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Ce que ça fait de vivre avec la gale

Cette maladie du Moyen-Âge est en recrudescence chez les jeunes de France – et j'ai eu le bonheur de la choper.

Il y a quelques mois, en plein hiver, j'ai commencé à me gratter. D'abord les mains, puis le reste du corps, jusqu'à m'arracher la peau dans mon lit et sous la douche brûlante. Quand le médecin m'a annoncé que j'avais la gale, j'ai esquissé un petit rictus gêné. Mais au plus profond de mon être, je paniquais. Au-delà de la honte liée à ce diagnostic, je n'avais pas la moindre idée du niveau de gravité de la situation. Le dermatologue que j'ai ensuite consulté m'a rassurée avec bienveillance : « Des galeux franchissent tous les jours le seuil de ma porte. Vous pouvez continuer à aller au travail, ça n'est pas si contagieux. » Avant d'esquiver poliment la main que je lui tendais pour le remercier.

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La gale est une maladie parasitaire : une bestiole répondant au doux nom de sarcopte creuse des sillons dans l'épiderme et y pond ses œufs. Elle prend la forme d'un triangle noir, que n'importe quelle personne dotée d'une grosse loupe peut prendre le loisir d'apprécier. Elle aime les endroits chauds et humides où elle peut proliférer : les plis des mains, sous les aisselles, les seins des femmes ou les testicules des hommes. En outre, il s'agit d'une maladie qui remonterait au moins à l'Antiquité, et elle continue à tort d'être associée à une époque révolue – un rapport de l'Institut de veille sanitaire publié en 2008 révélait qu'environ 300 millions de nouveaux cas étaient découverts chaque année, et des épidémies continuent d'être régulièrement recensées en France.

Comme la peste et le choléra, cette maladie cutanée fait appel à l'imagerie populaire des grandes épidémies – ce qui est plutôt normal vu qu'elle touchait un nombre plus conséquent de personnes à des périodes telles que le Moyen-Âge, comme me l'a confirmé le docteur Jean-Michel Amici, spécialiste du sujet. « À l'époque, les gens se lavaient moins. Du coup, le parasite pullulait et ils se retrouvaient couverts de lésions croûteuses dégueulasses et très discriminantes. On les mettait donc en quarantaine », m'a-t-il expliqué, avant de tenter vainement de me rassurer. « Ça fait cinq ans qu'il y a un pic de gale préoccupant en France, qui concerne surtout les jeunes. » Malgré ses explications qui corroboraient les dires de mon dermatologue, je gardais la terrible impression d'être la seule fille de ma génération à l'avoir attrapée, mais j'ai vite réalisé que c'était loin d'être le cas en discutant avec d'autres jeunes ayant souffert du même fléau.

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Ma première interlocutrice, Marie, a 27 ans et habite à Marseille. Elle m'a confié qu'elle pensait que son mec avait attrapé la gale en essayant des vêtements chez Emmaüs pour une soirée déguisée, avant de la lui refiler. « Ça faisait un mois qu'on était ensemble, on ne se connaissait pas très bien et on passait notre temps à se gratter. On est allés chez le dermato, qui nous a prescrit le traitement classique – à savoir des badigeons d'Ascabiol, une lotion qui te défonce la peau, et des comprimés de Stromectol. » À la pharmacie de son quartier, le produit était en rupture de stock : le collège Provence, de l'autre côté du trottoir, est frappé de plein fouet par une épidémie de gale. Le temps de recevoir leurs médicaments, ils ont contaminé leurs familles respectives.

Au total, Marie a essayé quatre traitements différents. « Je pétais les plombs. La gale meurt à partir de 60 degrés. Du coup, j'alternais entre trois vêtements que je lavais instantanément à température maximale, une fois portés. Le reste de mes fringues a attendu plusieurs semaines dans des sacs-poubelles, pour que la bête s'asphyxie. Ma chambre ressemblait à une benne à ordures. » En répondant à mes questions, Marie ne pouvait pas s'empêcher de se gratter. « C'est le lot de ceux qui ont la gale. Un traumatisme », analyse-t-elle, avant de me faire remarquer que je faisais précisément la même chose.

La chambre de l'auteure, alors qu'elle tentait d'endiguer sa maladie en enfermant l'essentiel de ses affaires dans des sacs-poubelle. Photo publiée avec son aimable autorisation.

Si la maladie est toujours associée à un manque d'hygiène – d'où le sentiment de honte qui lui est propre –, n'importe quelle personne est susceptible d'être infestée et la transmission de la maladie est favorisée chez les gens vivant dans des conditions de proximité étroites, selon l'Agence régionale de santé Auvergne Rhône-Alpes.

