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Musique

J'ai passé une semaine à Ibiza et je l'ai plutôt bien vécu

Lieu de villégiature pour bros en débardeurs, l'île méditerranéenne abrite aussi des gens très bien.

Si vous ne pouvez pas voir le trailer ci-dessus, actualisez la page.

Ibiza est un lieu qui cristallise de nombreux fantasmes. Cette île, plus petite que Majorque, n'est pas une simple destination de vacances pour Britanniques en manque de soleil, de mer turquoise et de MST. Elle pousse certaines personnes à se tuer à la tâche pour pouvoir s'offrir des vacances dans les Baléares, quitte parfois à bosser sur place pour s'octroyer quelques heures supplémentaires de fête et d'ébriété.

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Les clichés sont légion, alimentés par la dichotomie manifeste des lieux, avec d'un côté les masses laborieuses qui s'abrutissent en écoutant 15 heures de set de Roger Sanchez, et de l'autre les élites, menées par Jade Jagger et James Blunt, lesquels fument de la weed de bonne qualité tout en profitant des joies du yachting.

La réputation de l'île est telle qu'elle attire des gens qui n'auraient jamais dû se croiser dans un cadre spatio-temporel classique : du bodybuilder sicilien à l'oligarque russe, du lecteur de Resident Advisor au fan de Pitbull, et bien sûr du chauffeur de taxi à la star planétaire, j'ai nommé Orlando Bloom, qui a tellement pété les plombs qu'il a été récemment aperçu en train de violenter un enfant.

Vu que je n'avais jamais eu l'occasion de voir cette faune éclectique en mouvement, je ne pouvais que fantasmer et écouter à n'en plus finir Needin' U de David Morales pendant mes longues soirées d'hiver, en rêvant de jours meilleurs. Cet été, VICE a enfin décidé de m'envoyer sur place afin de tourner Big Night Out : Ibiza, qui sera diffusé très bientôt ici même.

Ibiza a toujours été un endroit décadent, comme le prouve l'étymologie du nom de l'île, qui vient de « Bes », le dieu égyptien de la danse et de la musique. Malgré cela, on peut situer les prémisses de la transformation de ce petit bout de terre en paradis pour clubbers lorsqu'un immigré argentin du nom d'Alfredo Fiorito quitta son pays en 1976 pour échapper au courroux meurtrier de la junte militaire de Videla. L'Espagne célébrait de son côté de la chute de Franco, et quel meilleur endroit pour apprécier la mort d’un dictateur qu’une île sauvage perdue en pleine Méditerranée ?

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Alfredo, après avoir rejoint quelques amis qui vivaient dans les Baléares, est devenu DJ et s'est fait remarquer à l'Amnesia, un club qui venait tout juste d'ouvrir. Sa légende était née, renforcée par ses sets mystiques souvent un poil trop court : 12 heures. Mixant des tubes new beat avec des morceaux de Joe Smooth, voire de U2, Alfredo a inventé le concept de rave avant que la rave n’existe. Cette fusion de tubes pop et de samples analogiques remplis de percussions lointaines a donné lieu à la naissance de ce que l'on a plus tard appelé la balearic house.

Très rapidement, des types comme Paul Oakenfold ou Danny Rampling ont importé les sets d'Alfredo dans le Londres des années 1980. Leur club, le Shoom, s'est appuyé sur l'explosion de la consommation d’ecstasy pour poser les bases d'un phénomène devenu mondial : la rave. La house est peut-être née à Chicago, mais l'idée de prendre des petites pilules chatoyantes en attendant le nirvana auditif est à mettre au crédit d'Alfredo et d'Ibiza.

Photos : Rhys James et Grant Armour

Mais Ibiza n'a rien d'un musée. L'île est aujourd'hui le symbole du consumérisme triomphant. Les clubs ressemblent plus aux casinos de Vegas qu'à des lieux pour danser et se bourrer la gueule entre amis. Avec des prix d'entrée dépassant souvent les 50 euros et des verres jamais en-dessous de 15, Ibiza est le symbole de la démesure économique qui a « industrialisé le plaisir ».

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Cela dit, peu d'endroits peuvent se targuer de réunir les DJ les plus connus au monde dans des espaces tellement immenses qu'ils repoussent la définition même de « club ». Le Space est à Carl Cox ce que Santiago Bernabeu est à Cristiano Ronaldo. Et vous aurez beau essayer, il vous sera difficile de réitérer l'expérience d'une danse au petit matin sous des palmiers tandis que plusieurs 747 vous survolent à quelques dizaines de mètres.

