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Tribune

Voici ce qu’il se passe lorsqu’on décide d’avorter en France

Mon expérience de l'IVG et du soulagement qu'elle m'a apporté, en détail et commentée.

Pour la première fois depuis un peu plus d'un mois, je me suis réveillée tôt ce matin, sans être fatiguée. Un kiwi seul a suffi à me sustenter au petit-déjeuner. Pour la première fois depuis un peu plus d'un mois, je suis en forme. Je n'ai pas envie de vomir et je me sens soulagée. Je viens de passer six semaines d'aménorrhées avec un squatter dans mon utérus, que d'aucuns appellent embryon, mais eu égard aux effets secondaires qu'il a fait naître en moi, je préférerais le qualifier d'hybride entre un ver solitaire et une mouche tsé-tsé.

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Il y a quelques semaines, j'ai été prise d'un doute tandis que je réalisais que j'avais « un peu de retard » sur mes menstruations. Faible le doute, néanmoins. Je prends des contraceptifs depuis plus de quinze ans et je ne suis jamais tombée enceinte. J'ai donc acheté le test de grossesse le plus cheap du marché, juste histoire de vérifier. Celui-ci s'est révélé positif. Bordel. Qu'est-ce qui a bien pu foirer ?

Tout d'abord, que l'on ne me traite jamais de fille de pute, mais plutôt de fille de salope – car c'est une vérité. Ma mère était l'une de ces 343 Salopes qui, en 1971, ont signé un manifeste pour faire avancer la loi sur l'avortement. Pour que jamais l'aiguille à tricoter ne traverse mon utérus. Cependant, comme la loi Neuwirth autorisant la contraception est passée historiquement avant la loi Veil, je m'étais toujours dit que jamais je ne connaîtrais l'IVG, que jamais je serais l'une des quelque 215 000 Françaises qui chaque année, décident d'interrompre volontairement leur grossesse ; parce que, de fait, je saurais me protéger d'une éventuelle grossesse grâce à la pilule.

Élevée dans une famille plutôt libérée et intelligente sur le sujet, je me disais que je n'aurais jamais à courir les plannings familiaux en loucedé afin d'obtenir une prescription de pilule contraceptive. Et puis à écouter ma mère, l'avortement a toujours été « une boucherie ». Jamais un acte anodin. Alors si je pouvais l'éviter, eh bien, tant mieux.

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À six ans, je pensais qu'à 23 je serais mariée et mère de famille. Et plus le temps avançait, plus la jeunesse était agréable, plus j'ai reculé cette échéance de normalité sociale. À l'âge de 15 ans, c'était à 30 ans que je voyais toutes ces cases cochées. J'ai vécu une adolescence un peu difficile à base d'insolence, de comportements déviants – mais j'ai toujours été très bonne élève. J'avais beau fumer plusieurs joints par jour, j'étais toujours première de la classe. Mais collée au fond de la salle, à répondre aux professeurs. J'obtenais donc des bulletins scolaires aussi bipolaires que je l'étais : des notes excellentes et des remarques exécrables.

Je pense que j'ai grandi dans un univers idéal. Je veux dire, que ce soit chez moi ou dans le cadre scolaire, on m'a toujours donné les bonnes clefs. Je n'ai jamais imaginé la sexualité d'un adulte, mais c'était quelque chose que je savais exister, quelque chose de normal et quelque chose de plaisant, et c'est selon ces modalités que ma sexualité s'est naturellement développée. Ni mijaurée, ni déchaînée.

J'ai également fait partie de cette génération où les cours de prévention aux diverses MST étaient récurrents chaque année scolaire. Chacun(e) connaît ce climax de la honte lorsque l'intervenante, devant une assemblée d'adolescents aussi boutonneux et hilares que vous, vous demande d'appliquer un préservatif sur ce qu'elle appelait le « manège enchanté » – i.e. : ce plateau tournant avec diverses formes de verges colorées.

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Photo via Flickr.

