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reportage

Dans la dèche à Bucarest

L'ancien dictateur roumain staliniste Nicolae Ceausescu était un fervent avocat de la baise.

Nicolae Ceausescu,le partisan « de la baise à tout va »

Démon de l’impertinence, l’ancien dictateur roumain staliniste Nicolae Ceausescu était un fervent avocat de la baise. Persuadé que l’augmentation de la population permettrait au pays d’asseoir son pouvoir et d’imposer le respect, il lança une large campagne contre l’avortement et la contraception au milieu des années 1960. Il a même été jusqu’à interdire les cours d’éducation sexuelle, transformant les manuels de biologie en véritables secrets d’État. N’importe qui possédant un cerveau (ou ayant lu le Freakonomics de S. Levitt) vous dira que c’était un plan de merde. Conséquence : la mortalité infantile a explosé, des familles (très) nombreuses se sont retrouvées dans la pauvreté la plus totale et des milliers d’enfants non désirés furent envoyés à l’orphelinat.

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Quand le pays s’est débarrassé du communisme, la plupart de ces gamins se sont retrouvés à la rue. Aujourd'hui en Roumanie, 20 000 citoyens vivent en marge de la société et parmi eux, beaucoup sont les enfants ou petits-enfants des fils oubliés de Ceausescu.

Dans un vieil immeuble abandonné du centre de Bucarest, 50 personnes ont trouvé un refuge temporaire. Du coup, ils ne dorment plus dans la rue et ont moins de chances de se réveiller avec des points de suture sur le ventre et un organe en moins, ou couverts d’essence et en feu. Pour s’appeler, ils se sont réapproprié une insulte raciale : boschetari – leur version du Yo, mayne américain. Ils sont susceptibles de se faire éjecter à tout moment, mais pour l’instant, ils appellent cet endroit leur « maison ».

Ignat et Georgiana

J’ai passé une semaine avec eux dans ce squat lugubre. Les premières personnes avec qui j’ai sympathisées furent Ignat et Georgiana, qui se sont installés l’hiver dernier. Avant, ils vivaient dans une tente. Georgiana n’a que 19 ans et s’est échappée de chez elle quand elle avait 12 ans. Ça fait un an qu'elle sort avec Ignat, un mec de dix ans son aîné et dont elle porte le quatrième enfant. Leur chambre, située près de l’entrée, est infestée de rats qui couinent pendant qu’on regarde la télé d’un autre âge qu’Ignat a emprunté à un voisin. Ils tirent leur électricité d’un poteau télégraphique situé au bout de la rue et squattent l’antenne télé d’un voisin qui ne se doute de rien. Maintenant, ils possèdent également la collection complète des numéros de VICE Magazine.

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Peu à peu, l’endroit se remplit de commerçants chelou qui essaient de refourguer téléphones portables volés, duvets et capotes, et de putes méchamment vulgaires qui se frottent aux hommes comme des chattes en manque de câlins. Ignat me dit : « Écoute, l’endroit n’est pas très sûr. Les mecs vont demander combien tu prends pour une pipe et je peux pas leur révéler que tu es journaliste parce qu’ils ne font pas confiance aux journalistes. En fait, ils les détestent. » On a décidé d’aller au parc à côté de la gare centrale, le lieu de glande préféré d’Ignat et Georgiana.

Le parc était truffé de mecs bourrés endormis sur des bancs et de junkies à l’œil vitreux. Selon Ignat, ce sont les plus faciles à voler : « Il n’y a même pas besoin de les frapper pour leur faire le portefeuille. » Ignat a été élevé dans un orphelinat. Adolescent, il a été condamné pour complicité de vol. Il a trois enfants qui ont été placés eux aussi en orphelinat lorsque leur mère s’est enfuie en Espagne. Il ouvre son portefeuille et me montre des photos d’eux, « Ils sont cool, hein ? »

Plus tard dans l'après-midi, un vieil homme – cicatrice sur le visage, à moitié à poil et une bouteille d’alcool cheap à la main – s’est rué vers nous. Ignat l’a chassé. Apparemment, le mec venait de purger une peine de 20 ans de prison pour le meurtre de deux femmes et Ignat n’était pas super chaud pour le laisser s’approcher de sa copine.

