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reportage

J'ai attendu le Swami dans le Temple hindou de La Chapelle

Une après-midi avec du lait, des fruits et des dieux vivants à la bourre

Ganesh – le dieu hindou à tête d'éléphant – m'a toujours paru sympathique. Pour commencer, il est représenté avec une corbeille de fruits à ses pieds et je trouve plutôt réglo qu'une divinité ait toujours un morceau de mangue à proposer lorsque vous la sollicitez. Aussi, assis sur son sofa rouge, un demi-citron à la main, il fait penser à un oncle boomer prêt à vous ambiancer avec « un bon Floyd » avant de vous préparer l'un de ces cocktails fruités et trop alcoolisés dont la recette date de ses dernières vacances « au soleil ». J'avais déjà eu l'occasion de faire sa connaissance lors d'un voyage en Inde et lorsque j'ai appris qu'on lui avait dédié un temple près de La Chapelle à Paris, j'ai décidé d'aller bouffer quelques fruits frais en sa compagnie.

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Par chance, le jour où je me décide à partir pour le temple était aussi celui qu'avait choisi l'incarnation vivante d'un des fils du Dieu Shiva pour visiter Paris. Le Swami – c'est son nom indien – est une sorte de moine-gourou qui a décidé de ne plus prêter attention au monde moderne et de se consacrer exclusivement au service des autres et à la réalisation de soi. En gros, c'est l'inverse de ce mec. Malgré tout, il sait se montrer disponible et quitte souvent son ashram de Malaisie pour se rendre en Europe afin de bénir les fidèles des temples qui l'accueillent. À Paris, il est très attendu par la communauté tamoule mais aussi par quelques occidentaux qui ont tous « pas mal bourlingué » du temps du LSD. C'est donc au milieu de ce petit monde que j'ai passé environ quatre heures à l'attendre. J'en ai profité pour prendre quelques photos, discuter du déclin de l'Occident avec un prêtre et remercier Ganesh de son hospitalité en lui offrant de l'encens – et des fruits.

Me voici arrivé à l'adresse indiquée sur le flyer. Il est 16h et le Swami est déjà à la bourre d'une heure. Ces inscriptions en langue dravidienne sur une feuille A4 grossièrement scotchée à un rideau me laissent interdit. Je me prépare à rebrousser chemin lorsqu'un type torse nu et le front couvert de peinture grise passe nonchalamment devant moi. Surpris et intrigué par tant de flegme, je me décide à le suivre et il finit par me mener jusqu'à un amoncellement de chaussures derrière lequel se trouve l'entrée du fameux Temple Ganesh.

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Enfin libérées de leurs prisons de cuir, mes chaussettes 100% fil d'Ecosse peuvent à présent fouler le sol sacré du temple. Très vite embarrassé par les regards interloqués des fidèles, je me dirige tout droit vers une table sur laquelle trônent quelques noix de coco à la physionomie rassurante. Je fais alors la connaissance de Sadna, une mauricienne sympa qui se propose de m'expliquer le fonctionnement du Temple ainsi que les bases de sa religion. Sadna s'est convertie à l'Hindouisme lorsqu'elle a rencontré son mari sri-lankais. D'après elle, le Temple Ganesh a des vertus très puissantes qui lui auraient permis de surmonter un grand nombre d'épreuves. Après m'avoir demandé ma date de naissance, elle m'annonce que je suis sous la protection de la planète Mercure qui officie le mercredi : jour de prédilection de Ganesh. C'est à dire, aujourd'hui. Pas de doute, le dieu à trompe rose m'a à la bonne.

Sadna ne souhaite pas être prise en photo mais se propose gentiment de me présenter aux Brahmanes et de tenir l'appareil. Ces prêtres indiens sont arrivés ici l'an dernier après avoir postulé dans leur ashram pour pouvoir officier à Paris. Leur séjour en France dure environ deux ans puis ils partent rejoindre leurs familles. L'un d'eux m'explique qu'ils vivent dans le Temple en permanence et n'en sortent pratiquement jamais. Lorsque je lui demande ce qu'il pense de l'absence de sacré dans nos sociétés modernes, il me répond que ça l'attriste – ce faisant, il verse l'intégralité d'une brique de lait dans une jarre en terre. Le problème, selon lui, c'est que les occidentaux n'ont pas vraiment de gourous pour leur montrer le chemin à suivre. Je lui rétorque que nos « gourous » ne sont pas forcément religieux. Fâché, il me laisse sur un « you get the guru you deserve » assez péremptoire.

