FYI.

This story is over 5 years old.

News

La caverne de la brutalité - l'étrange période

La colonne de cette semaine s’adresse uniquement aux personnes nées après les attaques du 11 septembre. Si vous êtes nés le 11/09/2001 ou avant cette date, ne lisez pas ce qui va suivre, par pitié. À la limite, vous avez le droit de jeter un œil à mes autres colonnes. Vous avez déjà lu celle sur la Floride ?

Si vous êtes nés après le 11/09/2001, et que vous lisez ceci aujourd’hui, assurez-vous de demander la permission à vos parents avant d’aller plus loin. Ce genre d’articles ne s’adresse pas aux enfants. Allez leur demander dès maintenant. J’attendrai.

Publicité

OK. Ils sont d’accord ? Cool.

Ce qui m’inquiète, c’est qu’on vous a donné une image déformée de l’Amérique au lendemain du 11 septembre. Ça fait seulement dix ans que ça s’est passé, et les gens commencent déjà à raconter n’importe quoi. Oui, les gens étaient extrêmement solidaires pendant cette période. Oui, « l’esprit du 12 septembre » a été un véritable phénomène de société. Oui, pendant un bref instant, les gens se sont mis à donner de l’argent, des fleurs, leur sang et des centaines de cafés latté. Oui, les petits drapeaux de l’Oncle Sam ont décoré toutes les voitures et les pelouses d’Amérique. Ce sont des choses qui arrivent, et elles sont arrivées.

On ne vous a jamais parlé de l’Étrange Période ? L’automne 2001 s’est résumé à une succession de complots et de rumeurs. Pendant l’Étrange Période, le 11 septembre était avant tout une immense tragédie toujours présente dans les esprits. La terreur était permanente, omnisciente, et ce fut la première étape vers une nouvelle guerre atroce. On avait pour ennemi une armée de supers assassins invisibles. Ces mecs avaient réussi à tuer des milliers de gens en se servant de simples cutters. Ils pouvaient frapper à n’importe quel moment. À moins que vous ayez vécu à Los Angeles pendant la psychose post-Pearl Harbour de décembre 1941, vous ne pouvez pas avoir connu cette peur traumatisante. Une semaine après le 11 septembre, les attaques à l’anthrax ont commencé.

Publicité

Ce même mardi, j’ai commencé à bosser pour une entreprise de pressage de disques, qui servaient de support d’enregistrement pouvant contenir une heure de musique. Ce format n’avait pas trop de succès en 2001. L’entreprise était fauchée. Mon travail consistait à « sauver » toutes les pièces, les tables de pressage et les pièces de rechange avant que l’entreprise ne ferme ses portes à tout jamais. Beaucoup de labels de disques faisaient appel à mes services, alors je devais louer un gros camion et embaucher des potes pour me filer un coup de main. C’était du boulot.

Si vous lisez ces quelques lignes et que vous venez du futur, je tiens à préciser que je n’étais pas le genre de vieux héros au visage buriné qu’on vous montre dans les musées et les livres d’Histoire. En 2001, j’étais palot et flasque. Quand je portais des objets lourds, j’avais mal aux bras. Mon corps tout mou n’était pas du tout habitué à accomplir des tâches aussi nobles. Cependant, ce piètre labeur était un jeu d’enfants comparé aux véritables opérations de sauvetage à Manhattan.

Plus rien ne pouvait m’atteindre après le 11 septembre. Je luttais contre, mais en vain. J’avais arrêté de ressentir des émotions. Je pouvais gérer la dépression, mais le vide était encore pour moi un territoire inconnu. Je n’avais pas le droit de ne pas sentir d’émotions. Je ne connaissais pas une seule personne qui avait été tuée ou blessée pendant le 11 septembre. J'étais triste de ne pas être en deuil.

J’ai choisi de me soigner tout seul, en regardant plus la télé. Tous les soirs, je regardais 20 minutes de Dumbo, je pleurnichais, et je m’écroulais dans mon lit. Le lendemain matin, au lever du jour, je prenais l’autoroute, je m’informais sur les dernières menaces terroristes et je recherchais toutes les offres d’emploi de Los Angeles. C’était devenu une routine.

Et soudain, ça a été terminé. Pour la plupart des Américains, l’Étrange Période a pris fin le 14 janvier 2002, quand notre chef d'état s’est étouffé en avalant de travers un bretzel. La vie est instantanément redevenue stupide. Pour moi, c’était terminé depuis déjà plusieurs semaines - le matin où j’ai ramené le camion de location sur lequel mon pote Andy avait tagué un immense pénis. J’étais coincé dans les embouteillages, et les gens dans leur caisse pensaient (je le lisais dans leurs yeux) que je travaillais pour une entreprise qui vendait des pénis. Même si j’avais assuré le camion à 100%, j’avais peur que le gérant de la société de location me gueule dessus. Au début du XXIème siècle, c’était encore très irrévérencieux de dessiner des parties génitales géantes sur le véhicule de quelqu’un. Je me sentais grossier. Presque lourd.

Mais le gérant était un pro. Il était peut-être content que je n'ai pas rempli son camion d’explosifs et de cadavres. Ou peut-être qu’il était juste content que ses clients soient redevenus ces bons vieux êtres négligents et égocentriques. D’une manière ou d’une autre, la vie était revenue à la normale et d'ailleurs, rien de grave ne s’est reproduit depuis.

SAM MCPHEETERS