qui ont su rester elles-mêmes. Je voulais créer une vision d'ensemble qui célébrait ces gens en les représentant tels qu'ils sont ; avec un peu de chance, ça pourrait leur donner suffisamment confiance pour qu'ils puissent se montrer créatifs et s'orienter vers des choses qui les attirent. On dit souvent qu'il faut faire les choses d'une certaine façon si on veut réussir, mais au final, c'est impossible de réussir si tu n'es pas heureux, peu importe la richesse. (Ceci dit, j'ai peut-être tort puisque je ne sais pas ce que c'est que d'être riche comme Crésus !)

Comment as-tu gagné la confiance de tes sujets ?
Ce n'était pas facile ! Au début, ils refusaient que je les prenne en photo ; mais après s'être habitués à ma présence, ils ont commencé à me faire confiance. Je comprenais qu'un gamin me dise non quand je lui demandais si je pouvais le prendre en photo. Après quelque mois, j'ai demandé une nouvelle fois et l'un d'entre eux a accepté. Une fois que quelques-uns ont dit oui et que je leur ai expliqué ce que je faisais, ils ont tous accepté que je les prenne en photo.

Publicité

Tu as un sujetde prédilection sur lequel travailler ?
Pas vraiment, ça change assez souvent. Je travaille sur un sujet à la fois, parfois je ne fais rien. Je ne suis pas le genre de type qui emmène son appareil partout et prend des photos en permanence.

As-tu des souvenirs précis ou un ressenti sur tes années au skatepark ?
Oui : j'étais là-bas un jour où un couple de jeunes mariés faisait faire sa photo de mariage. Je n'avais jamais vu ça avant et je me suis dit : « Oh mon Dieu ! Une photo de mariage dans un skatepark, ça doit être la chose la plus ringarde au monde. » Ils étaient tous sur leur 31 à poser devant un mur couvert de tags. Naturellement, tout le monde avait les yeux rivés sur eux, à moitié amusés et prenant des photos sur leurs téléphones. Soudainement, un mec en jogging avec une cagoule a déboulé dans le park sur une Yamaha, s'est arrêté près du marié, lui a fait un fist bump et lui a dit : « Félicitations frère ». Je n'ai jamais vu de telle chose ailleurs.

Tu penses qu'il y a une touche de nostalgie dans la série, sur la culture skate en général ?
Je n'ai pas l'impression que ça soit de la nostalgie – c'est un peu tôt pour me prononcer. Dans dix ans, j'espère que les gens qui y ont pris part pourront regarder la série et être content. Je n'ai jamais voulu faire en sorte qu'on puisse reconnaître une époque particulière. Le style dans le monde du skate change tout le temps et les gens s'inspirent constamment du passé ; j'imagine que c'est là que se réside la nostalgie inhérente au skateboard.

Publicité

Tu penses qu'il y a quelque chose de pertinent dans la comparaison entre, disons, l'évolution de la culture skate en Angleterre et en Australie ?
Je ne peux pas parler au nom des Anglais, mais je suis sûr que ça a changé. J'ai grandi sur la côte Est en Australie et je pense que le skate là-bas a été influencé par la Californie – le climat et les paysages sont semblables. Je m'inspirais beaucoup des vidéos de skate sur lesquelles je pouvais mettre la main (les cassettes des potes de mon grand frère). Je customisais aussi les fringues que ma mère me rapportait des friperies pour qu'ils ressemblent à ce que je voyais dans ces vidéos. Aujourd'hui, avec Internet, tout le monde a accès à tous les styles possibles. La marchandise de marque est disponible partout dans le monde, ce qui est génial pour la communauté des skateurs – mais ça nuit aussi à l'individualité. Tu peux vivre dans une petite ville isolée et voir des gamins habillés comme s'ils venaient du New York des années 1990. Je doute que cela ait été possible il y a 20 ans.

Merci, Pani.