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VICE Fashion Week

J'ai passé 30 minutes de ma vie à parler fringues avec Phoenix

Je me demande à quel point il faut être « dans Internet » pour détester Phoenix.

Photos : Thomas Bertrand

Thomas Mars de Phoenix, avec Bowie.

Je me demande à quel point il faut être « dans Internet » pour détester Phoenix. Même avec toute la mauvaise foi du monde, les meilleurs blogs et les goûts en musique les plus extrêmes, il faut être (au minimum) le plus grand enfoiré que la Terre ait jamais porté pour ne pas aimer les ballades émotionnellement parfaites de ces quatre versaillais à longues écharpes. Ils ont sorti quatre albums avec le même morceau chanté de toutes les façons possibles et ce morceau est l'un des rares trucs dont la France puisse être fière au XXIème siècle. Phoenix ont poussé le concept de musique d'autoradio à un point que seuls Supertramp avaient atteint auparavant. Et, par delà leur musique, ils ont – sans le vouloir – créé un style vestimentaire qui a influencé la manière dont chaque jeune français s'habille aujourd'hui.

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Avec la sortie de United en 2000 et le clip d'« If I Ever Feel Better », Phoenix a révélé au grand public une nouvelle typologie vestimentaire faite de chemises cintrées, de jeans serrés, de pulls pastels, de cardigans beiges et – comme je l'ai signalé plus haut – d'écharpes en laine beaucoup trop longues et épaisses pour leurs corps de Français des classes moyennes. En 2005, tous les gens que vous connaissiez étaient habillés comme eux. En 2013, les étudiants d'école de commerce, les footballeurs pro, votre banquier et chaque membre de chaque groupe d'« électro-pop » pourri – soit un panel assez représentatif de la France – ont pompé d'une manière ou d'une autre le style du groupe.

J'ai rencontré Thomas Mars, frontman de Phoenix, la semaine dernière en fin d'après-midi alors qu'il arrivait au terme d'une longue journée d'interviews avant de repartir le soir-même pour New York. Même s'il venait de passer six heures à répondre aux mêmes questions de journalistes musicaux à propos de la sortie de Bankrupt! – le cinquième album du groupe, qui sort dans un mois – il est resté professionnel et extrêmement amical tout au long de notre entretien. On a parlé de fringues et de Bowie jusqu'à ce que l'attachée de presse du label nous interrompe.

Phoenix, déployant un style typiquement Phoenix.

VICE : À quel moment as-tu commencé à écouter de la musique et à te dire « putain, j’aimerais bien m’habiller comme ces mecs » ?
Thomas Mars : Ça devait être vers 1983. J’écoutais des trucs genre Michael Jackson. Mais bon, à huit ans, c’est un peu dur de s’habiller comme ça et puis, il faut un budget – que je n’avais évidemment pas. Mon grand frère était parti faire une année de lycée à Seattle en 1985 et je me souviens que, quand il est revenu à Versailles, le clip de « Purple Rain » de Prince commençait à passer à la télé. Quand j’ai vu ça, je me suis dit que c’était exactement ce que je ne devais pas aimer. Mon frère m’a dit que c’était tout l’inverse : « c’est justement ce que tu dois aimer jusqu'à la fin de ta vie ».

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Il t’a donc conseillé d’aimer les vestes en velours violet avec des dorures dessus ?
Pas que, en réalité. Il m’avait aussi refilé le vinyle de Sigue Sigue Sputnik dont l'esthétique est assez proche de celle du metal – enfin, des groupes de metal finlandais. Un style d’ado un peu extrême qu’on ne peut pas avoir en étant enfant ; du coup, j’ai fait une croix dessus. Le vrai tournant, c’est quand moi et les autres membres du groupe nous sommes rencontrés au lycée, à Versailles. À l'époque, il existait un style vestimentaire très pointu dans la ville, jusqu’aux accessoires. Un look local, presque un uniforme.

