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J’ai parlé à la femme qui a lancé le hashtag #Rohingya

La semaine dernière, #RohingyaNOW était le hashtag le plus tweeté dans le monde.

Des musulmans Rohingyas protestent contre leur persécution. Image fournie par Save the Rohingya.

La semaine dernière, #RohingyaNOW était le hashtag le plus tweeté dans le monde. Si, lorsque vous l’avez vu pour la première fois, vous avez cru a une nouvelle mixtape d’un rappeur quelconque, n’ayez pas honte – bien qu’ayant été déclaré « l’un des peuples les plus persécutés », la situation de la communauté rohingya a été largement sous-relayée dans les médias traditionnels.

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Les Rohingyas sont une minorité musulmane originaire dans l'État de Rakhine – une région qui partage de nombreux traits ethno-linguistiques avec le Bangladesh – en Birmanie, pays à grande majorité bouddhiste. Même si le concept même du bouddhisme est de trouver l’illumination en restant assis peinard, il semblerait qu’une part non négligeable de la population birmane partage davantage de traits avec Hitler et Slobodan Milošević qu’avec des figures internationales de la paix type comme le Dalaï Lama et Richard Gere. J’entends par là qu’ils veulent que leur pays soit ethniquement pur et qu’ils ne se gênent pas pour attaquer et tuer les Rohingyas pour tracer leur chemin.

Jamila Hanan a fondé Save The Rohingyas après les massacres de l’ethnie minoritaire en juin et octobre derniers, en Birmanie. Depuis, elle suit les reportages sur les Rohingyas via Twitter et Facebook, et discute avec la population rohingya et les travailleurs humanitaires de l’ONU, Human Rights Watch et Médecins sans frontières. Elle a découvert des preuves concernant des états de famine, la présence de camps de concentration, la perpétration de décapitations et de viols – en gros, tout ce que pouvez imaginer de plus odieux – envers la communauté rohingya. Pourtant à ce jour, presque personne n’a levé le petit doigt pour les aider.

En début de semaine, Jamila a entendu de l’un de ses contacts rohingya que l’armée birmane avait visité son village. Les militaires leur ont dit que « les terroristes allaient les attaquer début avril et que, cette fois, ils ne pourraient pas les protéger. Donc il fallait qu’ils se préparent. » Cela signifie qu’un grand nombre de Birmans ont prévu de perpétrer un génocide de masse dans la communauté rohingya  (qui compte peu ou prou 800 000 personnes), et que l’armée ne compte absolument rien faire pour empêcher ça. C’est à ce moment-là que Jamila a décidé de lancer le hashtag #Rohingya. Grâce à lui, elle a fait assez de bruit sur Twitter pour attirer l’attention des médias du monde entier. Je voulais des détails sur ce qui l’avait poussée à lancer ce mouvement, du coup je lui ai passé un coup de fil.

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Un jeune homme rohingya portant les stigmates d'un tir à l’arme à feu, juin 2012. Photo : Dougal Thomas.

VICE : Bonjour Jamila. Qu’est-il arrivé aux Rohingyas la semaine dernière ? Y a-t-il eu une autre poussée de violences contre eux ?
Jamila Hanan : Le 20 mars, une attaque a éclaté dans la ville de Meiktila. C’était clairement une rafle organisée pour déclencher un massacre beaucoup plus grand. Mon contact en Birmanie m’a expliqué comment s’est déroulée l’attaque : un couple de bouddhistes est entré dans un magasin de rachat d’or musulman et une dispute à propos d’une histoire de plaqué-or a éclaté. Le couple a quitté le magasin et est revenu avec un important groupe de personnes qui a commencé à attaquer la boutique. Nous avons des séquences vidéo montrant une foule de 1000 personnes regarder l’attaque et applaudir.

Ça semble prémédité.
Oui, il y avait des officiels au sein de la foule, qui encourageait les casseurs avec des porte-voix. Tout était très organisé. La rumeur selon laquelle un moine bouddhiste aurait été tué s’est mise à circuler, mais personne n’a vu de cadavre ni ne sait dans quelles circonstances il a été tué – et par qui. Il semblerait que la rumeur ait été propagée pour inciter à la haine. Le propriétaire musulman de la boutique a été arrêté. Les moines de leur côté, n’ont pas été arrêtés – même si ce sont eux qui ont fomenté l’attaque.

