Une interview avec un commandant et un soldat de l’Armée Syrienne Libre

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Une interview avec un commandant et un soldat de l’Armée Syrienne Libre

VICE s’est adressé au photographe et vidéaste Robert King afin de se plonger dans l’épicentre du conflit syrien. Ce journaliste aux couilles de lonsdaléite est revenu d’Alep avec 20 pages de reportage pour notre numéro Syrie.

VICE s’est adressé au photographe et vidéaste Robert King afin de se plonger dans l’épicentre du conflit syrien. Ce journaliste aux couilles de lonsdaléite (un minerai très rare et deux fois plus dur que le diamant) est revenu d’Alep avec 20 pages de reportage pour notre numéro Syrie. Aujourd’hui, nous vous proposons deux interviews qu’il a obtenues d’Haji Mara, commandant de la plus grande brigade de l’ASL à Alep, et d'Abu Turab, un charpentier devenu soldat de l’ASL.

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VICE : Où étiez-vous en mars 2011, quand 13 jeunes se sont fait arrêtés à Deraa pour avoir fait des tags anti-Assad ?
Abu Turab : J’étais au travail.

Avez-vous participé aux manifestations ? Si oui, comment ça s’est passé ?
Oui j’ai participé aux manifestations et je me suis pris une balle. Par contre je ne me suis pas fait arrêté.

À quel moment as-tu décidé de te battre contre l’armée d’Assad ?
J’ai commencé à envisager de rejoindre l’ASL lorsque ma ville est tombée sous l’occupation des chabihas.

Quand avez-vous entendu parler de l’ASL pour la première fois ?
C’était à la télévision.

D’autres membres de ta famille se battent-ils aussi ?
Toute ma famille se bat.

Comment avez-vous rejoint l’armée ? Comment s’appelle ton bataillon et comment est-il apparu ?
Je ne peux pas mentionner le nom du bataillon. Il a été formé par des habitants du quartier.

Faut-il avoir des capacités particulières pour devenir membre de l’ASL ?
Non, tout le monde peut rejoindre d’ASL.

Comment est-elle organisée ? Qui prend les décisions dans ton bataillon ?
Nous prenons les décisions tous ensemble.

Qui décide d’où et quand vous allez vous battre ?
On décide tous ensemble de ce genre de choses.

Quel a été ton premier combat en tant que soldat de l’ASL ?
La première fois, c’était pour la libération du musée historique d’El Zahrawi, à Homs.

Contre qui vous battiez-vous ?
Contre les chabihas.

Et avec qui vous battiez-vous ?
Avec des gens de Homs.

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Avez-vous vu des gens se faire tuer ? Si oui, que s’est-il passé ?
Tous les jours, je vois des gens se faire tuer par des tirs de tanks et des bombes artisanales. Celles-ci sont remplies de barameel – un mélange de TNT, d’essence, et d’autres substances explosives – et sont tirées depuis les hélicoptères. Elles réduisent les gens en pièces.

Quel a été le moment le plus dur pour vous depuis le début de la guerre civile ?
Depuis le début du siège à Homs, beaucoup de blessés n’ont pas accès aux soins médicaux. Nous sommes obligés d’utiliser des outils de fortune pour amputer des membres lorsque les blessures s’infectent. Je vais bientôt recommencer à me battre.

Avez-vous changé depuis que vous avez commencé à vous battre ?
Oui, je suis devenu une meilleure personne.

Vos opinions ont-elles changé depuis que vous avez commencé à vous battre aux côtés de l’ASL ?
J’ai plus confiance en Dieu qu’avant. Pendant le conflit, on s’est rendu compte que la communauté internationale avait menti.

Que ferez-vous après la guerre ?
Je retournerai travailler.

28 août 2012, Abdul al-Kader, plus connu sous le nom d’Haji Mara, dirige la plus grande brigade de soldats rebelles d’Alep.

VICE : Comment vont vos hommes ?
Haji Mara : Sincèrement, nous ne sommes rien comparé à l’armée d’Assad. Ils sont bien plus équipés : ils ont des avions, des bonnes armes, etc. Nous avons seulement des Kalachnikovs. On rate un tir sur deux. Et pourtant, on occupe quand même 60 à 70% d’Alep. Ce sacrifice est notre priorité. Bien sûr, nous sommes animés par la passion de Dieu et les peurs des jeunes.