C’était quoi l’uniforme versaillais type de la fin des années 1980 ?
Les couleurs bourgogne et bleu marine. Puis les Docksides Sebago, les jeans avec un revers en bas avec les caleçons à carreau qui dépassaient juste un petit peu. Ah, et très important : les vélos de couse avec le guidon retourné. Le côté BCBG, mais pas attirant. Nous, on détestait ça. À la place, on avait un look de terroriste italien – c'est peut-être d'ailleurs le meilleur look qui existe, puisqu'il est dérivé du look de petite frappe italienne des années 1980. Post-James Dean, si tu veux.

Je vois, un look Brigade Rouge.
Ouais, exactement. C’est ce qui nous attirait et c'était en confrontation totale avec le look versaillais. C’est comme si en portant ça, tu pouvais distinguer les vrais et les faux. Mais à nos débuts, on n'avait aucune volonté esthétique. On ventait plus l’idée du « non-style » si tu veux – ne pas porter de marque, ne pas être un porte manteau.

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Les lumières de Bowie, une bouteille de San Pellegrino, Thomas Mars et moi, sapé comme un membre de Phoenix.

Vous faisiez déjà de la musique à cette époque ?
Ouais on a commencé à découvrir plein de groupes anglais, tous très mal sapés. Je crois que c'est le moment le plus triste de l'histoire de la musique, en termes de mode. La musique était bien ceci dit : le shoegaze, etc. Ils portaient des trucs qu’on pouvait pas acheter, des trucs importables. Ça n'avait aucune forme.

Ouais, tout était baggy au début des années 1990.
Exactement, hyper grand. Donc ça c’était pas possible pour nous ; mais en même temps on aimait vachement cette musique-là. Puis, quand on est parti de Versailles juste après le Bac, on s’est mis à tourner, à faire de vrais concerts. On était encore dans cet esprit de « non-style », de refus. Quand t’es en décalage total avec ce qu’il se fait, t’as l’impression de ne pas être synchro avec l’ère du temps.

Mais aucun indie-rocker n’était vraiment synchro de toute façon. Tous les mecs de groupes, et j’imagine que vous aussi, se sapaient comme Dinosaur Jr., avec des trucs troués, etc.
Même si on adorait My Bloody Valentine, en terme de fringues ils n’avaient pas vraiment de personnalité – c’était pas vraiment leur point fort. Et puis nous, on voulait les guitares plus que les fringues. Tout l’argent qu’on avait on le dépensait dans les meilleures pédales du marché.

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Deux, trois ans plus tard, il y a eu des années un peu bizarres en France, les pires je crois : les années Barthez où tout le monde avait le crâne rasé. Horrible.

Ouais, les années Mondial '98.
Nous, au même moment on préférait ça [il lance une vidéo de Bowie sur Youtube] – ce live de Bowie, à Berlin en 1977, 78. Là tu vois, c'est le moment où il redevient un peu straight après sa période de drogues. Il a un style nickel, hyper sincère. Il s’allume une petite clope là, hop.

Pour revenir à avant, le style à la Ian Curtis, le style anglais un peu cheap, gris, sans forme, nous attirait. Le côté « j’ai rien à prouver », je trouve ça assez fascinant.

Parle-moi de la french touch et de cette époque où tous les Français étaient fringués comme des antibois.
C'est difficile, parce qu'à cette époque-là, tous les groupes avaient un son différent. Et c’était un peu pareil au niveau des codes vestimentaires. Il y avait un véritable « flou juridique » à cette époque – ça partait dans tous les sens. Nous on est restés à nos amours d’adolescence : le Velvet Underground, Iggy Pop. Ils ont été assez déments au niveau du style. Du coup, on mettait des Ray Ban, etc.

J’ai l’impression qu'en 2000, vous avez lancé un style que toute la France a repris par la suite ; un mélange entre le style versaillais traditionnel dont tu parlais tout à l'heure et des éléments personnels, genre des pulls colorés, des cardigans, etc.
Je ne savais même pas qu'on avait créé ce style-là. Il faudrait que tu en parles à Laurent, ça a toujours été le plus stylé du groupe.

