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Culture

On a discuté avec la réalisatrice du film « A Girl Walks Home Alone at Night »

À l'occasion de la sortie de son film, Ana Lily Armipour nous a parlé de son rapport avec les vampires et les grosses cylindrées.

A Girl Walks Home Alone at Night est un film étrange qui puise ses influences aussi bien dans la filmographie d'Alejandro Jodorowsky que celle de Bruce Lee. L'histoire, écrite par la scénariste et réalisatrice Ana Lily Amirpour, suit le personnage de Arash (interprété par Arash Marandi), sorte d'ersatz de James Dean. Arash vit dans la ville cauchemardesque de « Bad City », cité iranienne abandonnée. Cette ville fantôme est hantée par une femme vêtue d'un jean et d'un tchador, connue sous le nom de « La fille » et interprétée par l'actrice Sheila Vand. Le destin finit par rassembler ces deux personnages, lorsqu'un dealer vole la Ford Thunderbird d'Arash pour éponger la dette de son père toxicomane. Dans ses efforts pour retrouver son seul bien de valeur, Arash croise le chemin de la jeune fille, qui s'avère être une vampire de 187 ans.

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« Ce film est aussi iranien que moi », m'a expliqué Amirpour autour d'une bière. Ses origines sociales sont multiples. Elle est née en Grande-Bretagne de parents iraniens, mais a grandi à Bakersfield et Miami, passant sa jeunesse à skater et à mater des films porno étranges. Elle s'est inscrite en fac de biologie, avant de tout plaquer pour faire du snowboard. Plus tard, elle a étudié l'art et le cinéma à l'université de Californie et s'est installée à Berlin pour devenir artiste. A Girl Walks Home Alone at Night, son premier long métrage, est une sorte de « mash-up de [sa] personnalité ».

Le film, diffusé en avant-première au festival de Sundance, a été produit par SpectreVision, la boîte de production d'Elijah Wood, et est distribué par Pretty Pictures en France et VICE Films aux États-Unis.

VICE : Vous êtes un peu une sorte d'enfant vagabond, produit de différents contextes sociaux et culturels, non ?
Ana Lily Amirpour : Le monde est devenu vagabond. Cela devient de moins en moins pertinent pour moi de définir mon travail comme étant « iranien ». Nous mijotons tous dans une grande marmite. Certaines personnes ont des parents iraniens, sont nés en Europe et vivent en Amérique. C'est un grand métissage. Est-ce que mon film est iranien ? Je ne sais pas. Ça fait maintenant neuf mois que je parle de mon film, et je n'ai pas vraiment de réponse. Mais quand on vous pose la question aussi fréquemment, ça vous amène à y réfléchir. Ça m'a interrogé sur ce qu'est l'Amérique et, plus largement, à ce que le monde devient.

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Je vois beaucoup de films qui collent particulièrement à leur culture. Vous, vous brouillez les frontières, ce qui rend intéressant votre œuvre.
J'ai rencontré beaucoup de gens qui sont dans ma situation et qui disent : « C'est fou de voir un film iranien dans lequel je puisse m'identifier au fait d'être à la fois Iranien et Américain. » Donc oui, c'est intéressant.

Comment avez-vous été amenée à réaliser ce film ?
Comment ai-je été amenée à le faire ? C'est une grande question.

C'est une grande interview.
Je pense vraiment que toutes les choses que j'ai faites m'ont amenée à tourner ce film. J'ai écrit un autre film dramatique sur les jeunes et leur culture en Iran. Il a obtenu quelques récompenses. Par ce biais, j'ai rencontré Marshall Manesh, Dominic Rains et pas mal d'acteurs. Si je n'avais pas fait ce projet, je ne les aurais pas rencontrés. Si mon père n'avait pas acheté et retapé sa Ford Thunderbird pendant 15 ans, le film aurait-il existé ? Si mes parents ne s'étaient pas installés en Amérique, le film disparaîtrait – un peu comme la photo dans Retour vers le Futur.

Et de manière pratique, comment vous êtes-vous débrouillée pour le faire ?
Le processus était assez étrange. En quelque sorte, je me suis facilitée la tâche : depuis le début, je disais à Sheila que je voulais faire un film de vampires iranien en noir et blanc, dans le style de Rusty James. Je lui ai dit : « Ce sera une sorte de conte de fées, et j'aimerais que tu incarnes le vampire ». Elle était partante. J'ai procédé de la même manière pour le reste du casting, puis j'ai rédigé le scénario. C'était vraiment particulier. Mais quand un film est un peu singulier comme le mien, on obtient toujours des réactions très spécifiques. Une fois que les gens avaient lu le script, ils me disaient « Wow, un film en noir et blanc et en farsi ! » Quand j'ai cherché des investisseurs, certaines personnes m'ont dit : « C'est génial, on adore le scénario. On pourrait le faire en anglais. » Et je me disais : Tu es un putain d'idiot. C'est un conte de fées iranien, et ce sera en farsi. D'autres gens se sont exclamés : « Ouais, c'est génial. On va le faire en couleur ! » Les réactions suivantes ont été encore pires.

