Avec les exilés de Birmanie

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Avec les exilés de Birmanie

La pauvreté, la prostitution et l'exclusion sont le quotidien des réfugiés birmans de Thaïlande.

Photo de une : Des femmes birmanes sont emmenées à l'usine par un contremaître thaïlandais. Elles viennent de traverser la frontière et de renouveler leurs permis de travail. Leurs passeports sont confisqués par les gérants de l'usine. Photos publiées avec l'aimable autorisation de Hugo Ribes.

Si le verset bouddhiste « le bien-être par l'unité » figure sur les armoiries de la Birmanie depuis son indépendance, en 1948, le pays n'a jamais vraiment connu cet idéal. Dès cette date, des insurrections se sont déclarées et, en 1962, le coup d'État du général Ne Win a définitivement mis le feu au poudre. Une guerre a alors éclaté entre la junte militaire au pouvoir et des dizaines de groupes rebelles séparatistes. Depuis, bien que la junte a récemment quelque peu relâché la pression, la situation ne s'est jamais stabilisée et cette guerre de basse intensité est devenue la plus longue au monde. Aujourd'hui encore, malgré les récents cessez-le-feu signés entre le gouvernement birman et deux des principaux mouvements rebelles, les affrontements continueraient dans certaines régions du pays.

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En raison du conflit, de la dictature au pouvoir et de tout ce qui en a découlé – violences, violations graves et récurrentes des droits de l'homme, pauvreté et manque d'infrastructures sanitaires et éducatives –, 1,5 à 3 millions de Birmans ont fui leur pays pour la Thaïlande voisine. Un certain nombre de ces réfugiés – appartenant pour la plupart à l'ethnie Karen – vivent désormais dans des camps, à la frontière entre les deux pays. Peu éduqués, ils ne parlent pas le thaï ; peu protégés, ils représentent une main d'oeuvre peu chère et corvéable à merci. Les hommes les plus chanceux de la communauté sont attelés aux travaux les plus durs dans les usines, les champs ou le bâtiment. Les autres se retrouvent laissés à eux-mêmes. Néanmoins, les premières victimes de cette situation sont les femmes. Veuves de guerre ou abandonnées par leurs maris à cause de la mobilité imposée aux travailleurs migrants, elles sont exposées aux violences sexuelles, physiques, à la servitude pour dettes ou à d'autres formes d'exploitation. L'absence de travail poussent même certaines d'entres-elles à se prostituer.

Hugo Ribes, jeune photographe originaire de Lyon et membre du collectif Item, s'est rendu à Mae Sot – ville thaïlandaise aussi connue sous le nom de « Little Burma » en raison de son importante communauté birmane – afin de documenter les conditions de vie de ces réfugiés birmans. Située sur l'axe routier principal entre Bangkok et Rangoon, la région est réputée pour être le théâtre de nombreux trafics.

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Des travailleurs migrants regardent un film dans la pièce qui leur sert de chambre. Les patrons des usines mettent souvent à disposition de leurs employés de tels logements. Insalubres, sans aération, l'électricité est disponible seulement la nuit.

VICE : Qu'est-ce qui t'a décidé à partir à la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie ?
Hugo Ribes : Je suis parti pour la première fois en 2011. Un ami vivait à Mae Sot. J'avais lu quelques articles sur les Birmans mais je n'avais pas encore connaissance de l'ampleur de cette migration en Thaïlande. Cet ami parlait thaï et trainait principalement avec des Birmans. C'est à leur contact que j'ai commencé à entrevoir les histoires que je raconte dans mon exposition qui vient de débuter à Lyon.

Je suis revenu de ce premier voyage avec plein d'idées mais peu d'images. Ce n'est qu'en 2013 que j'ai pu repartir pour vraiment commencer ce travail sur les migrants, et sur les femmes en particulier.

Dans quel contexte se trouvait la région quand tu t'y es rendu ?
Entre 2013 et 2014, la Birmanie était déjà dans un processus d'ouverture, qu'il faut néanmoins relativiser. En réalité, le gouvernement est aujourd'hui composé d'anciens généraux qui ont simplement troqué leurs treillis contre un costume trois pièces.

Quant à la frontière, depuis le coup d'État de mai dernier en Thaïlande, les autorités ont renforcé la présence militaire. L'accès au camp de réfugiés de Mae La était par exemple plus compliqué en 2014 qu'en 2013. Ces dernières années, les migrants birmans ont vécu sous la constante menace d'expulsion du territoire.

Un des nombreux refuges pour femmes séropositives. Souvent abandonnées par leurs maris, ces femmes se retrouvent seules à élever leurs enfants. En Birmanie, troisième pays d'Asie du Sud-Est le plus touché par le VIH, les malades sont souvent victimes de discrimination et d'exclusion sociale.

Comment se sont passés tes voyages là-bas ?
Les deux voyages que j'ai faits pour ce sujet se sont plutôt bien passés. J'avais fait une enquête en amont, et les relations que j'avais sur place m'ont rapidement permis de trouver d'autres contacts pour effectuer ce travail.

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Il est assez simple de se déplacer là-bas. L'ambiance est néanmoins particulière car c'est une zone où beaucoup de choses sont cachées et les Birmans font en règle général profil bas. Un ancien prisonnier politique me servait de traducteur. Le reste, c'est les relations humaines. Comme partout.

