photo : Doug DuBois

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Ma famille dans les yeux

Doug DuBois a photographié la jeunesse, la vieillesse et le mariage raté de ses parents.

« Larry répare sa moto », Avella, Pennsylvanie, 1994 © Doug DuBois

« C'est si mauvais que ça ? », demande Roger DuBois en regardant sa photo de famille prise par son fils Doug à l'occasion du jour de l'An 1987. Sur cette photo, le clan DuBois se tient silencieux, l'air abattu, autour d'une bouteille de champagne. Roger fixe ses pieds. Sa femme Ruth et sa fille Lise observent le mur d'en face. Luke, le petit dernier, regarde l'objectif, l'air impassible. La photo a été prise juste après une tentative de suicide de Ruth et quelques années avant que le couple ne divorce – elle semble d'ailleurs comme prédire cet événement.

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Doug DuBois a réalisé 19 clichés avec la même perspective au cours de cette soirée du Nouvel An. Sur la plupart de ces images, sa famille parle et boit et peut même sembler heureuse. Il a choisi de n'en garder qu'une seule. Ainsi, la photo de DuBois présente une seule version du passé. Par sa sélection d'images actuellement exposées à la galerie Aperture à New York dans le cadre d'une rétrospective intitulée In Good Time, l'homme tisse une histoire.

Quels sont les thèmes de cette histoire ? Quel est le destin de ses personnages ? Que nous apprend le récit sur son créateur ? Ce sont les questions que posent les photos de DuBois.

Son exposition regroupe trois projets à long terme qu'il a réalisés en l'espace de 32 ans. Le premier est All the Days and Nights, chronique intime de sa vie de famille qu'il a commencée en 1984 alors qu'il entrait à l'université et qu'il a terminée 24 ans plus tard.

Organisé autour d'événements majeurs – l'accident de train qui a failli coûter la vie à son père, la dépression de sa mère qui a suivi et la dissolution de leur mariage –, All the Days représente la tentative de DuBois de donner une forme et une signification aux innombrables journées que les membres de sa famille ont passé ensemble. Tout comme la photo du jour de l'An, il attribue à chacune de ses images un récit et un contexte particuliers.

Après l'accident de Roger, par exemple, il y a un certain nombre de photos qui retrace l'aliénation grandissante de Ruth. Dans After Dinner, le couple est assis autour d'une table après Noël. Cependant, leur proximité physique est profondément ironique, parce que Roger et Ruth sont déjà émotionnellement et mentalement très éloignés l'un de l'autre. Il est assis dans un fauteuil roulant et regarde désespérément le mur, tandis qu'elle fixe la nourriture, l'air morose. Dans My Mother in the Backyard, DuBois souligne la séparation de ses parents : au premier plan, sa mère est capturée dans un moment de contemplation inquiète, pendant que derrière, son père marche à côté de la piscine en maillot de bain. Bientôt, on les verra seuls : dans My Mother in the Bedroom, on voit Ruth fumant au téléphone, la tête dans sa main, le désespoir palpable. My Father, Christmas Eve dépeint Roger semblant tout sauf festif devant le sapin. DuBois rappelle constamment l'aliénation croissante.

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« Mon père dans le jardin », Far Hills, New Jersey, 1985 © Doug DuBois

Étant donné que Roger et Ruth ont fini par divorcer, on peut facilement défendre la justesse du travail du photographe. Mais les choses se compliquent – mais ne restent pas moins convaincantes – quand ses récits menacent de dépasser la vie du sujet. Cette menace est parfaitement représentée par deux photos de sa soeur, Lise.

La première, prise en 1984, montre Lise à 21 ans, se regardant dans le miroir d'une coiffeuse. C'est une photo touchante, qui capture les complexes et les désirs d'une jeune diplômée tête en l'air. Dans la seconde, prise en 1999, Lise est dans la même position. Mais cette fois, elle est dehors et tient son fils dans les bras. En arrière plan, derrière la clôture en bois de son jardin, quatre maisons occupent le paysage, rappelant sa vie de famille imminente. La symétrie de ces deux photos est surprenante et témoigne du côté éphémère de la jeunesse. Au vernissage de l'exposition, DuBois a raconté qu'il avait demandé à Lise de poser pour lui, son bébé dans les bras, pour qu'il puisse reproduire la photo qu'il avait prise 15 ans auparavant. En d'autres termes, il n'a pas capturé une symétrie : il l'a reproduite. Je ne dis pas pour autant que cet aveu a rendu les photos de DuBois moins puissantes.