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Que souhaitez-vous dire aux Américains et aux Européens au sujet de votre mouvement ?
D’abord, je veux m’adresser aux dirigeants du monde. Ils devraient tous avoir honte, car ils voient nos femmes et enfants mourir tous les jours et ne réagissent pas. Nous ne les attendons plus. Nous envoyons des messages aux gens de la vie, ceux qui ont une conscience. Nous voulons nous lever. Nous sommes des frères de l’humanité. Nous sommes les frères de l’islam. Nous devons nous lever pour ces gens qui se font massacrer tous les jours. On ne peut pas aller à la boulangerie sans risquer de se prendre une bombe. Vous trouvez ça normal ? Allez voir ! Vous verrez des gens dormir dans les rues. Allez voir de vous-même et demandez-vous s’il est normal de rester silencieux. Pourquoi ? Où sont les âmes ? Où sont les musulmans ? Je souhaite qu’ils soutiennent le peuple syrien et qu’ils se fassent entendre par leurs dirigeants.

Qu’entendez-vous par « liberté de votre pays » ?
Nous avons commencé cette révolution pour accéder à la liberté. Cette liberté est pour nous tous. La liberté de pratiquer ma religion et de respecter la parole de Dieu sans que personne ne s’y oppose. Ma liberté est mon droit d’expression. Nous ne sommes plus des enfants. Depuis que nous sommes petits, on nous dit : «  tais-toi, fils, les murs ont des oreilles. » Nous avons toujours grandi sous cette pression. Nous avons été éduqués sous la terreur, et cela doit cesser. Nous voulons vivre comme les autres.

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Que peuvent faire les gens à travers le monde pour aider la Syrie ?
Beaucoup de choses. Ils peuvent manifester contre les organisations qui n’ont pas voulu aider le peuple syrien ; ils peuvent forcer leurs gouvernements à réagir.

J’ai entendu que des étrangers se battaient à vos côtés à Alep. Que pensez-vous des rumeurs qui disent que l’ASL est formée d’extrémistes ?
Mon frère, l’ASL et les révolutionnaires sont tous syriens. Mais oui, il y a aussi des gens qui viennent aider leurs frères. Ils viennent de Tunisie, de Libye et d'ailleurs. Mais ils sont trop peu nombreux. Que Dieu les bénisse. Aux yeux des révolutionnaires, ils sont des révolutionnaires syriens, tu comprends ? Toi aussi tu es ici avec ton appareil photo, et tu témoignes de ce qu’il se passe. Il y a quelques étrangers mais l’ASL est loin d’être uniquement composée de combattants étrangers.

Pourquoi avez-vous décidé de rejoindre la révolution ?
Tout a commencé par des manifestations pacifiques. Les jeunes sont sortis avec des branches d’oliviers et se sont fait attaqués, puis bombardés. On ne pouvait pas rester immobiles après une chose pareille. Nous n’avons même pas pensé à prendre nos armes pendant les six ou sept premiers mois. Nous pensions que « notre Bachar » subirait le même sort qu’Hosni Moubarak. Nous pensions que la révolution finirait après quelques mois. C’est là que nous nous sommes rendus compte que nous avions un meurtrier à la place d’un président. Ce meurtrier a choisi d’utiliser des armes, donc nous aussi avons pris nos armes pour l’obliger à quitter son poste.

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Comment êtes-vous devenu commandant ?
Selon moi, je ne suis pas « officier ». Je suis un serviteur et un frère. Nous ne sommes pas comme les autres organisations où les gens se saluent de loin. Nous nous battons main dans la main, et nous souhaitons la même chose : faire chuter le régime. Ici, nous sommes à 200 mètres du champ de bataille. J’ai obtenu mon grade grâce à la générosité de mes frères. Ce sont eux qui m’ont élevé à cette position.

Quels seront vos plans si vous gagnez la révolution ?
Je me reposerai. Je commence à être fatigué. Ça fait un mois que je suis tout le temps sur mes gardes. Si Dieu veut, nous préserverons l’état du pays. Si Dieu veut, la situation se stabilisera. La sécurité de ces gens me tient à cœur. Comme vous le voyez, l’oppression bat son plein. Les opportunistes qui profitent de la révolution sont des menteurs et des criminels. Ils passent derrière nous et pillent les maisons. Nous les enverrons en justice. Nous ne nous arrêterons pas tant qu’ils n’auront pas été jugés et que la situation ne se sera pas stabilisée. Enfin, je retournerai travailler.

Plus sur la situation en Syrie :

SYRIE – LA DESTRUCTION DE L’HÔPITAL DAR AL-SHIFRA

SYRIE – UN HÔPITAL DE CAMPAGNE À ALEP

SYRIE – L’INCENDIE DU VIEUX SOUK