Mon activité sexuelle a ainsi débuté il y a quinze ans et ma prise de contraceptifs bien avant ça. Je faisais en effet partie de ces adolescentes avec des problèmes de peau à qui l'on a prescrit dès l'âge de 12 ans une pilule afin de chasser l'acné. Cette consommation s'est poursuivie, davantage par habitude que par nécessité, car j'ai connu très peu de petits amis de longue durée.

Puis, alors que je vivais à l'étranger, dans un pays où j'avais déjà eu la mauvaise idée d'aller voir une gynéco (tarif de la consultation : 500 euros), j'ai entendu aux informations françaises un scandale à propos des pilules de 4e génération, lesquelles venaient manifestement de tuer une nana. Ne sachant pas à quelle catégorie appartenait la mienne, dans le doute, j'ai bazardé toute la plaquette. Ce moment fut d'ailleurs assez raccord avec ma vie, ayant moi-même été bazardée quelques jours auparavant par celui que je pensais être le père de mes futurs enfants.

Il y a deux, trois ans, j'ai connu ce sentiment que mon horloge biologique s'était enclenchée. Qu'il me fallait absolument un enfant dans les années à venir, quitte à le faire presque toute seule. Mais il faut croire que mon horloge n'avait pas de batterie au lithium car ce désir s'est peu à peu tu. En fait, plus je me rapprochais du moment « tu devrais avoir un enfant », moins j'en avais envie.

On m'a laissé le choix entre l'avortement médicamenteux et l'aspiration. Je sais que le médicament peut parfois s'avérer douloureux ; de plus, comme l'aspiration me semblait plus efficiente, comme un Dyson sans sac disons, j'ai opté pour la seconde option.

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Dans l'absolu, je crois pourtant que je voudrais être mère. Transmettre et élever, laisser une empreinte, un héritier, aimer quelqu'un de descendant pour pouvoir supporter la mort de mes parents. Mais maintenant que j'ai vraiment l'âge d'avoir un enfant, ça m'angoisse : la grossesse trop longue, les vergetures, l'épisiotomie, les kilos en trop, la rééducation périnéale, les nuits qui ne réparent plus, les sorties qui n'existent plus et l'engagement que l'on prend H24 sur, au moins, les 18 années à venir.

Mais, c'est à croire que mon corps et mon esprit sont en dissonance. Mon corps a dû juger qu'à 30 ans, il était temps que je procrée. C'est pourquoi il a cru bon de fertiliser cette petite fenêtre de tir, cet unique encart laissé vacant par l'absence de contraceptifs. Il aura fallu d'une fois.

Un ami, que je venais de mettre au courant de ma grossesse à peine certifiée, m'a néanmoins dit de ne pas avorter. Parce que, je cite, « [je serai] une super mère ». Ce n'est pas un intégriste pro-life, il le pensait vraiment. Je crois qu'il n'a pas tort. J'ai eu des parents suffisamment défaillants pour éviter de reproduire les mêmes erreurs. Je crois.

J'ai dû confirmer ma grossesse par une prise de sang, puis une échographie, et rencontrer divers psychologues, une assistante sociale, une gynécologue et une anesthésiste. Eu égard à l'avancée de ma grossesse, on m'a laissé le choix entre l'avortement médicamenteux et l'aspiration. Je sais que le médicament peut parfois s'avérer douloureux ; de plus, comme l'aspiration me semblait plus propre et plus efficiente, comme un Dyson sans sac disons, j'ai opté pour la seconde option.

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Photo via Wiki Commons.

Autour de moi, aucune de mes amies proches n'a jamais avorté, seulement de vagues connaissances. Deux filles m'en ont parlé, une fois. Elles avaient choisi le médicament. Toutes deux m'ont dit qu'elles avaient fini par retrouver l'embryon : l'une dans sa culotte, l'autre dans la cuvette des chiottes. Je ne suis pas sûre de la véracité de leurs dires. La dernière a même voulu le récupérer, « en vue de le disséquer ». Je ne l'ai crue qu'à moitié, mais il faut croire que cet aspect cours de biologie m'a marquée, et m'a confortée dans le choix de ma procédure d'IVG par l'aspiration.

