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Santé

J’ai créé un groupe Facebook pour ma maladie des pieds infernale

L'aponévrosite plantaire a gâché ma vie – j'ai décidé de l'envoyer chier grâce à Internet.

Toutes les images sont publiées avec l'aimable autorisation de l'auteur, et postées sur son groupe Facebook.

À combien s'élève le nombre de vrais désespérés en France ? Des centaines, des milliers ? A priori, au moins 512.

Nous sommes en effet au moins 512 à souffrir d'une aponévrosite plantaire récalcitrante, une ridicule inflammation du talon qui empoisonne le quotidien. Au moins 512, car c'est le nombre d'adhérents qui peuple aujourd'hui notre groupe Facebook sobrement nommé Aponévrosite Plantaire et qui ne cesse de grandir. Créé il y a cinq mois, ce groupe fédère des naufragés qui se donnent des conseils, se lamentent, applaudissent les (rares) guérisons de leur terrible maladie de pieds et pleurent avec ceux qui rechutent. Tout un joli monde qui espère, un jour, retrouver l'usage normal de ses pieds.

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Les aponévrosites – souvent appelées, à tort, « épines calcanéennes » ou fasciites plantaires – touchent beaucoup les sportifs, hommes et femmes de tout âge, et autres personnes en surpoids. En termes de douleur, ça ressemble à une grosse crampe située au niveau de la voûte plantaire ou du talon. Environ 10 % des coureurs réguliers en sont atteints et c'est, semble-t-il, « la douleur numéro 1 des runners ». Toutefois, les personnes dites normales sont également menacées. Il y a les aponévrosites plantaires éphémères, comme celle du footballeur professionnel Ibrahimovic dont j'ai cru un peu vite – et naïvement – qu'il rejoindrait notre communauté. Mais surtout, il y a les aponévrosites coriaces, qui peuvent durer dix ans. Celles-ci, infâmes, peuvent provoquer des douleurs changeantes et raffinées, des arrêts de travail, mais aussi, des dépressions.

Mon histoire, semblable à toutes les autres, commence il y a deux ans. Au beau milieu d'une vie de jeune trentenaire agrémentée de trois runnings par semaine, une douleur apparaît en quelques jours sous mon talon gauche. Elle coupe court à tout exercice physique, y compris les marches de plus d'une demi-heure. Puis, la douleur devient obsession. Elle hante mes nuits. Mais à la différence des vrais désespérés et de nombreux cas, elle ne m'empêche pas – encore – de vivre. Car en général, c'est ce qu'elle fait.

Les aponévrosites coriaces résistent à tout. Comme le stipule cet utilisateur désespéré sur le forum Courseapied.net, celles-ci sont invincibles aux ordonnances des médecins du sport, aux semelles des podologues, aux séances des kinés et aux manipulations des ostéopathes. De même, elles sont invincibles aux traitements bourrins : immobilisation complète, ondes de choc, infiltrations de cortisone et autres opérations chirurgicales. Pareillement invincibles aux petits remèdes : homéopathie, étirements, eau très chaude, bloc de glace, huiles essentielles, automassages, massage avec balle de tennis, crèmes miraculeuses, talonnettes de pharmacie, argile. Invincibles aussi aux médecines alternatives : acupuncteurs, magnétiseurs et énergéticiens. Et enfin, invincibles à l'armada de chaussures achetées pour l'occasion : chaussures à talons, baskets, Crocs, etc. Au mieux, ces tentatives atténuent un peu la douleur. Mais ils ne guérissent pas la maladie.

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Quelques exemples de chaussures recommandées par les membres du groupe.

Et pourtant, il est hors de question de renoncer. Car l'aponévrosite est à l'opposé d'une maladie dégénérescente et inamovible. Non, il ne s'agit que d'une inflammation. Le truc, c'est qu'elle est entretenue chaque jour par la marche, et qu'elle refuse en conséquence de faire ses valises. Désespérément, on espère un jour tomber sur le médecin qui changera la roue du destin. Et chaque rendez-vous avec un nouveau spécialiste suscite autant d'attentes qu'un soir de Noël.