Les clubs eux-mêmes constituent des expériences : s'ils repoussent vos propres limites, ils vous entraînent également dans une sorte d’élan vital qui vous incite à vivre au-delà de ces limites. Ils sont ontologiquement « intenses » parce qu'ils sont excessivement chers, qu'ils réunissent plus de gens que la plupart des matches du PSG, et qu'ils les poussent à dépenser ce qu'ils gagnent en plusieurs années juste pour pouvoir s'offrir quelques nuits de plaisir. Personne ne va au Space pour y passer simplement « une bonne soirée ».

Le mode de vie à Ibiza est certes brutal, mais il constitue l'antithèse de ce que l'on entend par existence normale, et c'est bien cela qui encourage les touristes à s’y plonger corps et âme. Vous vous levez à 5 heures de l'après-midi, vous commencez à boire à 5 heures et demie, vous avalez une pizza trop cuite, vous allez à la plage, vous buvez de nouveau, vous allez dans un club vers 2 heures du matin, vous allez en after vers 7 heures et vous répétez tout ça le lendemain. Il n'est jamais question de boire trois pintes et d'appeler un taxi pour rentrer chez vous.

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Lors d'une soirée à l'Amnesia, club le plus connu de l'île encore aujourd’hui, on a fait la connaissance de Luciano, une légende d'Ibiza. Sa capacité à réunir plusieurs centaines de personnes chaque soir nous a prouvé que sa passion devait lui rapporter pas mal d'argent.

Affichant ostensiblement son mépris envers les règles interdisant la clope en club, Luciano nous a offert un set typique d’Ibiza mélangeant house, minimale, et de nombreux autres sonorités qu'il puise dans ses origines helvético-chiliennes. Il nous a montré en quoi consistait le travail d'un DJ sur un terrain tel qu’Ibiza, à savoir être capable de s'adapter aux réactions de la foule et de maintenir les gens dans un perpétuel état d’exaltation.

À des années-lumière de l'ambiance des méga-clubs, on trouve San Antonio, un quartier où s'enchainent les pubs bondés d’adolescents britanniques qui passent leur temps à beugler, porter des vêtements cintrés et laisser dépasser leurs couilles de leurs strings ironiques.

Réceptacle à ciel ouvert de toute la merde qui peuple Ibiza, ce quartier attire les membres les plus éminents de la secte planétaire des bros qui se tatouent des bites sur leurs épaules et passent tout leur séjour dans un endroit qui ne propose rien d'autre que des patates sautées.

Heureusement, San Antonio n'est pas du tout représentatif de ce qu'est vraiment Ibiza.

Le Zoo Project est un club qui élève le niveau en proposant des DJ très corrects dans un vieux zoo abandonné situé sur des collines au-dessus de San Antonio.

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Peut-être est-ce l'atmosphère, ou bien la présence de filles en grand nombre, mais les gens qui m'avaient paru insupportables dans San Antonio se sont révélés être très drôles une fois là-bas. Après avoir recouvert leurs corps de peinture, tous ces types se sont déhanchés aux côtés d'Ariel – la jeune femme sur la photo –, l'une des nombreuses danseuses anglaises de l'île, qui a abandonné son job au pays pour pouvoir passer des semaines entières à faire la fête.

Elle est devenue au fil des années une sirène professionnelle, boulot qui n’existe par ailleurs qu'à Ibiza.

Ici, les danseurs ne se contentent pas de faire de la figuration ; ils font partie intégrante de la culture et de l'économie de l'île. Ils incitent les gens à danser en club grâce à leurs mouvements hyper sexualisés et la journée, ils parcourent les rues afin de convaincre les nombreux touristes que la boîte qu'ils représentent est meilleure que celle du voisin.

Le petit groupe que vous voyez sur la photo, avec des rates aux proportions parfaites et des types qui ressemblent tous à David Luiz, travaille pour des clubs tels que l'Amnesia et forme l'une des équipes les plus reconnues de l'île. Ils nous ont invités à les suivre sur une plage pour nous prouver leur capacité à convaincre des touristes souffrant de coups de soleil de les rejoindre dans des clubs hors de prix une fois la nuit tombée.

