FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

« Heavy Metal Parking Lot » est toujours le meilleur documentaire de l’Univers

Un parking et des fans de Judas Priest : Jeff Krulik revient sur son tout premier film.
Toutes les photos sont issues du documentaire « Heavy Metal Parking Lot »

Aujourd'hui, nous sommes aussi éloignés de la sortie d'Heavy Metal Parking Lot que ses protagonistes vêtus de marcels à motif zèbre ne l'étaient de la performance iconique d'Elvis Presley au Milton Berle Show. En d'autres mots, cet excellent documentaire de 16 minutes qui porte sur les fans de Judas Priest fête bientôt ses 30 ans. HMPL est un documentaire culte de l'âge d'or de la VHS, mais il est désormais disponible en .MP4 – ce qui signifie que vous pouvez le mater religieusement jusqu'à la fin de vos jours. Les intervenants qui y figurent sont tout sauf cyniques – tous passent leur temps à boire de la bière dans une humeur joviale, et à hurler leur amour sincère pour Judas Priest.

Publicité

Les deux réalisateurs, John Heyn et Jeff Krulik, ont tourné HMPL quelques heures avant un concert de Judas Priest au Capital Centre de Landover, dans le Maryland, non loin de la banlieue de Baltimore où j'ai grandi. Mon enfance était plutôt ordinaire – pas vraiment métal, disons –, même si mon meilleur ami Mike était un grand fan de rock qui se prenait excessivement au sérieux. Un été, après avoir loué Detroit Rock City sur cassette, Mike a convaincu son père de nous emmener à Camden, dans le New Jersey, pour assister à un concert de KISS et Ted Nugent. J'imagine qu'on s'attendait à vivre une expérience similaire à celle du pèlerinage des metalheads de HMPL, puisque nous avons tenu à amener la caméra familiale de Mike avec nous. Un triste moment de désillusion adolescente s'est ensuivi lorsque nous sommes tombés sur un public composé d'hommes divorcés au crâne dégarni. Des années plus tard, j'ai vu HMPL pour la première fois. C'est là que j'ai réalisé que notre idée avait déjà été concrétisée, en mieux.

Si vous faites déjà partie des adorateurs de HMPL, il y a des chances que vous mesuriez la grandeur de son influence : sur Beavis et Butthead, les festivals de found-footage, ou encore le site que vous êtes en train de lire en ce moment même. J'ai discuté avec l'un des réalisateurs, Jeff Krulik, alors qu'il préparait l'exposition Heavy Metal Parking Lot: The 30-Year Journey of a Cult Film Sensation.

Publicité

VICE : Pour commencer, je tiens à préciser que j'ai grandi à Laurel, dans le Maryland.
Jeff Krulik : Sans déconner ! Cool.

Certains éléments de mon enfance me rappellent vraiment ce qu'on peut voir dans tes films, comme HMPL et Obsessed with Jews.
J'aime bien dire que ma carrière est fondée sur le fait que je ne bouge jamais. La plupart de mes sujets se passent dans le Maryland ou à Washington, même si les thèmes diffèrent. J'ai bossé sur pas mal de trucs depuis, mais tout me ramène systématiquement à HMPL.

Tu peux m'en dire un peu plus sur la genèse du film ?
John Heyn et moi avions la vingtaine, et on vivait tous les deux à Washington DC. Contrairement à John, je n'ai pas fait d'école de cinéma. J'ai décroché une licence d'anglais à l'université du Maryland. J'ai beaucoup bossé avec la radio de mon université, et un ami DJ m'a proposé de faire de la télévision – j'ai accepté tout de suite.

À l'âge de 25 ans, je suis devenu directeur pour un petit studio, MetroVision Cable, dans le comté de Prince George. C'est là que j'ai rencontré John. On voulait tous les deux devenir réalisateurs, et on s'est tourné vers le documentaire parce qu'on aimait son côté immédiat. Quand on tourne un documentaire, on peut obtenir quelque chose avec très peu de ressources. À l'époque, John était l'assistant de John Waters, avec qui il a bossé sur Polyester. J'étais très fan de John Waters – nous avions les mêmes sensibilités.

Publicité

Environ un an après notre rencontre, John a eu l'idée de tourner une vidéo sur des fans de métal. Nous n'étions pas spécialement attachés à cette culture, mais nous allions souvent au Capital Centre. Tout le monde connaissait cet endroit – c'était là-bas que se déroulaient tous les gros concerts, et le métal était très populaire à l'époque. Nous étions curieux de voir ce que cela pourrait donner, et j'avais accès à du bon matériel. Très peu de gens avaient de caméras à l'époque. On a eu beaucoup de chance de tomber sur Judas Priest, parce qu'ils sont toujours très célèbres aujourd'hui.

Nous n'avions aucun plan, aucune pré-production. En gros, on s'est juste dit qu'on allait filmer sans faire tomber la caméra.