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Dommage qu'il ne soit pas là, en effet.
Ouais, c’est celui qui évolue le plus au fil du temps. Quand on regarde les photos des concerts d’il y a cinq ans, on a même du mal à la reconnaître. Pas parce qu’on a vieilli mais parce qu’il a complètement changé. Il a eu une petite fascination pour le rock habillé à un moment aussi ; je dois pouvoir le situer entre mars et avril 2009. Une période assez pointue. Personnellement, pendant la dernière tournée, les Américains ont halluciné parce que je portais tout le temps la même chemise. Ils m’ont demandé combien j’avais de chemises et ils ne s'étaient pas trompé : j'en avais effectivement une seule.

C'est quoi cette chemise ?
C’est une chemise bleue, basique, complètement normale mais bien coupée. Elle fait presque chemise de travail en fait. C’est notre choix d’avoir un uniforme un peu discret ; les gens sont obligés de se concentrer sur notre musique. Notre style n'est pas assez divertissant pour attirer l’œil, et il n'est pas non plus assez moche pour être jugé. C’est assez confortable d’avoir un uniforme, même si c'est un peu triste pour les gens qui aiment les habits.

D'un autre côté, ce style « uniforme » fait entièrement partie de l'esthétique Phoenix.
Ouais mais c’est du pur hasard. C’est un concours de circonstance, parce que c’est un style créé par flemme. Je parle plus pour moi que pour Branco et Laurent, ceci dit. Aujourd’hui, notre flemme est sans limite. On n'a même plus besoin d’aller dans les magasins. On va sur le net.

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Outre Bowie, il y a un mec qui vous a marqués en termes de fringues ?
Je me souviens d'un mec assez génial, c’est Roy Scheider dans All That Jazz. Son style est ultime. [Il passe un extrait du film sur Youtube]. Le film aussi est ultime. Ça parle d'un chorégraphe américain, Bob Fosse, un travailleur acharné qui se tapait toutes ses jeunes danseuses. Ouch, regarde : il a les meilleurs accessoires, c'est fou.

Sinon, je dirais que Jacno est l'un des premiers Français a avoir eu un vrai sens de l’esthétique, même dans le choix de ses instruments. C'était imparable. Il y a un truc pas mal pour juger le style des groupes, c’est de regarder leurs pieds de synthétiseur. Philippe Zdar par exemple, a des pieds en plexy. Ça, c'est le style.

Vous aussi faites attention au style de vos instruments ?
Ouais, et plus que celui de nos fringues. Beaucoup plus.

Genre, tu les brosses ?
Non, mais on pourrait presque créer une entreprise vu le temps qu’on a passé à les reluire. On a tout fait nous-mêmes. On a un mini-hangar ou on crée tout ce qui va être sur scène pour le prochain album : scie à métaux, etc. Des trucs à la Kraftwerk.

Ah ouais ? C’est hyper allemand, ça. Ça ne va pas décontenancer vos jeunes auditeurs ?
Non je ne pense pas. Ça va leur plaire ! Mais ouais, c’est hyper allemand.

Au sujet du nouvel album, j’aimerais savoir à quel point c’est chiant de savoir que le monde entier est déjà en train de l'écouter ?
C’est flatteur mais il y a un peu cette sensation du feu d’artifice qui part en plein jour. Mais on est assez confiant, on sait que ça va être un long feu d’artifice et qu’il y aura des moments de pénombre. Le vrai problème c’est la qualité du leak qui circule. On aimerait bien donner la bonne version mais on n’a pas le droit en fait – sinon, on se fait virer. J’adorerais le faire mais il y a des gens qui travaillent avec nous et ça ne serait pas réglo pour eux.

Vous êtes habitués à être réglo avec votre maison de disque où est-ce que c’est plutôt un poids pour vous ?
En fait on a notre propre label depuis longtemps donc on travaille plus avec des personnes qu’avec une boîte. On préfère tout faire nous même, quitte à ce que ce soit moins pro. D’ailleurs c’est pareil dans le choix de nos sapes – on ne se fait conseiller par personne. Rod Stewart mixe ses chansons lui-même et même elles sont assez mal faites, elles ont un truc particulier, du charme si tu veux. D'ailleurs, ça me fait penser que Rod Stewart avait un style ultime, lui aussi.

Le nouvel album de Phoenix Bankrupt! sortira le 22 avril prochain chez Loyauté / Warner.