Corinne, originaire de Rome, est l'archétype de la danseuse d'Ibiza. Ayant une formation de danse classique, elle a fini par s'installer sur l'île après y avoir passé plusieurs étés. Elle est consciente que cet endroit lui offre la possibilité de pouvoir faire ce qu'elle veut de sa vie. En parallèle de son job de danseuse, elle travaille pour une entreprise de yachts, ce qui lui a permis d'atteindre une forme de maturité complètement inutile dans un endroit célébré mondialement pour son hédonisme.

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J'ai réalisé au fil de mes journées qu'Ibiza n'était pas uniquement le temple laïcisé de la dépense outrancière. Pour de nombreuses personnes, cet endroit est le dernier lieu dynamique au sein d’une Europe en plein déclin, et permet à n'importe quelle personne disposant d’un peu de talent de se faire pas mal d'argent.

J'ai également croisé la route du type le plus étrange de tout Ibiza : Jamie Brennan, aka Kryoman, ancien livreur de chez Domino's Pizza devenu robot le plus demandé de toutes les soirées insulaires.

La petite entreprise de Kryoman est désormais florissante et Jamie se déplace dans toute l'Europe pour dévoiler son show pyrotechnique, contribuant à l'interrogation de nombreux clubbers qui se demandent s'ils ne viennent pas d'avaler un taz de très bonne qualité, ce qui expliquerait pourquoi ils voient un robot de trois mètres de haut se balader autour des platines de David Guetta.

On l'a rencontré dans le garage de sa maison alors qu'il était en train de préparer son prochain show.

Mais le Britannique le plus connu de toute l'île n'est pas un robot, mais bel et bien Carl Cox, débarqué à Ibiza il y a 30 ans pour laisser une trace indélébile de couleur jaune fluo sur la culture locale. Cox est bien plus qu'un DJ, c'est un aimant à touristes, qui reste malgré tout le mec le plus cool du royaume de la techno, et un type assez gentil pour tolérer mon comportement un poil grossier. Une nuit de fête, un état de déshydratation avancée et un panini trop fromagé avaient eu raison de mon équilibre.

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Alfredo Fiorito, le père spirituel d'Ibiza

Si Carl Cox est le roi d'Ibiza, Alfredo en est son Dieu. Vers la fin de notre séjour, on a enfin pu rencontrer cette légende locale. Je n'ai pas peur d'affirmer que ce type est l'un de mes héros ; ses différents sets m'ont permis de supporter des journées qui ressemblaient à de la merde transformée en temps.

Alfredo mixe toujours dans les plus grands clubs de l'île et a été le témoin de tous les changements qu'Ibiza a connus, non pas simplement en tant que DJ mais en tant qu'habitant de l'île et fan invétéré de cet endroit si particulier. L'entendre parler des similarités entre la jeunesse des années 1980 et celle d'aujourd'hui, de musique électronique et de l'avenir de l'île, a été incroyablement inspirant et m'a permis de dessaouler très rapidement. Tout cela contrastait avec l'image de tous ces DJ qui partagent leur vie insipide sur les réseaux sociaux.

Ce qui relie en définitif tous ces destins, c'est cette île. Si les clubs, la musique, la drogue et l'argent continueront de muter dans les années à venir, Ibiza restera l'un des endroits les plus beaux et étranges de la planète. Ses nuits tropicales, ses couchers de soleil, ses plages rocheuses, sa mer bleue et ses nombreux spécimens de fêtards européens sont ses atouts éternels.

Alors que l'été s'est achevé il y a peu, la saison d'Ibiza touche à sa fin. Ariel, Corinne, Jamie et des milliers d'autres estivants s’apprêtent à rentrer chez eux et se réhabituer à mener « une vie normale ». Mais cet été, comme tous leurs étés précédents, restera gravé dans leur mémoire comme un nouveau chapitre bizarroïde, à l'image de la semaine que j'ai vécue sur place.

Mon corps essaie toujours de se remettre de ces sept jours de débauche, et je suis à peu près sûr que je n'aurai plus jamais les mêmes attentes lors de mes soirées en club. Il est impossible de danser sous des palmiers et des avions là d’où je viens.

Ibiza, chère île perdue au large de l’Espagne, tu as presque eu raison de moi, mais je suis presque sûr que je reviendrai te voir un jour.

Suivez Clive Martin sur Twitter.

Big Night Out : Ibiza sortira en français sur VICE.com demain soir.