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Alerté par le discours concis et plein de vérité du vieux sage, je décide d'attraper une corbeille de fruit et de bâtons d'encens afin de les offrir à Ganesh pour le remercier de son accueil chaleureux. Sadna m'accompagne jusqu'à l'autel et me conseille de méditer un moment devant la statue du dieu après lui avoir fait mon offrande. Elle m'incite vivement à faire une prière et je m'exécute en demandant à la divinité de faire venir le swami rapidos.

Les offrandes aux dieux hindous sont constituées de fruits, d'encens ou de boissons diverses. Cette divinité apprécie particulièrement le lait produit sur le territoire français et je la comprends. À l'heure du libéralisme à tout crin et des délocalisations corollaires, il est normal d'encourager la production nationale en acceptant uniquement des offrandes certifiées françaises.

Ganesh a bien entendu ma prière car l'arrivée du swami est annoncée comme imminente. Cette nouvelle met brutalement fin à l'atmosphère paisible qui régnait dans le temple jusqu'alors. J'assiste à une scène étrange où des dizaines de fidèles se ruent sur un type à moustache qui distribue des post-it roses sur lesquels il inscrit des numéros. En fait, le swami va donner sa bénédiction à chacun des fidèles selon un ordre de passage bien établi grâce à ces post-it numérotés. Le problème, c'est que la plupart d'entre eux attend depuis de nombreuses heures et voudrait à tout prix passer dans les premiers. J'assiste donc à des scènes de bousculades assez violentes pendant lesquelles une femme se fait jeter à terre par le mec à moustache, qui finit par exiger que tout le monde se mette à genoux pour recevoir son ticket. Guidé par un instinct grégaire, je m'exécute et reçois le ticket numéro 76 ; la perspective d'être béni par le saint homme s'éloigne peu à peu.

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Ça y est, le grand swami est dans la place, prêt à « hoster » la cérémonie à coup de mantras et de bénédictions. Accompagnés par une équipe constituée de plusieurs photographes officiels et d'un interprète anglais, il a d'abord fait le tour du temple en posant parfois une main bienveillante sur la tête de plusieurs fidèles – j'ai eu la chance d'en faire partie. Pendant ces quelques secondes, j'ai éprouvé un vrai sentiment d'apaisement ; une sorte de chaud-froid mystique mêlé à une soudaine envie de dormir. Ne sachant pas trop comment me comporter dans ce genre de situation, je me suis contenté de fermer les yeux. Pour être tout à fait honnête, il est probable que j'ai aussi joint mes mains sous mon menton à ce moment-là.

À en juger par l'expression de ce vieux prof de maths à gilet rouge, ma relation privilégiée avec le swami en a rendu quelques uns jaloux. À ce moment précis, l'interprète anglais était en train d'expliquer la nécessité d'être végétarien. Parmi les arguments, il y avait celui-ci :« on ne trouve plus de bonne viande aujourd'hui ». Imperturbable, le swami continuait de psalmodier à voix basse en lançant parfois des pétales de fleurs en direction des jeunes filles assises devant lui.

Vous vous rappelez de ce jeune homme un peu rêveur dont votre mère parle parfois ? Celui à qui elle pense avec nostalgie lorsque votre paternel annonce qu'il a réservé une semaine de VVF en demi-pension « sur la côte » et avec lequel elle aurait « très bien pu abandonner sa Khâgne » ? Eh bien, vous pouvez l'informer que ce type passe désormais ses mercredi aprem à jouer à Angry Birds au milieu de gens qui ne parlent pas sa langue.

Comme il se faisait tard (il était presque 19h) et que les accompagnateurs du swami ne voulait plus que je le prenne en photo, je suis allé voir Sadnapour lui dire au revoir. Elle était justement en train de m'écrire les noms de quelques divinités importantes. Ensuite, elle a insisté pour que je repasse au Temple dans la soirée afin de recevoir la bénédiction du Swami. Malheureusement j'avais déjà un rendez-vous avec Lionel Messi pour un Barça / Leverkusen en Ligue des Champions ; il a planté cinq buts.