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Thomas a 26 ans et habite à Toulouse, dans un appartement « où il y a beaucoup de passage ». Il m'a expliqué que le sarcopte aime ceux qui vivent en communauté, les collectifs. « Tu lui donnes l'occasion de passer d'un corps à un autre. Les gens qui vivent à plusieurs, c'est un excellent terreau pour ça. » Chez lui, une pièce, « le dortoir », accueille souvent des visiteurs. « C'est là qu'il y a pas mal de risques. »

Ses potes l'appellent le « patient zéro » : il a été le premier à introduire la gale dans le groupe. C'était il y a deux ans, et il l'a refilé à tout le monde. Certains l'ont encore aujourd'hui. « J'étais en vacances et j'avais des démangeaisons affreuses. La journée ça, allait à peu près. Mais la nuit ou sous la douche, ça commençait à être vraiment hardcore. Je suis allé voir un pharmacien. Il s'est éloigné quand il a vu mes mains. »

Thomas a vécu deux poussées de boutons. « Ce qui est terrible c'est que le médicament provoque des réactions allergiques, qui sont identiques aux symptômes de la gale. Le traitement est super mauvais. Quand on le prend plusieurs fois, on a la peau un peu ridée. »

Cela ne fait que trois mois qu'il s'estime enfin guéri. Avec les autres membres de sa communauté, ils ont établi des règles de vie très strictes. « On change les draps des lits du dortoir et on retourne les matelas dès qu'on a de la visite. Quand l'un d'entre nous a des démangeaisons suspectes, cela constitue un premier niveau d'alerte. Il ne doit pas laisser sa serviette dans la salle de bains, pour que personne ne s'essuie les mains avec ; ni entrer en contact avec les torchons de la cuisine. Et s'il se sert d'une éponge, il la range de sorte à ce que personne d'autre ne l'utilise. »

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Dans le salon, une banquette recouverte de sacs-poubelles est assignée au présumé malade, surplombée de l'écriteau « coin du galeux ». « Tout le monde prend ça très au sérieux. Il suffit qu'un mec se pose sur ton canapé en short et y laisse une bestiole, c'est fini. » La règle d'or, celle qui l'emporte sur toutes les autres, c'est « d'être honnête et de ne pas avoir honte », a insisté Thomas. « On y est tous passés, de toute façon. » La puissance de cette petite bestiole invisible est presque devenue un mythe pour certains patients, qui préfèrent au traitement classique des remèdes plus occultes.

C'est le cas de Caroline, une serveuse de 19 ans qui habite dans une petite commune du Maine-et-Loire. Sa meilleure amie lui a refilé la gale l'an dernier, alors qu'elle était en internat. Cela faisait deux mois qu'elle se grattait avant qu'un diagnostic ne soit posé. « Mon médecin est un peu âgé, il a des méthodes que certains pourraient juger désuètes. » Il lui a prescrit une recette de grand-mère : des bains à l'éosine, une poudre violette « qui rend les ongles marron ».

Dans le même temps, Caroline est allée voir le magnétiseur de sa famille. « Son magnétisme me soulageait les démangeaisons. Après la séance, dès que ça devenait insupportable, je lui envoyais un SMS. Il se concentrait sur moi à distance, avec ma photo. »

« On est dans un monde hyper-médicalisé, avec des traitements aux effets secondaires parfois plus puissants que les pathologies. Les gens reviennent chez des magnétiseurs comme nous », m'explique le guérisseur. Depuis quelques années, les cas de gale affluent aussi chez lui. Il ne me cache pas qu'il a ses « petits secrets » et ses prières pour venir à bout du sarcopte. Mais son truc, c'est la « métamédecine », une approche qui consiste à rechercher les causes émotionnelles et psychologiques des maladies. « La majorité des troubles cutanés – psoriasis, zonas, eczémas, ou gale – ont un message à nous faire passer. » Le magnétiseur a expliqué à Caroline qu'inconsciemment, elle alimentait sa gale par ses émotions.

Cette dernière approuve : elle pense que le stress de ses cours et du baccalauréat l'a rendue plus vulnérable au parasite. « Depuis que j'ai un job, ça va beaucoup mieux. » Aujourd'hui encore, elle garde des marques de cette période difficile : « Je me grattais jusqu'au sang. Ça faisait des croûtes, que j'arrachais en dormant. Je ne souhaite à personne d'attraper la gale. C'est horrible. »

Les huiles essentielles sont aussi présentées comme une alternative aux médicaments. Un « pack gale » est par exemple disponible sur des sites spécialisés, pour une vingtaine d'euros. « Notre mélange marche beaucoup », me confirme un commercial de La compagnie des sens. Certaines huiles s'attaqueraient aux cellules du parasite, pour le tuer.

Léo, un Parisien de 32 ans, est sceptique, mais tente quand même. Après trois traitements, il se gratte toujours autant. Depuis une semaine, il applique du tea tree et de la menthe poivrée, deux huiles anti-infectieuses et anti-parasitaires. Pour calmer les démangeaisons, il se badigeonne d'huile de lavande et trouve que ça l'apaise.

Pour ma part, l'expérience de ces jeunes galeux français m'a à la fois rassurée – je n'étais pas seule à avoir attrapé ce truc infernal – et inquiétée. Comme moi, ils ne savent pas précisément pourquoi le sarcopte les a choisis, ni comment il finit, un beau jour et après plusieurs traitements, par quitter la douce peau où il avait élu domicile.