Un peu de réconfort surgit quand, en chemin, on rencontre son alter ego. Lui aussi a absolument tout essayé et hésite à brûler ses quatre paires de semelles, lui aussi a bassiné tous ses proches et ses médecins et peine à trouver une oreille bienveillante, lui aussi continue la lutte armée. Et sur Internet – sur Doctissimo comme les divers forums de coureurs –, c'est à chaque fois le même refrain : un constat désespérant suivi de conseils habituels : médecines conventionnelles, traitements bourrins, petits remèdes et enfin, médecines alternatives. Les fils de discussion durent parfois plusieurs années. Et le bilan est toujours le même : on ne sait jamais si les participants guérissent un jour, ou s'ils meurent de désespoir.

C'est quand on arrive tout au bout, à bout de tout, dans la folie propice de la nuit, qu'on se surprend à rêver d'un outil de détresse. On veut le plus simple, le plus populaire, le plus évident. On ne sait pas bien à quoi ça servira, on ne sait pas qui viendra mais il n'y a que ça pour relancer la machine à idées. Les dernières réticences levées, j'ai donc créé un groupe Facebook.

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À la question « Ce groupe a-t-il au moins permis de guérir quelqu'un ? », la réponse est non. À ma connaissance, rien ni personne sur le groupe n'a réussi à sauver qui que ce soit.

Je l'ai décoré avec une image de couverture toute simple : un pied. J'ai envoyé mes premières invitations à des proches afin de ne pas me sentir tout seul. Puis j'ai posté le premier discours sur le mur du groupe, un message de bienvenue, excité mais réalisant bien l'aspect « dans quoi je m'embarque ? » de ma démarche.

Très vite sont arrivés les premiers utilisateurs. On peut penser que ces derniers aient été attirés par un message racoleur posté sur tel ou tel forum de running. Mais rapidement, les rangs grossissent. Je note, au bout d'une semaine, une moyenne de 2,5 demandes d'adhésion au groupe par jour. Chacun arrive avec sa petite histoire. Les uns racontent la genèse du fléau, les autres les combats menés contre celui-ci et tout le monde y va de ses nombreux espoirs et découragements. Le groupe commente, compatissant. Les conseils fleurissent. Je flaire deux ou trois charlataneries. Bref, un peu comme sur Doctissimo, en fait. Sauf que là, on se connaît un peu mieux et on entame une relation suivie. C'est sans doute cela qui fait toute la différence.

Cependant, à la question « Ce groupe a-t-il au moins permis de guérir quelqu'un ? », la réponse est non. À ma connaissance, rien ni personne sur le groupe n'a réussi à sauver qui que ce soit. En revanche, à la seconde question « Mais du coup, ce groupe sert-il quand même à quelque chose ? », la réponse est tout aussi ferme. C'est oui.

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Quand on ne désespère pas de guérir et qu'on a vu tous les médecins recommandables, on veut encore plus. On veut ce médecin du sport de l'autre bout de la France, on veut ce grand podologue aux semelles innovantes ou pourquoi pas, ce chamane discret mais réputé. On veut trouver les vraies causes, celles qui expliquent tout : une alimentation déséquilibrée depuis la petite enfance qui aurait favorisé les inflammations, ou une maladie génétique encore mal connue. On veut faire du yoga, arrêter de boire. On veut essayer la cryothérapie, dormir plus, dormir moins, on veut tout essayer, désespérément.

Le groupe Facebook siffle un coup d'arrêt à cette machinerie folle. Il brise les miracles. Car il y a au moins une personne qui a essayé le magnétiseur ou les analyses de sang, et ça n'a rien donné. Elle l'a fait et souhaite en témoigner. À quoi bon continuer d'y croire ?