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A Girl Walks Home s'inspire également de l'un de vos précédents courts-métrages, bien que le film en soit une version bien plus approfondie.
Lorsque j'ai fait ce court-métrage, je portais le tchador. Quand je l'enfilais, je me disais que j'étais une sorte de vampire iranienne. J'ai fait un court-métrage parce que j'aimais cette idée, et je voulais qu'il soit en noir et blanc. Ensuite, je suis allée en Allemagne, où j'ai fait un autre court-métrage. J'avais trois autres projets de films que j'essayais de faire avant de partir. À mes yeux, l'Allemagne est le contraire de l'Amérique. On peut être aussi étrange qu'on le souhaite, et il n'y a pas de tabou sur les sujets qu'un film peut aborder. C'est un pays que j'aime vraiment. J'avais juste à me demander ce que j'avais vraiment envie de faire, et j'aime cet état d'esprit. Quand je suis rentrée, j'ai convaincu tout le monde de participer au projet et j'ai travaillé comme une fourmi.

Quel est votre procédé d'écriture ?
Quand j'écris, je pars souvent avec cinq à dix scènes d'avance. Je savais que je voulais qu'il lui perce les oreilles dans une centrale électrique, mais j'ignorais comment ça allait s'intégrer au film. Il m'a donc fallu trouver un moyen de lier toutes ces scènes. J'avais aussi en tête la scène de leur rencontre, dans la rue. C'est en école de cinéma que j'ai appris qu'il me fallait un certain nombre de scènes en avance – mes films préférés, Gummo et True Romance, ont au moins 10 scènes mémorables.

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Le monde que vous avez créé est très riche, surtout pour un premier film. Pouvez-vous nous dire ce que signifie Bad City pour vous et nous expliquer son origine ?
Ce que je préfère quand j'élabore un film, c'est le fait de construire un univers. C'est ce que je fais depuis l'âge de cinq ans. OK, voici mon univers – ici, il y a le méchant qui vit dans son château, puis il y a aussi un diamant précieux à récupérer et une princesse à sauver, mais elle est gardée par un dragon… On crée son propre univers, comme le ferait l'auteur d'un conte de fées. Des films que j'ai aimés – comme L'Histoire sans fin ou Legend – sont eux aussi des contes de fées. Créer un univers, c'est comme être dans un rêve. Il n'y a pas besoin d'être fidèle au monde réel. J'emmerde le monde réel. On ne va pas voir un film pour comprendre directement le monde réel. On y va pour saisir une émotion réelle.

Aussi, la musique semble faire partie intégrante du film.
Je suis très fière de la musique, qui nous a été fournie par Death Waltz Records. Ils sont très forts pour faire des BO de films cultes. Je suis très honorée de leur participation. Ils font des illustrations en édition limitée et pressent des vinyles. Ça sortira ce mois-ci.

À chaque fois que j'écris, j'ai l'habitude de démarrer avec une musique que j'associe à une scène ou des personnages. J'écoutais Radio Tehran et Kiosk, deux groupes de rock iraniens qui ressemblent à The Cure et aux Pixies. Comme je les connaissais un peu, je les ai fait bosser sur mon projet. À la suite d'un concert, j'ai rencontré Collin Hegna de Brian Jonestown Massacre et je lui ai parlé du film. Il m'a dit, « J'ai un projet à part qui ressemble un peu aux BO d'Ennio Morricone ». Il m'a envoyé son travail, et j'ai vite réalisé que je tenais le thème principal du film.

J'ai l'impression que vous vous inspirez beaucoup de Jim Jarmusch.
Pas du tout – mais vous n'êtes pas le premier à me le dire. Je le prends comme un compliment. Je savais que Jarmusch faisait aussi un film de vampire, mais que le mien serait différent. J'ai dit à Sheila que lui et moi étions faits du même bois. On peut aller dans deux directions avec un film de vampire – soit on fait un truc existentiel et contemplatif, soit on fait un film très sanglant. Mais un film est comme un miroir ; chacun y trouvera une partie de lui. Cette question sur Jim Jarmusch en dit plus sur vous que sur moi, finalement.

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