C'était pas Cinderella, quoi.
Voilà. Donc un beau samedi soir de mai, John est venu me chercher au studio, et on est sorti avec des caméras immenses. J'aurais adoré avoir des images de nous à cette époque, mais on n'a pas vraiment pensé à se filmer. J'avais un gros enregistreur Portapak et un microphone séparé – on échangeait régulièrement pour interviewer les gens chacun notre tour. Les cassettes devaient faire vingt minutes chacune. Au total, on a utilisé trois cassettes, et on en a tiré 65 minutes d'images.

Vous aviez une stratégie pour que les gens acceptent de vous parler ?
Non, nous n'avions aucun plan, aucune pré-production. En gros, on s'est juste dit qu'on allait filmer sans faire tomber la caméra. On avait un peu peur que les gens soient froissés par notre présence, mais pas du tout. Ils étaient tous très chaleureux.

Publicité

On sent que les gens sont ravis de se faire filmer.
Oui, ça nous a beaucoup aidé. Les gens savaient pertinemment ce qu'était une caméra, mais à l'époque, on en voyait juste lors des grandes occasions. Du coup, ils nous ont posé des questions – ils voulaient savoir d'où nous venions et ce que nous étions en train de faire.

À un moment, tu dis que tu bosses pour MTV pour plaisanter…
… et Nathaniel répond : « C'est des conneries ! » C'est une des phrases cultes du film. On essayait de duper personne. Je travaillais pour une chaîne publique qui s'appelait 6A, sauf que personne ne connaissait. À chaque fois que j'essayais d'expliquer pour qui on bossait, les gens ne comprenaient pas. J'ai fini par dire « On bosse pour MTV ! », un peu exaspéré. Mais on ne cherchait pas à mentir à qui que ce soit.

On n'est jamais allé au concert. On est retourné au studio pour regarder les images, et c'est là que j'ai trouvé le titre du documentaire. On a diffusé une version montée en octobre 1986, dans un club appelé d.c. space.

Tu penses qu'il serait possible de refaire le film aujourd'hui ? Ou les gens se méfient trop pour faire preuve d'un tel enthousiasme face caméra ?
Je pense effectivement qu'on ne pourrait pas faire un film pareil aujourd'hui. Cet enthousiasme débridé est très rare. Il existe encore des fans comme ça, mais je pense que les gens sont trop habitués à se faire filmer aujourd'hui. Ça fait partie intégrante des concerts maintenant – tout le monde filme avec son téléphone.

Publicité

C'est un des trucs qui m'a frappé en rematant le film. Personne n'a de portable. Les gens se contentent de traîner ensemble et de boire des bières. L'absence de téléphone me paraît encore plus désuète que les fringues qu'on peut voir dans le documentaire.
C'est vrai. C'est marrant, je n'y ai jamais pensé avant. Depuis, les fans du film ont donné des surnoms aux personnages. Il y a même eu des cartes à collectionner. Un des types a rédigé ses mémoires, il est devenu très connu. On a aussi fait un documentaire « Que sont-ils devenus ? » en 2003, sur toutes les personnes qu'on a retrouvées. Tout le monde s'en est plus ou moins bien sorti, ce qui me fait vraiment plaisir.

À quel moment as-tu réalisé que le film était devenu culte ?
On ne l'a jamais montré à la télévision, et on ne pouvait pas non plus le montrer à des festivals. À l'époque, personne ne montrait de petit documentaire à des festivals de film. Ça ne se faisait pas. On se contentait de distribuer des cassettes. On le diffusait dans notre salon, on organisait des fêtes pour le montrer. On le montrait à des conventions musicales et à des clubs – puis on a arrêté de le diffuser en 1990 pour vaquer à d'autres occupations.

Quand est-ce que vous avez fait la suite, Neil Diamond Parking Lot ?
En 1996. On est retourné au Capital Centre, qui avait été rebaptisé US Air Arena. On voulait faire un film aux antipodes de HMPL. Mais les fans étaient tout aussi excités, charismatiques et passionnés que ceux de Judas Priest. L'ironie, c'est que Neil Diamond est devenu une figure culturelle réglo – mais à l'époque, les gens le trouvaient un peu niais. Quelques années plus tard, J. K. Rowling faisait des dédicaces dans mon quartier – du coup on a fait Harry Potter Parking Lot, et c'est devenu une sorte de franchise.

Vous aimez bien documenter des petits espaces – des trottoirs, des endroits où les gens attendent – sans documenter l'événement en lui-même.
Tout à fait. J'imagine que c'est notre manière de donner de l'importance à une chose qui semble en être dépourvue. Je suis content qu'on puisse transformer de la paille en or. Mais comme tu l'as si bien dit, c'est l'attente qui nous intéresse – jamais l'événement.