Mais revenons aux semelles magiques. Un jour, les membres du groupe ont envoyé des photos de leurs paires de semelles. À ce moment-là, on s'est rendu compte non seulement qu'il y avait mille manières de faire des semelles, mais qu'en plus, aucun modèle ne sortait du lot. Les plus acharnés s'étaient fait faire quatre paires par quatre podologues différents, et ça n'avait rien changé. La statistique a eu raison de moi. Du jour au lendemain, j'ai cessé de croire aux semelles miracles.

Florilège de semelles de commerce ou sur-mesure postées par les membres du groupe.

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Mieux connaître sa pathologie et celles des autres permet aussi de s'armer face aux médecins. Car l'aponévrosite, c'est un fait, est mal connue et on la soigne mal. Je n'ai vraiment rien contre les médecins et nul ne peut faire le travail à leur place. Mais lorsqu'un énième praticien trop sûr de lui prescrit encore de nouvelles semelles, une opération chirurgicale, une troisième échographie, émet un pronostic péremptoire ou un diagnostic à côté de la plaque, on apprend à se méfier. Et à dire stop. On ne veut plus perdre son temps ni creuser le trou de la Sécu. À force de lire des témoignages, on comprend une chose sur l'aponévrosite récalcitrante : c'est qu'il n'y a pas de mode d'emploi.

Certains sont effectivement assez remontés contre les médecins.

Facebook permet aussi toutes sortes d'interactions intéressantes. Parfois même réconfortantes. On y trouve des sondages (quel âge avez-vous ? ; étiez-vous sportif ? ; depuis combien de temps souffrez-vous ?), des photos (semelles, chaussures, attirail de rééducation déniché sur Amazon), des vidéos (étirements, interviews, reportages), du second degré (et donc de la connivence), ou encore des modestes conseils de sagesse acquis à l'usure qui font le job aussi bien qu'un livre de psychologie (« apprends à vivre avec », « n'espère pas de miracle », « tu n'es pas tout seul », « fais confiance à ton corps »).

Facebook satisfait aussi notre part sombre et cruelle, quand on apprend qu'il y a pire que soi. Quand une personne a les deux pieds touchés, qu'elle hurle de douleur à chaque foulée du matin au soir, ou qu'elle a dû quitter son travail parce qu'elle travaillait debout et que cela dure depuis sept ans, on regarde sa propre aponévrosite autrement. D'un coup, on voit verre à moitié plein. Et on se dit aussi que le groupe doit lui faire beaucoup de bien.

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Au moment d'écrire cet article, je demande au groupe ce qu'il pense de lui-même, histoire de ne pas passer à côté d'un aspect important. C'est notre tout premier bilan. Les commentaires sont tous positifs et reprennent, peu ou prou, les mêmes idées.

Néanmoins, en débattant de nos douleurs, jour après jour, comme on parlerait de foot ou de politique, n'entretenons-nous pas le mécanisme de la douleur ? N'est-ce pas là un tapis rouge pour les psychosomatismes ? Problématiques épineuses. Il est vrai qu'un groupe Facebook comme celui-là a quelque chose d'à la fois plombant et addictif. Il est bon de savoir s'en couper, quelques jours ou quelques semaines. Car avec une aponévrosite plantaire coriace, on n'observe d'effets que sur le long terme. Et Facebook, comme chacun le sait, est intrinsèquement court-termiste.

Dans les mois qui viennent, le groupe continuera probablement à grossir. Les mêmes messages, les mêmes conseils, les mêmes mises en garde reviendront. Certains seront restés, d'autres auront guéri. Certains auront totalement renoncé. Il faudra peut-être désigner un troisième coadministrateur afin de valider les demandes d'adhésion. À terme, nous pourrions fonder une association. Il y en a bien pour toutes sortes de maladies et pathologies.

Nous avons déjà un nom. Celui-ci a été trouvé par un membre du groupe et plébiscité par l'ensemble de la communauté. Pour l'heure, nous sommes « Les Pieds Nickelés ».

Pierre est sur Twitter.