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Vice Blog

Dans la tête d’un kamikaze

On a parlé avec un spécialiste du fanatisme pour essayer de comprendre ce qu'il se passe dans la tête d'un terroriste avant de passer à l'acte.

Des membres de Daesh. Capture d'écran de notre documentaire sur l'État islamique.

Une femme, dont l'identité est toujours inconnue, s'est fait exploser durant l'assaut des policiers du RAID, dans la matinée du 18 novembre 2015. Lors des attentats du vendredi 13 novembre, sept terroristes ont activé leur ceinture explosive ; certains après avoir tiré à bout portant sur le plus grand nombre de personnes possibles au Bataclan, d'autres dans des zones peu peuplées, où ils n'ont fait aucun mort, aux abords du Stade de France et au Café Voltaire. Qu'est-ce qu'il peut bien se passer dans la tête d'un kamikaze au moment où il passe à l'acte ?

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Gérard Haddad est psychanalyste, essayiste et auteur de nombreux livres, dont Les Folies millénaristes (Livre de Poche, 2002) et Dans la main droite de Dieu – psychanalyse du fanatisme (Premier Parallèle), sorti en septembre dernier. On lui a demandé quels étaient les ressorts psychologiques du fanatisme religieux, dont on n'expose souvent que les causes sociales ou géopolitiques. Il nous a parlé de « blessure narcissique », de Vérité absolue, de « conversion » et d'autres concepts qui dissèquent comment un individu est amené à péter les plombs.

VICE : Quels sont les fondements du fanatisme de Daesh ?
Gérard Haddad : Je distingue plusieurs formes de fanatisme : le nationalisme, le racisme, l'idéologie totalitaire et le fanatisme religieux. Le fanatique croit toujours détenir la vérité absolue.

Dans mon dernier livre Dans la main droite de Dieu, psychanalyse du fanatisme, je reprends une parabole d'Ephraïm Lessing : si Dieu déclare qu'il détient dans sa main droite la vérité absolue et dans sa main gauche la quête de la vérité, et qu'il demande aux hommes laquelle ils choisissent, le fanatique choisit la main droite. Il croit que Dieu lui remet en main propre la Vérité absolue. Cela atteste sa grande mégalomanie. La caractéristique principale du fanatique est la haine totale et génocidaire de toute personne qui n'adhère pas à cette foi. Cette maladie de l'esprit est éminemment contagieuse : elle subjugue des groupes puis des foules, dont elle anesthésie la raison.

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L'homme tolérant, lui, choisit la main gauche de Dieu, celle de la recherche sans fin de la vérité, recherche qui donne un sens à sa vie.

Daesh, comme toute forme de fanatisme, repose sur une adhésion totale à une croyance, pour laquelle il devient légitime de mourir et surtout de tuer. Dans ce cas, cette foi est l'islam sous sa forme extrême, wahhabite, littérale. Mais n'oublions pas sa composante ethnique, à savoir sunnite avec sa haine totale du chiisme. Le fanatisme de Daesh est donc à la fois nationaliste et religieux, mélange particulièrement dangereux.

Comment en vient-on à adhérer à cette idéologie ?
Ceux qui rejoignent les rangs de Daesh sont souvent des personnalités immatures qui souffrent d'une blessure narcissique, c'est-à-dire d'un sentiment d'infériorité, d'humiliation, de non-reconnaissance. Beaucoup commettent des petits larçins, leur vie est vide. Et soudain, ils rencontrent à travers le discours d'un prédicateur un idéal conforme à leur origine ethnique. Ils pensent retrouver le logiciel initial qui a permis à l'islam des origines de conquérir une bonne partie du monde. Ils y trouvent une vérité absolue. Cela les guérit de leur sentiment d'infériorité, ils sortent de leur petit marasme, de leur vie merdique, de leur échec, et surtout de l'échec de leurs parents, qui joue un grand rôle dans leur désir de revanche. Ils en tirent un sentiment de toute puissance. C'est très fascinant, l'idéal : les jeunes veulent du dur, sans concession, sans compromis.

Est-ce qu'ils jouissent de cela ?
Bien évidemment : c'est le ressort du fanatisme, une sorte d'orgasme masturbatoire. C'est même une jouissance multiple : il est élu. Il a la vérité, vous vous rendez compte ! Tous les doutes disparaissent dans un état de confort psychique merveilleux. Avant d'avoir les fameuses vierges, il a déjà la paix intérieure : la certitude de la foi a mis un terme à ses tortures psychiques.

Il se passe quoi dans la tête de celui qui fait irruption au Bataclan et qui tire sur tout le monde ?
Qui peut vraiment le dire ? Qui peut dire ce qui se passe dans la tête d'un nazi qui fait entrer des enfants dans une chambre à gaz ? Ce qui est sûr, c'est qu'il sait qu'il va mourir, que sa vie terrestre n'a plus de valeur, a fortiori celle des autres. Ils font payer une dernière fois leur vieille humiliation et leur sentiment d'infériorité. « On va se venger. Vous nous avez piétinés, on va vous piétiner, vous nous avez fait chier, on va vous faire chier. » Celui qui se fait exploser atteint l'apothéose de sa folie.

Quel avenir voyez-vous pour Daesh ?
À court ou moyen terme, Daesh disparaîtra. Ces sociétés reposant sur des utopies ne peuvent pas durer dès l'instant où elles veulent devenir universelles. Ça a été le cas du nazisme ou du communisme. Des sociétés utopiques peuvent exister mais seulement sous forme de secte.

Cette disparition de Daesh ne supprimera pas pour autant le problème du terrorisme djihadiste qui prendra de nouvelles formes, tant qu'on n'aura pas trouvé de solution aux graves problèmes du monde musulman moyen-oriental ; du conflit israélo-palestinien, de la mauvaise gouvernance des États arabes, de la disproportion entre la richesse de certains et la misère des masses, de la domination wahhabite ou du conflit sunnite-chiite … Ce n'est pas demain la veille.