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Comme le refuge ne dispose pas d’eau courante, Ignat et les autres vont se laver dans la Dâmbovița, le fleuve qui longe Bucarest. Ils sautent dans l’eau depuis le sommet d’un panneau publicitaire. Évidemment, la police passe souvent les virer. Quand ils n’ont pas de chance, ils se font embarquer au poste et récoltent une prune pour trouble à l’ordre public, amende qu’ils ne paient jamais, bien entendu.

Georgiana ne se baigne jamais dans la Dâmbovița. Dans sa chambre, elle utilise une bassine et est l’heureuse propriétaire d’un vernis à ongles et d’une trousse de maquillage. Plus tard, ils m’ont invité à dîner. On est donc allés se chercher un paquet de chips et une tasse de café à l'épicerie d'à côté. Quand ils ont assez d’argent il leur arrive de cuisiner, mais en été c'est plutôt rare ; sans frigo, tout se périme en quelques heures. Ils se procurent de l’eau en mendiant ou en en volant dans les bâtiments des diverses institutions publiques dont les fenêtres du rez-de-chaussée restent ouvertes.

Ovidiu

Ignat m’a présenté à un de ses vieux potes d’orphelinat, Ovidiu. Ovidiu s’occupe de neuf gamins, tous en dessous de 14 piges, et dont aucun n’est de lui. Les parents sont des toxicos et Ovidiu, lui, est juste un mec sympa.

Tous les jours il amène les gosses faire les poubelles à la recherche de cuivre, d’aluminium et de papier. Le gars du centre de collecte des matériaux les arnaque régulièrement en leur payant le cuivre, mais en « oubliant » de leur filer l’argent de l’aluminium. Ovidiu ne peut pas y faire grand chose car il doit rester en bons termes avec lui : « C’est comme ça que tu deviens riche, tu arnaques ceux qui n’ont pas le choix, » dit-il.

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Pour le papier c’est encore pire, il coûte si peu qu’il faut en ramasser 20 kilos pour se faire l'équivalent d'un euro. Alors Ovidiu et ses gamins arpentent les rues de Bucarest de long en large et ramassent livres, journaux et emballages en carton. La police couvrant certains quartiers plutôt que d'autres, ils sont parfois obligés de trouver d'autres manières de trouver leur précieux sésame. Ils leur arrivent donc d'aller à la pêche.

Alex, 5 ans, a d’abord refusé de se joindre à la partie. Mais après qu’Ovidiu lui a patiemment expliqué qu’il fallait prendre des risques pour obtenir de l’argent et acheter de la nourriture (« un jus et des bonbons »), il a fini par y aller. Rapidement, les livres se sont empilés sur la charrette d’Ovidiu et le gamin est allé se laver dans une fontaine publique.

Sur le chemin du retour, Ovidiu a partagé son maigre butin avec ceux qui avaient eu moins de chance que lui, refilant à chacun une cigarette et 1 Ron (environ 0.15€). Suffisant pour du pain, mais pas pour de la drogue. Comme la plupart des pays occidentaux, Ovidiu en est arrivé à haïr la méphédrone, vendue à Bucarest comme « sels de bain » sous le doux sobriquet de Pure. Il y a quelques années, Ovidiu a travaillé tout un été sur un chantier en Angleterre et a réussi à mettre 1 700€ de côté. Il les a envoyés aux parents des neuf gamins. Tout est parti dans la drogue. « Au moins l’héroïne ne leur faisait pas perdre leur raison ni leur gentillesse ; ils faisaient de doux rêves et tout allait bien. »

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« Les drogues légales, au contraire, ont l’air de faire ressortir leur égoïsme et leur cruauté. Je suis content qu’on les interdise. J’espère que les gens recommenceront à prendre de l’héro et que la paix reviendra. »

Tous les jours après avoir pataugé dans les poubelles pour un butin d’environ 4€, Ovidiu retourne au squat cuisiner une soupe de légumes pour onze personnes, prend une « douche » dans la Dâmbovița et, s’il arrive à faire garder les enfants par un voisin, va voir une femme. Il y en a plein dans le parc à côté de la gare.

De tous les gens que j’ai rencontrés, aucun ne savait de quoi serait fait son lendemain ni où il allait se procurer son prochain repas. Même s’ils sont beaux et intelligents, leurs chances de s’en sortir grâce à ces qualités sont maigres. Malgré ça, ils savent comment s’amuser ; ils vont nager, se font des coupes de cheveux hyper stylées avec des sodas pas chers et vont trouver une raison de rigoler même quand ils ont la tête au fond d’une benne à ordures.

TEXTE : LORENA LUPU

PHOTOS : POQE.COM