Adolescent, DuBois a découvert que l'objectif lui permettait d'aller plus loin que lui-même. Il a ainsi pu étudier de près les gens qui l'entouraient et transcender son attachement pour eux. Quand DuBois suit les membres de sa famille dans leur intimité et quand il les capture dans des moments de vulnérabilité, on ne sait jamais s'il est guidé par la compassion ou le désir de raconter une histoire.

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Ce sont ces incertitudes qui confèrent à All the Days un pouvoir particulier. Nous savons que DuBois a retiré 18 photos de moments de bonheur et a retenu celles qui montraient une famille brisée. Nous savons qu'il a arbitrairement réduit 15 ans de la vie de sa sœur en une affreuse symétrie. Et pourtant, quand Roger DuBois demande si « c'est si mauvais que ça », nous sommes forcés de hocher la tête. Tel est le pouvoir de la vision artistique du photographe et des émotions profondes qu'elle nous inspire.

Les deux autres projets présentés dans l'exposition sont Avella, l'étude de DuBois sur la vie dans les exploitations de charbon où a grandi sa grand-mère, et My Last Days at Seventeen, un dossier photo de ces cinq années passées à Russell Heights, un projet immobilier insulaire en Irlande.

Si l'ambiance générale de All the Days est au mieux mélancolique, un désespoir manifeste envahit les vies dépeintes dans Avella. DuBois est submergé par le manque d'opportunités et par le consumérisme et l'insularité de cette petite ville de Pennsylvanie. Et le pire, en tout cas selon lui, c'est que les habitants de Avella ne sont pas le moins du monde perturbés. Dans une photo représentative et iconique, une famille visite une mine de charbon – la principale distraction à Avella – en portant des casquettes de touristes sur lesquelles on peut lire « Joie ».

« Ma mère et mon père au Bar », Londres, 1990 © Doug DuBois

My Last Days, qui met également en scène un quartier économiquement désavantagé, est bien plus optimiste. DuBois assiste à la vulnérabilité et à la peur d'adolescents irlandais qui grandissent en période de crise économique. Pourtant, malgré ces peurs, il trouve aussi de l'espoir, des désirs romantiques et une attitude « je m'en foutiste » qui permet aux adolescents de subvertir les circonstances qui les entourent.

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Le titre de l'exposition, In Good Time, fait référence à beaucoup de choses : à la célèbre propension de DuBois à s'embarquer dans des projets longs de plusieurs décennies, au vieillissement – un de ses thèmes préférés – et à la manière dont, comme le souligne le commissaire Cory Jacobs, « quelque chose est révélé » si vous passez assez de temps devant ses photos. Je préfère envisager cela comme un commentaire concernant la construction d'histoires de DuBois.

Doug DuBois est un photographe sérieux et doué. Quiconque a eu une famille – ou une jeunesse – sera touché par In Good Time.

Ratik Asokan est un écrivain basé à New York. Retrouvez son travail_ ici_.

Plus de photos ci-dessous

« Feu de jardin I », Russell Heights, Cobh, Irlande, 2011

« Maison de fonction », Avella, Pennsylvanie, 1991

« Mon père dans la salle à manger », Bridgeville, Pennsylvanie, 2005

« Le puzzle de ma mère », Oldwick, New Jersey, 2000

« Luke », Londres, 1989

« Jordan en haut du poteau », Russell Heights, Cobh, Irlande, 2010

« Eirn la veille de son dix-huitième anniversaire », Cobh, Irlande, 2009

« Lise et Spencer », Ithaca, New York, 2004

« Shauna, Cory et Patrick », Cobh, Irlande, 2012