Les rencontres avec les habitants se sont donc bien passées ?
Les Birmans sont étonnants par leur facilité d'approche et leur sens de l'accueil. De plus, ils sont toujours contents de parler anglais – surtout les jeunes qui l'ont appris dans les écoles pour migrants autour de Mae Sot. Ils sont assez curieux d'échanger sur leur pays avec des étrangers et de savoir comment leur pays est perçu en Europe. En terme de photographie, je trouve qu'il est plus facile de faire des images dans les lieux publics là-bas – où les habitants avaient à cœur de m'aider et de raconter leurs histoires – qu'en France, où la défiance envers les photographes est grande.

Phan, 17 ans, chez le coiffeur avant de partir travailler au karaoké bar. Elle a passé 7 ans dans un camp de réfugiés et est venue à Mae Sot dans l'espoir d'intégrer l'université thaïlandaise. En raison du coût élevé de l'université, elle a dû accepter un job d'hôtesse.

Peux-tu expliquer les sujets sur lesquels tu as souhaité te focaliser ?
On parle aujourd'hui de 2,5 millions de travailleurs birmans en Thaïlande, ce qui représente 5 % de la population birmane. J'ai souhaité raconter la vie de ces migrants aux alentours de la frontière et surtout montrer comment la migration était encouragée par les Thaïs pour le profit qu'elle apporte à leur économie.

Dans un deuxième temps, je me suis concentré sur la situation des femmes, et notamment celle des prostituées. Certaines ONG estiment qu'en Thaïlande, d'ici 2016, une prostituée sur deux sera Birmane. Des dizaines de milliers de jeunes filles sont ainsi vendues ou leurrées à destination de ce business. Mae Sot est une plaque tournante du trafic de migrants ; c'est une sorte de comptoir où les potentiels employeurs peuvent trouver une main d'oeuvre bon marché rapidement et sans risque, et cela vaut aussi pour le commerce des corps…

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Tes sujets peuvent être délicats à traiter. As-tu eu des problèmes avec les autorités et avec les macs des filles ?
Je n'ai jamais eu de problème avec la police thaïlandaise. J'ai toujours fait attention à être le plus discret possible. Les macs paient la police en échange de la tranquillité, quand il n'y a pas de coopération entre les deux… Je pense que je me serais fait expulser si les autorités m'avaient arrêté.

En ce qui concerne les macs, la plupart de ceux que j'ai croisés ne savaient pas que j'étais photographe et devaient me prendre pour un touriste ou un travailleur humanitaire – dans ces cas, tu es obligé de jouer un peu le jeu. De manière générale, prendre des images est totalement interdit dans ces lieux – certaines images ont donc été volées.

Quand c'était possible, j'exposais clairement ma démarche, comme avec cette maquerelle qui m'a permis de rester plusieurs jours dans une maison avec « ses filles » afin de photographier ce lieu clos.

Hay Mar, chez elle, avant d'aller au karaoké bar. Elle a commencé à se prostituer en 2008 quand son mari l'a abandonnée avec sa fille de 2 ans.

Aujourd'hui, vu d'Occident, la situation en Birmanie semble s'améliorer et le pays se moderniser. Qu'en penses-tu ?
Les libertés individuelles et collectives ont pu évoluer positivement sur certains points, mais on est encore loin d'un pays démocratique. Malheureusement, l'image véhiculée par les grands médias laisse à penser que c'est le jour et la nuit par rapport à il y a 5 ans. Cette idée est fausse, malgré des progrès. L'exemple le plus frappant sont les libérations surmédiatisées de prisonniers politiques, suivies de nouveaux emprisonnements.

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La pression devrait être maintenue sur le gouvernement birman, mais les autres États voient la mine d'or que représente ce pays en terme d'investissements. Tout est à faire : développer le tourisme, les infrastructures, l'énergie, la pêche… En terme de paix, la situation est loin d'être apaisée, avec des recrudescences de combats ces dernières années entre l'armée et des groupes ethniques dans différents États (Kachin, Shan…).

En ce qui concerne la modernité, je pense qu'il y a tout de même de gros progrès – en gardant en tête que seulement un tiers de la population a aujourd'hui accès à l'électricité.

Pookie, 19 ans, travaille au Paradise, un club de Mae Sot, en tant que stripteaseuse.

Les Birmans sont-ils plutôt optimistes pour leur avenir ? Comment perçoivent-ils ces quelques changements dans leur société ?
À Mae Sot, les Birmans sont plutôt pessimistes. Il attendent de voir la suite des réformes en cours et l'élection présidentielle – et notamment le résultat que pourrait faire Aung San Suu Kyi si elle est autorisée à s'y présenter. Les appels au retour lancés par le gouvernement birman sont restés lettre morte ou n'ont pas été pris au sérieux. La majorité des Birmans ne croient pas leur retour possible et craignent un regain de la dictature.

Quels sont tes futurs projets ? As-tu prévu de retourner en Birmanie ?
Je vais poursuivre mon travail sur la Birmanie car c'est un pays qui a une histoire intéressante et une place stratégique en Asie du Sud-Est. Le pays est notamment un point de friction entre la Chine et l'Inde. Aujourd'hui, peu de pays traversent des périodes aussi cruciales et j'ai donc envie de suivre son évolution dans les prochaines années. J'aimerais aussi être là-bas pour les élections législatives de novembre qui auront sûrement un impact important sur la société birmane.

Hugo Ribes est un photojournaliste français de 26 ans. Son travail en Birmanie sera exposé du 13 mars au 30 avril à l'atelier Item, 3 impasse Fernand Rey, à Lyon.