Lorsque je me suis décidé à en parler à mon compagnon, nous venions de terminer une bouteille de vin et la moitié d'un paquet de cigarettes (acte de toxicomanie qui, sait-on jamais, aurait pu engendrer un avortement naturel). En l'espèce, je l'informe simplement de mon « état » et ne laisse place à aucun doute concernant la suite, qui de fait, se dirige vers une terminaison. Je suis sûre de mon choix. La date de l'intervention est déjà fixée. Je suis peut-être égoïste, mais je n'ai jamais songé à interroger mon ami sur son désir à lui ; je suis tellement sûre que ce n'est ni le moment ni le bon parent, qu'il est de toute façon inutile que l'on y réfléchisse à deux.

72 heures avant l'intervention, je dois prendre un médicament. Celui-ci, je crois, a pour fonction de détendre l'utérus. Le lendemain, je me tords un peu de douleur, je sens que ça travaille à l'intérieur. Au bout d'un moment, je me mets à pisser du sang. Bizarrement, je regarde mes pertes sanguinolentes à la recherche d'un éventuel embryon qui aurait décidé de se faire la malle avant même l'intervention, comme mes sibyllines interlocutrices. Mais je ne vois aucun corps étranger.

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Le jour de l'intervention, à 7 heures du matin à l'hôpital, je suis douchée à la Bétadine, charlotte sur la tête et les infirmières me filent un Xanax. Je plane. Pendant mon trip, je parviens à réaliser que je suis vraiment chanceuse de vivre en France, un pays où j'ai le droit de faire des choix, où à aucun moment un patricien ne m'a jugée, où je ne suis pas stigmatisée pour ce que je fais. D'ici cinq minutes je subirai une IVG. Je n'ai jamais compris le sens de cette formule ; je ne subis pas. J'ai fait le choix, seule, de l'interruption volontaire de grossesse. Puis je m'endors.

À mon réveil, on me prévient que je pourrais être victime d'une chute d'hormones comme après un accouchement. Avoir un genre de (non) baby blues. Mais disons que je reprends peu à peu mes esprits et que globalement, tout va bien.

L'IVG n'a eu absolument aucune incidence sur ma vie sexuelle. Le seul changement que j'ai noté, c'est un pic de ma libido dû au début de grossesse qui ne s'est pas tu avec l'intervention, mais qui a été bâillonné car il est « interdit », ou tout du moins fortement déconseillé, d'avoir des rapports pendant les 8 à 10 jours qui suivent l'opération.

Désormais, j'attends encore un peu avant de me décider à tomber enceinte pour de bon. Histoire que la médecine fasse des progrès. Que, pourquoi pas, la gestation des humains passe de 9 à 4 mois (ça me semble amplement suffisant) et qu'on trouve une foutue crème qui empêchera à 100 % toute éventualité de vergetures. Je tiens aussi à me laisser un certain laps de temps pour rencontrer un garçon que j'aurais envie d'aimer pour de bon, peut-être pas pour toujours, mais pour plus d'un, deux ou trois ans. Ce serait déjà bien. Aujourd'hui, le géniteur de l'enfant n'est plus mon compagnon. Comme je l'ai dit plus haut, au fond, je savais que ce type n'était pas le bon. Quelques semaines après, je l'ai quitté. Mais j'ai osé le recontacter lorsque j'ai reçu une facture de l'hôpital. Ce n'est peut-être pas très élégant de ma part, mais je ne suis pas une amibe, je ne fais pas une mitose, je ne suis pas tombée enceinte toute seule ; c'est pourquoi je lui ai demandé la moitié du règlement. Mon côté paritaire aurait voulu que ce soit lui, un peu plus classe, qui me demande avant que je n'aie à le faire, si ça m'avait coûté quelque chose.

Avec lui, je n'aurais peut-être plus envie de gâcher ce truc qui, j'ai ouï dire, est la plus belle chose de la vie.