Une femme rohingya et son fils attendent dans une clinique médicale. En dépit d’un certain nombre de cliniques gouvernementales érigées dans les camps rohingya, il n’existe aucune aide médicale locale. Photo : Dougal Thomas.

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Comment la situation a-t-elle évoluée depuis l’attaque ?
C’est le chaos. Les bouddhistes ont incendié plusieurs mosquées, villages et écoles. Ils ont attaqué et massacré des musulmans. Des femmes et des enfants ont été démembrés, leur tête tranchée dans la rue. Les attaques ont commencé plus au sud de Yangon et se répandent comme une traînée de poudre.

Et ce ne sont pas seulement des attaques ponctuelles, j’imagine.
Non, les attaques sont organisées – elles sont relayées par la propagande et les discours de haine tenu par les moines. La police ne fait rien pour protéger les musulmans, à part les rassembler et les confiner. Ils ont placé à peu près 9000 Rohingyas dans un stade de foot, à proximité de Meiktila. Ce n’est pas un camp de réfugiés comme certains pourraient le penser, simplement parce qu’ils ne sont pas réfugiés : ils sont déplacés à l’intérieur même de leur propre pays. C’est un camp de concentration.

L’un des six innocents rohingyas tués par la police dans le camp de réfugiés de Thay Chaung. C’est ici que vivent un certain nombre de Rohingyas depuis que les violences ont éclaté en juin dernier. Photo fournie par Save the Rohingya.

Tous les bouddhistes sont-ils anti-Rohingyas ?
Eh bien, beaucoup de bouddhistes à Meiktila ont aidé les musulmans – et pas seulement les musulmans Rohingya, la violence s’étant propagée, elle concerne n’importe quel musulman du pays aujourd’hui – et ont risqué leur vie pour eux. Ils sont en colère contre l’État. Ils racontent que des soldats étrangers ont pénétré dans le pays et qu’ils ne savent pas qui ils sont. Il y a des rumeurs selon lesquelles ces moines agressifs ne seraient pas des vrais moines, mais des gens qui « s’habilleraient en devenus moines depuis récemment ».

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Raza Miah, un habitant de Than Taw Li âgé de 55 ans, attend la distribution de riz. Les villageois, qui se sont vus refuser l’aide de l’administration locale, n’avaient pas reçu de nourriture depuis 29 jours. Photo : Dougal Thomas.

Pourquoi essayent-ils de se débarrasser des Rohingyas ?
Ils veulent purifier le pays et débloquer la situation économique que, selon eux, les Rohingyas entravent. Tout tourne principalement autour d’un pipeline en construction à Sittwe, un endroit où beaucoup de Rohingyas vivent, qui a pour but d’acheminer du pétrole entre le Moyen-Orient et la Chine. Ils essaient de nettoyer la zone pour laisser place à l’argent. L’idéologie de race pure est elle aussi prégnante ; les bouddhistes voient les musulmans comme une menace. Ils disent que les Rohingyas sont des terroristes, ce genre de choses – évidemment, il n’en est rien.

Alors, pourquoi le reste du monde ne les aide pas ?
Je pense que le silence de la communauté internationale est dû aux contrats pétroliers et aux autres contrats commerciaux dans la région. Chaque gouvernement cherche à être ami avec la Birmanie. Aucun d’eux ne va remettre en question leur soumission à la charte des droits de l'homme – tout ce qu'ils veulent, ce sont les fameux 30 contrats pétroliers dont les offres ont été rendues publiques ce mois-ci. Les Rohingyas sont seulement un dégât collatéral – et à peine regrettable – pour eux. Mais aujourd’hui, nous espérons que la communauté internationale va changer de position : ce qui se passe là-bas est désormais public.

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Suivez Sascha (@SaschaKouvelis) et Jamila (@JamilaHanan) sur Twitter.

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